La course de l'Afrique contre les machines

Vendredi 23 Juin 2017

Selon certaines estimations, l'automatisation menace plus de la moitié de tous les emplois des pays de l'OCDE. Et maintenant que le défi de l'emploi occupe le devant de la scène, la course aux solutions a commencé.


Par exemple, Bill Gates  a appelé à une taxe sur les robots, qui pourrait ralentir le rythme de l'automatisation et à des efforts pour financer d'autres types d'emplois centrés sur l'humain. L'ancien Secrétaire au Trésor Lawrence Summers, d'autre part, avertit  qu'une telle taxe ferait obstacle à l'innovation. D'autres soutiennent  que les gouvernements devraient seulement subventionner les travailleurs à faibles revenus.
Le point commun entre ces points de vue sur les technologies qui vont remplacer la main-d'œuvre est la tendance à se concentrer sur les économies avancées. Mais l'automatisation constitue également une menace très réelle pour l'emploi dans les économies en développement. En Afrique en particulier, une cohorte en pleine expansion de jeunes gens - 11 millions  d'entre eux vont entrer sur le marché du travail chaque année - aggrave cette menace. Sans une planification avisée, l'aubaine démographique anticipée du continent pourrait s'avérer être une bombe à retardement.
Comme les coûts de l'automatisation diminuent par rapport aux salaires de l'industrie et que la production industrielle mondiale demande moins de main-d'œuvre, l'Afrique va perdre certains des avantages sur lesquels elle compte actuellement. À l'avenir, ce continent risque de ne pas être en mesure d'attirer des industriels qui cherchent à tirer profit d'une main-d'œuvre abondante à faible coût. De nombreuses personnes dans la région s'inquiètent de récolter de maigres bénéfices durant cette future période d'industrialisation. Ces derniers craignent en outre que les tendances démographiques, sociales et économiques ne provoquent à l'avenir des crises humanitaires et de sécurité.
La compétitivité salariale a longtemps été un catalyseur pour la réussite de l'industrialisation. Depuis la révolution industrielle en Occident, le Japon, plusieurs pays d'Asie et à présent la Chine ont tous fait l'objet d'une industrialisation à grande échelle, en partie parce qu'ils avaient des salaires compétitifs. Et maintenant que les salaires augmentent en Chine, les entreprises industrielles qui ont besoin d'une forte main-d'œuvre délocalisent leurs opérations dans d'autres pays à bas salaires comme le Bangladesh.
Avec sa vaste offre de main-d'œuvre à faible coût, l'Afrique pourrait attirer ces entreprises. Mais l'industrie ne représente que 10 % des emplois de l'Afrique et l'avènement de l'automatisation a modifié son avantage relatif en matière de coût.
L'Afrique doit certes davantage son manque d'industrialisation à des facteurs structurels, tels que le climat d'investissement défavorable, qu'à l'insuffisance des infrastructures et qu'à des politiques industrielles imprévisibles. Mais à ce stade, même si les décideurs politiques africains parvenaient à accélérer la mise en œuvre des bonnes réformes, l'accélération du rythme de l'automatisation nuirait encore à l'industrialisation. Les robots deviennent moins chers et plus efficaces, à l'heure où les industriels ont besoin de compenser le manque de main-d'œuvre dans plusieurs économies avancées et émergentes.
La Chine ainsi que d'autres économies émergentes peuvent également perdre des emplois dans les économies avancées, puisque les entreprises font marche arrière sur leurs contrats de sous-traitance et qu'elles relocalisent leurs opérations industrielles plus près de leur territoire national. Mais la Chine a fait de l'automatisation une priorité stratégique et est en train d'élaborer son propre secteur robotique afin d'anticiper l'augmentation de ses coûts de main-d'œuvre et le vieillissement de sa population. De 2012 à 2015, le nombre de robots industriels en Chine a plus que triplé, pour atteindre 65 000.
L'augmentation de la production mondiale et la baisse des coûts de la technologie risquent de toucher durement l'Afrique, où le développement économique risque de décrocher sans industrialisation et si l'expansion de la bulle de la jeunesse ne montre aucun signe de déflation. Selon les prévisions  actuelles, la population africaine en âge de travailler va augmenter de façon substantielle au cours du siècle suivant, alors que celui du reste du monde diminue. Il incombe aux gouvernements africains de mettre en œuvre des politiques du marché du travail pour investir dans le capital humain et surtout pour créer des emplois dans l'industrie à forte intensité de main-d'œuvre. Sinon l'Afrique aura la plus grande population au monde de chômeurs et de jeunes frustrés.
L'impact est déjà visible. Alors que les travailleurs africains recherchent de meilleures opportunités, ils se ruent vers les villes plus rapidement que les villes ne peuvent les absorber, ce qui conduit à la prolifération de bidonvilles dans les zones urbaines et entraîne un flux de migration illégale vers l'Occident. Alors que la demande en éducation, en soins de santé et en autres services publics continue de croître, les pressions sociales vont continuer d'augmenter. Et sans sécurité économique, certains jeunes auront recours à des activités illégales, ou seront la proie de groupes extrémistes qui exploitent leur désespoir.
Les décideurs africains doivent garder ces tendances démographiques et économiques à l'esprit lorsqu'ils élaborent leurs plans de développement nationaux. La région peut encore exploiter ce dividende démographique, mais elle est à présent engagée dans une course contre les machines.
Les machines gagnent clairement de plus en plus de terrain. Bien qu'un impôt sur les machines puisse ralentir leur diffusion, les décideurs politiques seraient bien avisés d'aller au-delà des mesures provisoires et d'accélérer la mise en œuvre de la croissance inclusive. Le reste du monde doit soutenir l'Afrique dans cette course. Le succès de l'Afrique serait bénéfique pour le monde. L'échec, d'autre part, constituerait une grave menace pour notre sécurité collective et pour le développement humain en général.
Brahima Coulibaly, chercheur et directeur de l'Initiative de croissance de l'Afrique à la Brookings Institution, ancien économiste en chef et directeur du groupe des marchés émergents et des économies en développement au Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine.
 
chroniques


Dans la même rubrique :
< >

Lundi 21 Octobre 2024 - 00:26 Débloquer l'apprentissage par l'IA

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter