La réforme du travail figure depuis bien longtemps à l'agenda français. Dans un passé récent, quasiment tous les gouvernements se sont essayés à la réécriture d'un Code du travail extrêmement lourd, pour généralement céder par la suite aux protestations des syndicats. Macron ne se fait pas d'illusion sur la tâche qu'il entreprend, ayant lui-même décrit cette réforme comme une révolution copernicienne. Mais la situation est ici différente : bien que le deuxième plus grand syndicat du pays ait appelé à la grève générale, plusieurs signaux semblent indiquer que Macron bénéficiera du soutien politique dont il a besoin.
Les réformes de Macron visent à développer ce que l'on appelle par euphémisme la flexibilité du marché du travail. Les mesures proposées consistent à faciliter la possibilité pour les entreprises de licencier des employés, à décentraliser les négociations entre employeurs et employés des petites entreprises (en éliminant les accords collectifs au niveau des secteurs), ainsi qu'à plafonner les indemnités versées pour licenciement abusif, afin de soulager les entreprises face à l'imprévisibilité des dommages à verser dans le cadre des arbitrages. Ces mesures suppriment également une contrainte qui liaient jusqu'à présent les licenciements massifs à la rentabilité globale des grandes entreprises, qui pourront dorénavant licencier des employés sur la seule base de la rentabilité au niveau national.
La logique sous-jacente des réformes du travail voulues par Macron est celle qui fonde depuis une trentaine d'années l'agenda des réformes structurelles des acteurs de la politique économique et institutions internationales telles que le Fonds monétaire international et l'OCDE. Selon cette conception, une plus grande flexibilité permettrait aux entreprises françaises de s'adapter plus efficacement aux conditions changeantes du marché, de devenir ainsi plus compétitives et plus dynamiques, et par conséquent de booster l'économie française.
L'idée selon laquelle faciliter le licenciement des travailleurs permettrait de réduire le chômage, plutôt que de l'aggraver, n'est pas aussi déraisonnable qu'elle peut le sembler. Lorsque le coût lié au licenciement des travailleurs s'avère prohibitif, les entreprises peuvent préférer ne pas recruter de nouveaux employés, même en période de reprise du marché, par crainte de ne pouvoir réduire leur masse salariale en cas de ralentissement ultérieur du marché. Le coût d'une embauche représente un coût de licenciement, comme ont l'habitude de le dire les économistes. Réduisez vos coûts de licenciement, et vous réduirez également vos coûts de recrutement.
La réponse à la question de savoir si la réduction des coûts de licenciement dynamise ou non l'emploi dépend de l'équilibre entre ces deux facteurs compensatoires. Il faut observer si les entreprises se retrouvent davantage contraintes par les coûts de recrutement ou par les coûts de licenciement.
En période favorable, lorsque les entreprises visent l'expansion, ce sont les coûts de recrutement qui les contraignent, et la facilitation des licenciements vient alors lever un obstacle majeur à l'investissement et à l'expansion des capacités. En période plus difficile, la réduction des coûts de licenciement n'aboutit qu'à davantage de départs forcés. La réponse à la question de savoir lequel de ces facteurs prévaut dépend de l'état de la demande globale, ainsi que des « instincts » fondamentaux des employeurs.
Cette ambiguïté explique pourquoi il est difficile d'établir une relation empirique claire entre protection de l'emploi et performance du marché du travail, malgré l'enthousiasme de nombreux économistes et décideurs politiques autour des réformes visant une plus grande flexibilité. De nombreux éléments de preuve démontrent qu'une solide protection de l'emploi réduit effectivement le turnover des employés, à savoir le nombre de recrutements et de licenciements. S'agissant en revanche des niveaux globaux d'emploi et de chômage, la question reste ouverte, comme l'illustre une récente étude. Les données comparatives ne peuvent nous assurer que les réformes françaises aboutiront à une dynamisation de l'emploi.
La France est considérée comme appliquant un droit du travail particulièrement lourd. Pourtant, de nombreuses économies concurrentes du pays appliquent une protection tout aussi rigoureuse du marché du travail. En effet, d'après les indicateurs de l'OCDE relatifs à la protection de l'emploi, les travailleurs allemands et hollandais sous contrat à durée indéterminée bénéficient d'une sécurité encore plus poussée que les employés français (c'est dans le cadre des contrats à durée déterminée que le système français semble particulièrement restrictif).
Sur la base de certaines mesures, la France figurait seulement en deuxième position, derrière l'Allemagne, en termes de déréglementation du marché du travail avant la crise financière mondiale. Or, les taux de chômage enregistrés en Allemagne et aux Pays-Bas ne représentent qu'une fraction du taux de chômage français.
La véritable différence entre ces économies réside en ce que l'Allemagne et les Pays-Bas, contrairement à la France, enregistrent d'importants excédents de balance courante. Par opposition, la France présente un léger déficit de balance courante.
Les réformes consistant à développer la flexibilité du marché du travail bénéficieront-elles de la même manière à l’industrie française ? C’est possible. Ceci exigera néanmoins une net renforcement des instincts fondamentaux des industriels français. L’aspect psychologique pourrait en fin de compte jouer un rôle plus important que le détail des réformes elles-mêmes.
Dans ce débat technocratique, il est facile d'oublier que ce que les économistes appellent les « rigidités du marché du travail » sont en réalité une composante cruciale du dialogue social dans les économies capitalistes développées. Elles confèrent une sécurité des revenus et de l'emploi à des travailleurs dont l'existence serait à défaut soumise à des bouleversements tumultueux. Par ailleurs, comme le souligne l'économiste italien Giuseppe Bertola, elles peuvent se révéler efficaces même d'un point de vue strictement économique, dans la mesure où elles facilitent le nivellement des revenus du travail.
L'entourage de Macron a eu l'intelligence d'expliquer à quiconque prêtait l’oreille qu'il ne fallait pas attendre trop de choses du nouveau Code du travail. Les caractéristiques économiques des réformes suggèrent qu'elles ne devraient pas à elles seules produire une grande différence. La difficulté réside en ce que Macron ne dispose que d'un nombre réduit de cordes à son arc lorsqu'il s’agit de redynamiser la croissance économique française. En termes de politique macroéconomique, les mains du président français sont liées par la zone euro, étant par ailleurs peu probable que l'Allemagne contribue à booster l'investissement et les dépenses du pays. Ainsi, que cela plaise ou non à Macron, sa présidence sera probablement jugée sous l'angle des répercussions économiques et politiques de sa réforme du travail.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
Dani Rodrik, professeur en économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'Université d'Harvard, est l'auteur de l'ouvrage intitulé Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science .
Les réformes de Macron visent à développer ce que l'on appelle par euphémisme la flexibilité du marché du travail. Les mesures proposées consistent à faciliter la possibilité pour les entreprises de licencier des employés, à décentraliser les négociations entre employeurs et employés des petites entreprises (en éliminant les accords collectifs au niveau des secteurs), ainsi qu'à plafonner les indemnités versées pour licenciement abusif, afin de soulager les entreprises face à l'imprévisibilité des dommages à verser dans le cadre des arbitrages. Ces mesures suppriment également une contrainte qui liaient jusqu'à présent les licenciements massifs à la rentabilité globale des grandes entreprises, qui pourront dorénavant licencier des employés sur la seule base de la rentabilité au niveau national.
La logique sous-jacente des réformes du travail voulues par Macron est celle qui fonde depuis une trentaine d'années l'agenda des réformes structurelles des acteurs de la politique économique et institutions internationales telles que le Fonds monétaire international et l'OCDE. Selon cette conception, une plus grande flexibilité permettrait aux entreprises françaises de s'adapter plus efficacement aux conditions changeantes du marché, de devenir ainsi plus compétitives et plus dynamiques, et par conséquent de booster l'économie française.
L'idée selon laquelle faciliter le licenciement des travailleurs permettrait de réduire le chômage, plutôt que de l'aggraver, n'est pas aussi déraisonnable qu'elle peut le sembler. Lorsque le coût lié au licenciement des travailleurs s'avère prohibitif, les entreprises peuvent préférer ne pas recruter de nouveaux employés, même en période de reprise du marché, par crainte de ne pouvoir réduire leur masse salariale en cas de ralentissement ultérieur du marché. Le coût d'une embauche représente un coût de licenciement, comme ont l'habitude de le dire les économistes. Réduisez vos coûts de licenciement, et vous réduirez également vos coûts de recrutement.
La réponse à la question de savoir si la réduction des coûts de licenciement dynamise ou non l'emploi dépend de l'équilibre entre ces deux facteurs compensatoires. Il faut observer si les entreprises se retrouvent davantage contraintes par les coûts de recrutement ou par les coûts de licenciement.
En période favorable, lorsque les entreprises visent l'expansion, ce sont les coûts de recrutement qui les contraignent, et la facilitation des licenciements vient alors lever un obstacle majeur à l'investissement et à l'expansion des capacités. En période plus difficile, la réduction des coûts de licenciement n'aboutit qu'à davantage de départs forcés. La réponse à la question de savoir lequel de ces facteurs prévaut dépend de l'état de la demande globale, ainsi que des « instincts » fondamentaux des employeurs.
Cette ambiguïté explique pourquoi il est difficile d'établir une relation empirique claire entre protection de l'emploi et performance du marché du travail, malgré l'enthousiasme de nombreux économistes et décideurs politiques autour des réformes visant une plus grande flexibilité. De nombreux éléments de preuve démontrent qu'une solide protection de l'emploi réduit effectivement le turnover des employés, à savoir le nombre de recrutements et de licenciements. S'agissant en revanche des niveaux globaux d'emploi et de chômage, la question reste ouverte, comme l'illustre une récente étude. Les données comparatives ne peuvent nous assurer que les réformes françaises aboutiront à une dynamisation de l'emploi.
La France est considérée comme appliquant un droit du travail particulièrement lourd. Pourtant, de nombreuses économies concurrentes du pays appliquent une protection tout aussi rigoureuse du marché du travail. En effet, d'après les indicateurs de l'OCDE relatifs à la protection de l'emploi, les travailleurs allemands et hollandais sous contrat à durée indéterminée bénéficient d'une sécurité encore plus poussée que les employés français (c'est dans le cadre des contrats à durée déterminée que le système français semble particulièrement restrictif).
Sur la base de certaines mesures, la France figurait seulement en deuxième position, derrière l'Allemagne, en termes de déréglementation du marché du travail avant la crise financière mondiale. Or, les taux de chômage enregistrés en Allemagne et aux Pays-Bas ne représentent qu'une fraction du taux de chômage français.
La véritable différence entre ces économies réside en ce que l'Allemagne et les Pays-Bas, contrairement à la France, enregistrent d'importants excédents de balance courante. Par opposition, la France présente un léger déficit de balance courante.
Les réformes consistant à développer la flexibilité du marché du travail bénéficieront-elles de la même manière à l’industrie française ? C’est possible. Ceci exigera néanmoins une net renforcement des instincts fondamentaux des industriels français. L’aspect psychologique pourrait en fin de compte jouer un rôle plus important que le détail des réformes elles-mêmes.
Dans ce débat technocratique, il est facile d'oublier que ce que les économistes appellent les « rigidités du marché du travail » sont en réalité une composante cruciale du dialogue social dans les économies capitalistes développées. Elles confèrent une sécurité des revenus et de l'emploi à des travailleurs dont l'existence serait à défaut soumise à des bouleversements tumultueux. Par ailleurs, comme le souligne l'économiste italien Giuseppe Bertola, elles peuvent se révéler efficaces même d'un point de vue strictement économique, dans la mesure où elles facilitent le nivellement des revenus du travail.
L'entourage de Macron a eu l'intelligence d'expliquer à quiconque prêtait l’oreille qu'il ne fallait pas attendre trop de choses du nouveau Code du travail. Les caractéristiques économiques des réformes suggèrent qu'elles ne devraient pas à elles seules produire une grande différence. La difficulté réside en ce que Macron ne dispose que d'un nombre réduit de cordes à son arc lorsqu'il s’agit de redynamiser la croissance économique française. En termes de politique macroéconomique, les mains du président français sont liées par la zone euro, étant par ailleurs peu probable que l'Allemagne contribue à booster l'investissement et les dépenses du pays. Ainsi, que cela plaise ou non à Macron, sa présidence sera probablement jugée sous l'angle des répercussions économiques et politiques de sa réforme du travail.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
Dani Rodrik, professeur en économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'Université d'Harvard, est l'auteur de l'ouvrage intitulé Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science .