Le mirage des réformes structurelles

Jeudi 15 Octobre 2015

Chaque programme économique imposé à la Grèce par ses créanciers depuis que la crise financière a frappé en 2009 s'est maintenu autour d'une prétention centrale : que les réformes structurelles, conçues et mises en œuvre avec audace sans écart, allaient entraîner une reprise économique rapide. La Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds Monétaire International avaient prévu que l'austérité budgétaire serait coûteuse en revenus et en emploi : ces instituions ont toutefois considérablement sous-estimé à quel point cette austérité serait coûteuse. Mais elles ont fait valoir que des réformes favorables au marché, longtemps retardées (et indispensables) se traduiraient par une hausse compensatoire de l'économie grecque.


Toute évaluation sérieuse des résultats réels obtenus par les réformes structurelles de par le monde (en particulier en Amérique latine et en Europe de l'Est depuis 1990), aurait tempéré l'enthousiasme de ces attentes. La privatisation, la déréglementation et la libéralisation produisent généralement au mieux la croissance à plus long terme, avec des effets à court terme souvent négatifs.
Cela ne veut pas dire que les gouvernements ne savent pas planifier des décollages rapides de la croissance. En fait, de telles accélérations de croissance sont assez courantes  de par le monde. Mais elles sont associées à la suppression plus ciblée et plus sélective des principaux obstacles, plutôt qu'à la large libéralisation et à des efforts de réforme à l'échelle de l'économie.
La théorie sous-jacente aux réformes structurelles est simple : ouvrir l'économie à la concurrence va augmenter l'efficacité dans l'allocation des ressources. Avec l'ouverture des professions réglementées (par exemple les pharmacies, les notaires et les taxis), les fournisseurs inefficaces seront remplacés par des entreprises plus productives. Une privatisation des entreprises publiques et une nouvelle direction vont rationaliser la production (et se débarrasser de tous les travailleurs surnuméraires qui doivent leur emploi au favoritisme politique).
Ces changements ne provoquent pas directement la croissance économique, mais ils augmentent le potentiel de l'économie ou ses revenus à long terme. La croissance se produit quand l'économie commence à converger vers ce niveau de revenus plus élevé à long terme.
De nombreuses études universitaires montrent  que le taux de convergence tend à être d'environ 2% par an. Autrement dit, chaque année une économie tend à réduire de 2% l'écart entre le niveau de ses revenus réels et potentiels.
Cette estimation nous permet de mesurer l'ampleur de la croissance que nous pouvons attendre des réformes structurelles. Soyons hyper-optimistes et supposons que les réformes structurelles permettent à la Grèce de doubler son revenu potentiel sur trois ans (en poussant le PIB grec par habitant de manière significative au-delà de la moyenne de l'Union européenne). Si l'on applique les calculs de convergence, ceci devrait produire une poussée annuelle de croissance d'environ 1,3% seulement, en moyenne, au cours des trois années à venir. Pour mettre ce chiffre en perspective, rappelons que le PIB grec a diminué de 25% depuis 2009.
Ainsi, si les réformes structurelles n'ont pas porté leurs fruits en Grèce, ce n'est pas parce que les gouvernements grecs se sont relâchés. Les états de service de la Grèce sur leur mise en œuvre sont en fait assez bons. De 2010 à 2015, la Grèce est remontée de près de 40 places  dans les classements d'affaires de Banque mondiale. En revanche, la déception actuelle découle de la logique même des réformes structurelles : la plupart des bénéfices n'arrivent que beaucoup plus tard, mais pas quand un pays en a vraiment besoin.
Il y a une autre stratégie qui pourrait produire une croissance nettement plus rapide. Une approche sélective qui ciblerait les « contraintes actives »  : ces secteurs où les retours de croissance sont les plus importants, maximiseraient les premiers bénéfices. Cela permettrait également de s'assurer que les autorités grecques dépensent le précieux capital politique et humain dans des batailles qui en valent la peine.
Quelles contraintes actives sur l'économie grecque faut-il donc viser ?
Le plus fort impact des mesures de réforme pourrait être obtenu à partir d'une meilleure rentabilité des biens échangeables : en stimulant les investissements et l'entrepreneuriat dans les activités d'exportation existantes et nouvelles. Naturellement, la Grèce manque de l'instrument le plus direct pour réaliser ceci : la dépréciation monétaire, à cause de son adhésion de la zone euro. Mais l'expérience des autres pays fournit une riche gamme d'autres outils pour promouvoir les exportations, depuis les incitations fiscales pour les zones spéciales, aux projets ciblés d'infrastructure.
Le plus instamment, la Grèce doit créer une institution proche du Premier ministre, qui est chargé de stimuler un dialogue avec les investisseurs potentiels. Cette institution a besoin de l'autorisation d'éliminer les obstacles qu'elle identifie, plutôt que de voir ses propositions languir dans différents ministères. Ces obstacles sont typiquement très spécifiques (ici une réglementation de zonage, un programme de formation), et ont peu de chances d'être bien ciblées par de vastes réformes structurelles.
L'absence jusqu'à présent d'une focalisation sur les biens échangeables a été coûteuse. Les différentes réformes ont eu des effets contradictoires sur la compétitivité à l'exportation. Par exemple dans l'industrie, les avantages de compétitivité des réductions de salaire (« dévaluation interne ») ont été compensés  par des augmentations des coûts énergétiques qui ont résulté des mesures d'austérité budgétaire et des ajustements de prix dans les entreprises publiques. Une stratégie de réforme plus ciblée aurait pu protéger de ces effets néfastes les activités d'exportation.
Des réformes structurelles conventionnelles ont tendance à pencher en faveur des « meilleures pratiques » : les remèdes politiques censés être universellement valables. Mais comme les pays prospères du monde entier l'ont découvert, une mentalité de meilleures pratiques n'aide pas beaucoup à promotion de nouvelles exportations. N'ayant pas sa propre monnaie, le gouvernement grec devra se montrer particulièrement créatif et imaginatif.
En particulier, l'expérience d'autres pays suggère qu'une réaction rapide sur le plan de l'offre va sûrement demander des politiques sélectives et discrétionnaires en faveur des exportateurs, plutôt que des politiques « horizontales » que les partisans des réformes structurelles conventionnelles préfèrent. Il y a là un paradoxe : plus la stratégie macro et budgétaire de la Grèce sera orthodoxe, plus sa stratégie de croissance devra être hétérodoxe.
Dani Rodrik, professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government à Harvard.
 
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