La réalisation du rêve indien

Mercredi 11 Mars 2015

NEW DELHI – Il n’arrive pas souvent que je doive porter deux chapeaux à la fois. C’est pourtant ce qui m’est arrivé le mois dernier, lors d’un séjour de quelques jours à New Delhi.


La réalisation du rêve indien
J’étais principalement en Inde en tant que président actuel du comité d’examen sur la résistance antimicrobienne  (RAM) au nom du premier ministre britannique. Mais ma visite coïncidait avec la présentation du budget de l’Inde pour l’exercice 2015-2016, le premier sous la gouverne du premier ministre, Narendra Modi. Vu mon intérêt et mon expérience du sujet, j’ai trouvé mon compte dans cette présentation.
Selon les derniers chiffres révisés du PIB, l’économie de l’Inde vient de renouer avec la croissance – en termes réels – à un niveau légèrement supérieur à celle de la Chine. Il y a plus de dix ans, j’étudiais déjà les économies du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et un élément ressortait chaque fois de l’analyse : à un certain point dans la prochaine décennie, l’Inde finirait par croître plus rapidement que la Chine et elle continuera de le faire pendant des douzaines d’années.
Le raisonnement est simple. Le cadre démographique de l’Inde est considérablement plus favorable que celui de la Chine et la taille et la croissance des effectifs d’un pays est l’un des principaux facteurs déterminant les résultats économiques à long terme – l’autre étant la productivité. D'ici 2030, le taux de croissance démographique de l’Inde grossira les rangs de la population active d’un montant équivalant à la force de travail des quatre plus grandes économies de l’Europe continentale réunies. Le taux d’urbanisation de l’Inde est moindre qu’en Chine et elle en est encore aux premiers stades ; ce qui lui permettra de profiter des forces vertueuses qui accompagnent normalement le processus.
Il y a un hic cependant. Pour ce qui est de la productivité, l’Inde est à la traîne. À moins qu’elle ne trouve des façons d’améliorer son bilan de productivité, le profil démographique du pays pourrait devenir un fardeau et non un atout.
À cet égard, le premier budget annuel  du gouvernement Modi n’avait rien de très audacieux. Par contre si l’Inde parvient à instaurer un certain nombre d’initiatives, l’économie devrait connaître un élan réel. En fait, le trait principal du budget loge à l’enseigne des engagements d’investissement dans les infrastructures du secteur public, quitte à faire passer le déficit de l’année prochaine de 3,6 % à 3,9 % du PIB.
Depuis plusieurs années, je fais valoir le fait que l’Inde devrait accentuer les investissements, il est donc normal que je trouve ce changement encourageant. Le budget comporte également d’autres mesures utiles, comme la réduction du taux d’imposition des sociétés et les initiatives pour améliorer le cadre des affaires.
Mes visites à titre de président du comité d’examen sur la résistance antimicrobienne m’ont également permis de constater des signes encourageants. Dans mon livre The Growth Map  (Cartographie de la croissance), je décris une inoubliable première visite à Gurgaon, une municipalité proche de Delhi qui sert de pôle financier et industriel à la région. Gurgaon accueille un grand nombre de sociétés technologiques de haute voltige et lors de ce voyage j’ai rendu visite à l’un des chefs de file indiens du domaine du diagnostic, SRL Diagnostic, qui met au point des outils susceptibles d’optimiser l’utilisation des antibiotiques.
La dernière fois que j’ai fait le trajet entre l’hôtel Oberoi de New Delhi et la ville de Gurgaon, j’ai dû patienter deux heures et demie pour une distance de 30 km. Même si une nouvelle autoroute était en construction, la route était encombrée de véhicules et de bêtes. La circulation était en conséquence très chaotique et il était impossible d’effectuer des travaux de voirie.
Je me suis toujours dit que la prochaine fois que je ferai le voyage, je passerais, d’une façon ou d’une autre, exactement par le même chemin. Je suis ravi de pouvoir dire qu’il faut maintenant moins d’une heure pour se rendre à destination et que l’expérience était beaucoup moins stressante. En plus, la navette de l’hôtel qui m’y conduisait permettait de se brancher gratuitement sur le réseau sans-fil – une première que je n’ai jamais vue ailleurs dans le monde.
Il est probablement trop tôt pour affirmer que l’Inde occupera bientôt la troisième place au classement mondial des économies, derrière la Chine et les États-Unis. Or, vu le climat plus propice pour les investissements en Inde, ce moment pourrait bien arriver assez rapidement. D’ici 2017, l’Inde pourrait bien doubler l’Italie et le Brésil pour devenir la septième économie du monde; d’ici 2020, il est fort probable qu’elle supplantera la France et le Royaume-Uni au cinquième rang.
Toutefois, pour dépasser l’Allemagne et le Japon, il faudra prendre des mesures plus audacieuses, surtout en ce qui concerne l’éducation, la santé et les politiques économiques. L’Inde devra considérablement améliorer son système d’éducation, du secondaire à l'université. Des progrès de même ordre devront également être enregistrés dans les infrastructures sanitaires (sans parler de la mise en œuvre des recommandations de mon analyse des moyens de lutte contre la RAM).
Ces développements, ainsi qu’un cadre plus stable des politiques monétaires et budgétaires, pourraient mener au genre de croissance à deux chiffres que la Chine a connue ces trois dernières décennies. Il n’en tient qu’aux responsables politiques de l’Inde de réaliser cet objectif ambitieux.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Jim O’Neill est ex-président de Goldman Sachs Asset Management et président du comité d’examen sur la résistance antimicrobienne.
 
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