La fin du sida

Jeudi 1 Décembre 2016

L’épidémie mondiale du sida a coûté la vie à près de 36 millions de personnes entre 1981 et 2016, sachant par ailleurs qu’un nombre similaire d’individus sont actuellement porteurs du VIH à travers le monde. Près d’1,2 million de personnes ont succombé au sida l’an dernier, pour 1,8 million d’individus nouvellement infectés. Malgré ces statistiques effrayantes, une bonne nouvelle s’annonce, à travers l’objectif désormais réaliste d’une génération débarrassée du sida. Les mesures politiques nécessaires sur cette voie pourraient être adoptées peu après l’accession au pouvoir de l’administration du président américain élu Donald Trump.


La principale raison pour laquelle il est aujourd’hui envisageable d’éradiquer l’épidémie réside dans une découverte scientifique de 2011, qui a révélé que les personnes séropositives bénéficiant un traitement antirétroviral (ARV) voyaient disparaître de leur sang toute trace du VIH, de sorte qu’il devenait très peu probable que ces personnes puissent transmettre le virus à autrui, via un rapport sexuel ou l’utilisation de seringues échangées. Cette découverte est venue confirmer le concept de « traitement en tant que prévention ». Si une proportion suffisamment élevée de personnes séropositives se voient administrer un traitement ARV, il sera non seulement possible de leur sauver la vie, mais également de rompre la transmission du virus lui-même, et par conséquent de mettre fin à l’épidémie.
Sur la base de cet espoir, les spécialistes du sida ont élaboré deux démarches cruciales : d’une part les objectifs dits « 90-90-90 », et d’autre part le concept d’une « cascade de traitement du VIH ». Le programme 90-90-90 vise à faire en sorte que d’ici 2020, 90 % des personnes séropositives aient connaissance de leur infection (première cible des trois piliers), que 90 % des personnes ayant connaissance de leur infection se voient administrer un traitement ARV (deuxième cible), et que 90 % des individus bénéficiant d’un traitement ARV voient totalement disparaître de leur sang le VIH (troisième cible). Quant au concept d’une cascade de traitement, il consiste à considérer que si chacune des trois cibles 90-90-90 est atteinte, la proportion de personnes séropositives voyant disparaître le virus de leur sang sera égale à 90 % x 90 % x 90 %, c’est-à-dire égale à 72 %.
Si 72 % des personnes aujourd’hui infectées ne risquent plus d’infecter d’autres individus, l’épidémie de VIH/sida sera alors endiguée. En effet, si l’objectif 90-90-90 de 2020 pouvait devenir un objectif 95-95-95 en 2030, la proportion de personnes séropositives ne pouvant plus infecter autrui passerait alors à 86 %. L’épidémie actuelle connaîtrait alors un coup d’arrêt, de la même manière que l’épidémie de rougeole chez les jeunes enfants peut être stoppée au sein d’une région métropolitaine lorsque 80 % d’entre eux sont vaccinés, alors même que les 20 % restants ne sont pas vaccinés. Dès lors, un certain nombre de cas persisteraient, mais le fléau du sida toucherait à sa fin.
Les objectifs 90-90-90 d’ici 2020 et 95-95-95 d’ici 2030 sont des objectifs réalistes, qui exigent néanmoins que les États œuvrent sur cette voie. La Suède a récemment annoncé qu’elle avait atteint l’objectif 90-90-90. De nombreux autres pays à revenu à revenu élevé s’en approchent. À condition d’une aide internationale et d’efforts à l’échelle des États, l’objectif 90-90-90 peut être atteint non seulement dans les pays à revenu élevé, mais également dans les pays en voie de développement.
Pour la plupart des pays de la planète, le plus grand défi consiste à atteindre d’ici 2020 le premier des trois 90, à savoir le stade auquel au moins 90 % des personnes séropositives sont dépistées et prennent connaissance de leur infection. Pour que cet objectif puisse être atteint, il est essentiel que les personnes présentant des symptômes, ou particulièrement exposées à un risque d’infection, puissent être orientées vers le système de santé à des fins de dépistage.
Dès lors qu’une personne infectée par le VIH fait l’objet d’un test qui se révèle positif, la possibilité d’atteindre la deuxième cible des 90 % (traitement ARV) dépend principalement des financements et des effectifs. À condition que le budget de la santé soit suffisant, des médicaments peuvent être mis à disposition de toutes les personnes infectées.
L’accomplissement du troisième objectif des 90 % (suppression de la charge virale) dépend principalement de la possibilité pour les patients traités par ARV de respecter leur calendrier de médication. Ceci peut nécessiter l’existence d’un soutien social permettant d’encourager les patients à poursuivre leur prise de médicaments même lorsqu’ils se sentent en bonne santé, ainsi que de veiller à un approvisionnement en médicaments qui soit abordable et effectué dans les temps.
Les cibles 90-90-90 peuvent être atteintes au sein même de populations pauvres, dans les zones les plus reculées, grâce à une nouvelle et puissante démarche de santé publique : le déploiement d’agents de santé communautaire (ASC), appuyés par la technologie des smartphones. Les ASC sont des résidents des communautés locales, d’un niveau d’études au minimum secondaire, qui suivent une formation de plusieurs mois autour de la gestion de plusieurs défis spécifiques, tels que l’identification des individus potentiellement infectés par le VIH, l’accompagnement de ces personnes jusqu’en clinique à des fins de dépistage, ainsi que le soutien permettant aux malades d’adhérer à leur protocole médical. De nouvelles applications sur smartphone facilitent par ailleurs le travail des ASC.
Dans les campagnes africaines, déserts médicaux au sein desquels la prévalence du sida est bien souvent élevée, la forte capacité des ASC à sauver des vies a été nettement démontrée et documentée. En outre, le statut d’ASC constitue un bon moyen pour les jeunes de débuter leur carrière. En effet, bien que la rémunération initiale soit très modeste (aux environs de 100 $ par mois), l’expérience et la formation conférées à ces jeunes contribue à les orienter vers un enseignement plus poussé (par exemple vers des études en soins infirmiers), vers des compétences plus abouties, et vers des revenus plus élevés.
Et pourtant, malgré cet espoir d’éradication de l’épidémie du sida, la démarche du monde reste actuellement en suspens. Plutôt que d’œuvrer en faveur d’objectifs audacieux, et de se donner les moyens d’y parvenir, nos gouvernement font malheureusement le choix du statu quo. Il y a seize ans, ce statu quo était synonyme d’une quasi-absence de traitement pour les populations pauvres atteintes du sida, en raison d’un manque de financements. À l’époque, j’avais préconisé la mise en place d’un nouveau « Fonds mondial » destiné à financer les traitements contre le sida, idée qui a été adoptée et qui a par la suite contribué à amorcer une nouvelle ère dans le cadre de la lutte contre le sida en Afrique.
L’administration du président américain George W. Bush a fait le choix d’une importante contribution financière de la part États-Unis dans la lutte contre le sida. Les programmes de l’Amérique et du Fonds mondial ont ainsi permis à plusieurs millions de personnes d’avoir accès à un traitement. Malheureusement, après l’apparition de la crise financière de 2008, le président Barack Obama s’est refusé à augmenter davantage le financement américain, et la lutte mondiale contre le sida  n’est devenue qu’une démarche en demi-teinte. En cette année 2016, seule la moitié environ des personnes séropositives bénéficient d’un traitement ARV, bien loin de l’objectif des 90 %.
Il appartient à l’administration entrante de Donald Trump de saisir cette opportunité historique, en contribuant à mettre un terme au fléau du sida via une contribution relativement modeste de la part des gouvernements et autres donateurs. Quelque 10 milliards $ supplémentaires chaque année, collectés en provenance de l’ensemble des sources de financement, suffiraient probablement à l’accomplissement de la tâche, dont seulement 3 à 4 milliards $ chaque année en provenance des États-Unis.
Les plus sceptiques considéreront sans doute Trump comme incapable de fournir un tel effort. Pour autant, il y a 15 ans, qui aurait sincèrement cru Bush capable de se démarquer comme l’initiateur majeur d’une intensification des efforts financiers dans la lutte contre le sida ? L’histoire abonde de surprises aussi bien négatives que positives. L’éradication du sida peut constituer l’accomplissement historique de notre génération, à condition que nous nous en donnions les moyens.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
Jeffrey D. Sachs est professeur de développement durable, professeur en politique et gestion de la santé, et directeur du Earth Institute de l’Université de Columbia. Il est également directeur du Réseau des solutions pour le développement durable auprès des Nations Unies.
 
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