"Le cloud et l’internet des objets sont l’avenir de Microsoft"

Samedi 11 Juillet 2015

Preston McAfee, Corporate vice-président de Microsoft et économiste en chef de la branche Technologie et Recherche de Microsoft revient, en exclusivité pour La Tribune, sur les défis qui attendent Microsoft, géant doublé par Google, Apple et Amazon, dans les années à venir.


"Le cloud et l’internet des objets sont l’avenir de Microsoft"
Sommité dans le monde de l'informatique, l'économiste Preston McAfee, ancien vice-président de Yahoo Research et ex-économiste chez Google, occupe depuis l'an dernier la fonction d'économiste en chef chez Microsoft.
L'ancien professeur d'économie à l'Institut californien de Technologie s'est vu affubler d'une mission périlleuse: dénicher de nouveaux relais de croissance et aider à la réorientation de la stratégie de Microsoft, géant en plein doute depuis plusieurs années suite aux échecs de sa division mobile et à la déception Windows 8. En pleine transition, Microsoft a annoncé l'an dernier la suppression de 18.000 emplois, la plupart au sein de la division mobile, auxquels se sont ajoutés ce mercredi l'annonce de la destruction de 7.800 postes supplémentaires, notamment chez Nokia.
De passage à Paris pour la Cloud Week, qui se tient cette semaine, Preston McAfee revient pour La Tribune sur la dernière décennie de Microsoft et sur les enjeux stratégiques de demain, notamment dans le cloud et l'Internet des objets. Entretien exclusif.
LA TRIBUNE. Il y a quinze ans, Microsoft était la première entreprise mondiale de la high tech. Aujourd'hui, on ne l'associe même plus aux géants du net, les fameux GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR]. Que s'est-il passé ?
PRESTON MCAFEE : On parle tout de même parfois de GAFAM, le M représentant Microsoft. Dans la dernière décennie, l'entreprise a eu du mal à prendre le virage de la mobilité en proposant au grand public des produits à la fois très simples d'utilisation et d'une grande complexité technique. Les smartphones et les tablettes sont des mini-ordinateurs que nous trimballons partout avec nous.
Dans ce registre, il faut reconnaître qu'Apple a été brillant car Steve Jobs a su donner au grand public exactement ce qu'il voulait, c'est-à-dire beaucoup de technologie concentrée dans des produits très intuitifs et facile à utiliser. Microsoft n'a pas su le faire. Pourtant, il a été le premier, en 2000, à apporter la complexité de l'ordinateur dans une tablette. C'était le Tablet PC, mais le dispositif était trop complexe, et donc il n'a pas pris auprès du grand public.
Pourquoi Microsoft a-t-il raté ce virage ?
Il ne faut pas oublier qu'à l'origine, Microsoft est une société d'informatique, un secteur que nous dominons toujours, soit dit en passant, grâce à Windows et Office. Le succès de Microsoft dans les PC vient du fait que les gens voulaient chez eux la même chose que ce qu'ils avaient au bureau: un système d'exploitation performant et pratique avec tout un écosystème de produits qui leur facilitent la vie, comme Office.
Or, la mobilité créée de nouveaux usages pour le grand public, et donc un besoin de nouveaux produits. Le marché des solutions pour les entreprises, dans lequel Microsoft excelle toujours, et le marché du grand public, aujourd'hui très mobile, sont deux choses complètement différentes. Malgré notre ambition d'équiper chaque personne avec des produits et des services Microsoft, notre ADN porte surtout sur les services aux entreprises. Google et Apple ont mieux su négocier ce virage, mais ce n'est pas une fatalité, bien au contraire.
Depuis l'arrivée de Satya Nadella en tant que directeur général l'an dernier, en remplacement de Steve Ballmer, Microsoft se cherche. Vente d'une partie de Bing Maps à Uber, réorganisation de la branche mobile ... Vous avez été recruté, selon Satya Nadella lui-même, pour définir de nouveaux business model et réorienter la stratégie de l'entreprise. Que lui avez-vous proposé ?
Microsoft vit une période de transition. En tant qu'ancien de Google et de Yahoo, où j'étais également économiste, je connais bien le secteur. Lorsque j'ai rencontré Satya Nadella, je ne lui ai pas exposé une vision, j'ai surtout écouté la sienne. C'est un homme brillant et charismatique. Je pense qu'une entreprise ne peut se développer et maximiser son potentiel que si elle est dirigée par la bonne personne, au bon moment. Satya Nadella est cette personne-là, car il comprend les attentes des consommateurs, particuliers et professionnels.
Sous sa vision, Microsoft est en train de se transformer, de passer d'une entreprise informatique à une société de cloud computing [informatique dématérialisée, NDLR]. C'est une formidable opportunité de croissance. Tous les services de Microsoft seront dans le nuage et amenés à interagir les uns avec les autres et avec d'autres objets. Car en plus du cloud, l'Internet des objets est la deuxième révolution qui va transformer drastiquement notre industrie dans les années à venir. Demain, ma voiture devra parler avec mon garage, qui sera connecté avec mon téléphone, lui-même connecté avec ma machine à café et tous les objets du quotidien.
Cela pose des défis de coordination et de traitement des données. L'Internet des objets va générer une masse incroyable et inédite de données. Il faut donc proposer une architecture cloud très puissante et développer des outils, comme l'analyse prédictive ou le machine learning[l'apprentissage machine, NDLR], pour apprendre à utiliser au mieux ces données. Grâce à ses services cloud, Microsoft a une longueur d'avance dans ces domaines et l'ambition d'être un leader. L'essentiel de mon travail porte d'ailleurs sur la manière d'utiliser et de monétiser les données pertinentes.
Comment rattraper Amazon Web Services, leader mondial, et de loin, dans le cloud pour les entreprises?
Amazon Web Services s'est lancé dans le cloud avant tout le monde avec un service visionnaire, qui a séduit des startups devenues des géants comme Netflix ou Pinterest. Mais nous avons clairement de quoi lutter. La difficulté est que les entreprises sont peu enclines à changer leur architecture réseau car il n'est pas facile de migrer d'un système à un autre. C'est pour cela que Microsoft s'est engagé dans des offres différentes, beaucoup plus complètes et souples que celles d'Amazon.
Notre système de gestion de base de données SQL est un gros succès et nous proposons aussi des outils inédits, notamment dans la gestion des pics de fréquentation, car les entreprises, dans le commerce par exemple mais pas seulement, ont besoin de plus d'espace à certains moments de l'année et moins à d'autres moments. Pour résumer, Amazon offre un service bon marché tandis que nous proposons davantage de qualité à bon prix. D'ailleurs, Microsoft a d'ailleurs le pourcentage de croissance le plus important de l'industrie du cloud.
Windows 10, qui sera lancé le 29 juillet, apparaît comme le symbole de cette nouvelle stratégie. Contrairement aux autres versions, il fonctionnera dans le cloud par mises à jour et laissera la part belle aux applications. Un moyen de créer un véritable écosystème évolutif autour de Microsoft comme Google le fait avec Android et Apple avec iOS ?
Il existe un écosystème autour de Microsoft depuis la création, dans les années 1980, du système d'exploitation MS-DOS. Mais il est vrai qu'aujourd'hui, changer de système d'exploitation tous les trois ans en achetant une nouvelle version de Windows n'est plus souhaitable au regard des nouveaux usages. Les applications sont au cœur de notre stratégie. Il faut donc que notre système d'exploitation s'inscrive dans la durée et que nous développions davantage de passerelles avec les autres systèmes et aussi les objets connectés.
Avec 3% du marché mondial des smartphones contre 81% pour Android et 15% pour l'iOS d'Apple, Windows Phone est considéré comme un échec. Comment Microsoft doit-il réorienter sa stratégie sur le mobile ?
Pour davantage d'efficacité, l'activité mobile doit être repensée pour réinventer la mobilité et créer un écosystème vibrant autour de nos téléphones. Pour inciter les utilisateurs à utiliser nos services, il faut encourager le développement des applications sur notre Windows Store. C'est pourquoi nous allons permettre d'ici à la fin de l'année l'installation d'applications Android sur nos téléphones. La fragmentation rend la vie des développeurs plus difficile, car ils ne veulent pas s'adapter à une multitude de systèmes d'exploitation.
Microsoft a aussi investi le champ de la réalité virtuelle avec son casque HoloLens. Qu'en espérez-vous ?
Nous travaillons beaucoup avec les développeurs dans le domaine de la réalité augmentée. La console X Box est un gros succès et la réalité virtuelle est une évolution majeure du jeu. Mais HoloLens pourrait aussi devenir un outil formidable pour développer des applications dans la sphère éducative ou pour améliorer l'expérience Skype.
Les spécialistes des marchés débattent sur l'existence d'une nouvelle "bulle Internet"  autour des géants de la Silicon Valley, qui atteignent des valorisations exorbitantes. Qu'en pensez-vous ?
Il y a clairement une nouvelle bulle Internet, qui me rappelle par certains aspects la bulle de 2000. La surévaluation de certaines compagnies est démentielle. Je ne comprends pas comment Snapchat ou Whattsapp peuvent être valorisées des dizaines de milliards de dollars. Même Facebook, qui est pourtant très fort dans la publicité en ligne, me semble surévalué, tout comme Pinterest.
Cette bulle pourrait exploser. Microsoft ne fait pas partie de ces entreprises à risque. Une explosion de la bulle Internet pourrait même nous profiter car nous pourrions alors racheter certaines sociétés qui nous sont aujourd'hui inaccessibles.
Ces derniers temps, l'Europe a intensifié son bras de fer avec les géants du net, comme le montrent les enquêtes sur les pratiques fiscales d'Amazon ou sur les pratiques supposées anticoncurrentielles de Google et d'Apple, entre autres. Microsoft, condamné pour la dernière fois en 2013 , a versé près de 2,2 milliards d'euros d'amende en dix ans à l'Europe. Que pensez-vous de la détérioration des relations entre l'UE et les géants du net ?
La volonté de favoriser l'essor de géants européens du numérique est légitime. L'Europe dispose d'un marché énorme et d'un niveau de vie moyen supérieur à celui des Etats-Unis, ce qui en fait un territoire propice au développement de services technologiques. En revanche, les Etats-Unis sont plus accueillants pour l'innovation. L'une des raisons du succès du secteur de la haute technologie aux Etats-Unis est qu'il est très facile de créer une entreprise et de faire des ajustements, notamment au niveau de la masse salariale.
En Europe, le marché du travail est beaucoup plus contraignant avec toutes ces lois. Peut-être que l'Europe devrait plutôt travailler à favoriser le développement de ses startups et lever les freins à l'innovation, comme le fait la France avec la French Tech.
 Latribune.fr
NTIC


Nouveau commentaire :

Assurance | Environnement | Energie | BRVM | Santé | NTIC | Transport | Tourisme & Pêche | Agriculture & Elevage | Commerce | Education




En kiosque.














Inscription à la newsletter