Le Brexit et l'avenir de l'Europe

Lundi 27 Juin 2016

La Grande-Bretagne avait conclu, il me semble, le meilleur de tous les accords possibles avec l'Union européenne, en étant membre du marché commun sans appartenir à l'euro et en ayant obtenu un certain nombre d'autres dérogations aux règles de l'UE. Et pourtant cela n'a pas suffi à empêcher l'électorat du Royaume-Uni de voter pour sa sortie de l'UE. Pourquoi ?


On peut trouver la réponse à cela dans les sondages d'opinion des mois qui ont précédé le référendum du « Brexit ». La crise européenne des migrants et le débat du Brexit se sont mutuellement ravivés. La campagne du « Leave » (favorable à la sortie de l'UE), a tiré parti de la détérioration de la situation des réfugiés (symbolisée par les images effrayantes de milliers de demandeurs d'asile concentrés à Calais, prêts à tout pour entrer en Grande-Bretagne par tous les moyens nécessaires), pour attiser la peur de l'immigration « incontrôlée » en provenance des autres États membres. Et les autorités européennes ont retardé d'importantes décisions sur la politique des réfugiés afin d'éviter un effet négatif sur le référendum britannique, en perpétuant ainsi les scènes de chaos comme celle de Calais.
La décision de la Chancelière allemande Angela Merkel d'ouvrir les portes de son pays aux réfugiés fut une source d'inspiration, mais elle n'a pas été correctement comprise, parce qu'elle a ignoré le facteur d'attraction. Un afflux soudain de demandeurs d'asile a perturbé les gens dans leur vie quotidienne à travers l'UE.
La panique du manque de contrôles adéquats a en outre créé une panique qui a touché tout le monde : la population locale, les autorités responsables de la sécurité publique et les réfugiés eux-mêmes. Elle a également ouvert la voie à la montée rapide des partis anti-européens xénophobes (comme le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni, qui a organisé la campagne du Leave), à l'heure où les gouvernements nationaux et les institutions européennes ont paru incapables de gérer la crise.
À présent que le scénario catastrophe redouté par de nombreuses personnes s'est concrétisé, la désintégration de l'Union européenne en est devenue quasi irréversible. La Grande-Bretagne sera en définitive peut-être relativement mieux lotie (peut-être pas), que les autres pays en quittant l'UE, mais son économie et les gens risquent bien d'en pâtir à court ou à moyen terme. La livre sterling a plongé à son plus bas niveau depuis plus de trois décennies immédiatement après le vote, et les marchés financiers mondiaux sont susceptibles de rester dans la tourmente, aussi longtemps que le processus long et compliqué de divorce politique et économique de l'UE sera en cours de négociation. Les conséquences pour l'économie réelle ne seront comparables qu'à la crise financière de 2007-2008.
Ce processus a toutes les chances d'être marqué par une incertitude supplémentaire et par des risques politiques, parce que ce qui est en jeu n'est pas seulement quelque avantage réel ou imaginaire pour la Grande-Bretagne, mais la survie même du projet européen. Le Brexit va ouvrir la porte aux autres forces anti-européennes au sein de l'Union. En effet, à peine annoncé le résultat du référendum, le Front National en France a lancé un appel au « Frexit », tandis que populiste néerlandais Geert Wilders a soutenu le « Nexit ».
En outre, le Royaume-Uni lui-même risque de ne pas survivre. L'Écosse, qui a massivement choisi de rester dans l'Union européenne, est susceptible de faire une autre tentative en vue de gagner son indépendance. Et certains dirigeants en Irlande du Nord, où les électeurs ont également choisi de rester au sein de l'Union européenne, ont déjà appelé à l'unification avec la République d'Irlande.
La réponse de l'UE à Brexit pourrait bien se transformer en un nouveau piège. Les dirigeants européens, désireux de dissuader d'autres États membres de suivre le mouvement, ne seront peut-être pas d'humeur à offrir au Royaume-Uni des conditions (en particulier concernant l'accès au marché unique de l’Europe), à même d'adoucir la douleur de son départ. Alors que l'UE représente la moitié du chiffre d'affaires du commerce britannique, l'impact sur les exportateurs pourrait être dévastateur (malgré un taux de change plus compétitif). Et avec les institutions financières, qui vont déplacer leurs opérations et leur personnel vers les centres de la zone euro d'ici les prochaines années, la City de Londres (et le marché du logement de Londres), ne seront pas épargnés par les retombées.
Mais les implications pour l'Europe pourraient être bien pires. Les tensions entre les États membres sont parvenues à un point de rupture, non seulement sur les réfugiés, mais aussi à la suite de tensions exceptionnelles entre pays créanciers et débiteurs au sein de la zone euro. Dans le même temps, les dirigeants affaiblis en France et en Allemagne se concentrent en ce moment sur leurs problèmes nationaux. En Italie, une chute de 10 % sur le marché boursier suite au vote du Brexit indique clairement la vulnérabilité du pays à une crise bancaire généralisée, qui pourrait bien amener au pouvoir dès l'année prochaine le mouvement Cinq Étoiles (celui-ci vient en effet de remporter la Mairie de Rome).
Rien de tout cela n'est de bon augure pour un programme sérieux de réforme de la zone euro, qui aurait dû inclure une union bancaire authentique, une union budgétaire limitée et des mécanismes de contrôle démocratique bien plus renforcés. Et le temps ne joue pas en faveur de l'Europe, car des pressions extérieures comme celles qui émanent de la Turquie et de la Russie (qui exploitent la discorde à leur avantage), viennent aggraver les luttes politiques internes de l'Europe.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Toute l'Europe, dont la Grande-Bretagne, risquent de subir les conséquences de la perte du marché commun et de la perte de valeurs communes que l'Union européenne vise à protéger. Pourtant l'UE se décompose et ne satisfait plus les besoins et les aspirations de ses citoyens. Elle se dirige vers une désintégration désordonnée qui va laisser l'Europe dans un état bien pire, comparé à celui où elle se trouverait si l'Union européenne n'avait pas jamais existé.
Mais nous ne devons pas abandonner. Certes l'Union européenne est une construction défectueuse. Après le Brexit, chacun de ceux d'entre nous qui croit en les valeurs et principes que l'UE a été conçue pour défendre, doit s'unir pour les préserver et les reconstruire complètement. Je suis convaincu qu'à mesure que les conséquences du Brexit vont se dérouler dans les semaines et les mois à venir, de plus en plus de gens vont nous rejoindre.
George Soros, président de Soros Fund Management et président d'Open Society Foundations.
 
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