Les inégalités aux Etats-Unis explosent, on le sait. Alors que les bas revenus tendent à baisser - en valeur réelle, une fois l'inflation prise en compte -, que la classe moyenne voit ses ressources stagner, le niveau de vie des 5% les plus riches, surtout celui de la petite catégorie des 1% les plus aisés, ne cesse de progresser. La crise l'a à peine amputé, les revenus de cette minorité repartant de l'avant dès 2010.
Dans l'esprit de nombreux Français, il s'agit là d'un phénomène mondial - concernant tous les pays industriels -, qui touche aussi bien l'Europe que le États-Unis. Le graphique ci-dessous montre la réalité d'une situation qui a évolué différemment en France et aux États-Unis. En France, on a noté une hausse sensible des salaires des cadres dirigeants au début des années 2000, comme l'a souligné une étude de Camille Landais. Il en a résulté une hausse de la part des revenus que s'arroge la petite minorité des 1% : elle avait droit à 7% des revenus distribués au milieu des années 1990, cette part est montée jusqu'à 9% en 2008, juste avant la crise. Elle a ensuite reculé sous l'effet de cette même crise.
Rien à voir avec la situation qui prévaut aux États-Unis. Si les 1% plus riches touchaient grosso modo la même proportion du revenu global en France et aux États-Unis au milieu des années 1970, les riches américains se sont arrogés une part du gâteau en croissance exponentielle : elle est passée de 8% à près de 20%. Soit une multiplication par 2,5, alors qu'en France, on peut évoquer une hausse limitée à 15.
Et le phénomène s'amplifie : sur les trois dernières années, la quasi-totalité de la hausse du revenu global est allée dans la poche de cette petite minorité, selon les statistiques américaines présentées par un économiste spécialiste des inégalités, Emmanuel Saez.
La demande des ménages devrait donc tendre à baisser aux États-Unis. Comme l'explique l'économiste Patrick Artus, dans une note de Natixis qu'il vient de publier, quand le revenu réel de la classe moyenne ne suit pas les gains de productivité - ce qui est le cas aux États-Unis -, il s'ensuit une « faiblesse de la demande des ménages (les ménages à revenu élevé ont une propension à épargner élevée) », qui entraîne « l'affaiblissement de l'investissement des entreprises et donc de la productivité » et, enfin,« une perte de croissance potentielle ».
Comment l'expliquer ? Patrick Artus avance plusieurs arguments, comme le fait que les consommateurs américains ont pu avoir largement recours au crédit. Mais cette explication vaut surtout pour le début et le milieu des années 2000 - on pense bien sûr aux subprimes. Depuis la crise, la dette des ménages a considérablement reflué. L'économiste cite également des effets de richesse : les ménages s'enrichissant avec la hausse du prix de l'immobilier, ils ont tendance à consommer plus. Mais comment le faire sans crédit ?
Autre possibilité : la faiblesse des salaires a permis à nombre d'entreprises de constituer des marges importantes, et donc d'investir. Surtout, les entreprises industrielles sont redevenues compétitives, d'où une ré-industrialisation des États-Unis. Si l'on compare l'évolution de la production industrielle en France et aux États-Unis, le contraste est effectivement saisissant : outre-Atlantique, c'est l'envolée depuis le creux de 2009, le niveau de production d'avant crise est largement dépassé, tandis qu'en France, c'est le marasme, la production manufacturière reste aujourd'hui inférieure de 14% à son niveau de début 2008.
Cette dernière hypothèse semble la plus convaincante : même si le taux d'emploi a diminué aux États-Unis, il reste nettement plus élevé qu'en France. Autrement dit, les salariés y sont de plus en plus pauvres - ou ils voient leur niveau de vie stagner, pour la classe moyenne - mais ils sont toujours plus nombreux. D'où une hausse globale de la consommation...
Mais cela ne suffit pas à expliquer l'envolée de la consommation américaine. Qui reste, au moins pour partie, mystérieuse.
Latribune.fr
Dans l'esprit de nombreux Français, il s'agit là d'un phénomène mondial - concernant tous les pays industriels -, qui touche aussi bien l'Europe que le États-Unis. Le graphique ci-dessous montre la réalité d'une situation qui a évolué différemment en France et aux États-Unis. En France, on a noté une hausse sensible des salaires des cadres dirigeants au début des années 2000, comme l'a souligné une étude de Camille Landais. Il en a résulté une hausse de la part des revenus que s'arroge la petite minorité des 1% : elle avait droit à 7% des revenus distribués au milieu des années 1990, cette part est montée jusqu'à 9% en 2008, juste avant la crise. Elle a ensuite reculé sous l'effet de cette même crise.
Une part du gâteau exponentielle, pour 1% des américains
Rien à voir avec la situation qui prévaut aux États-Unis. Si les 1% plus riches touchaient grosso modo la même proportion du revenu global en France et aux États-Unis au milieu des années 1970, les riches américains se sont arrogés une part du gâteau en croissance exponentielle : elle est passée de 8% à près de 20%. Soit une multiplication par 2,5, alors qu'en France, on peut évoquer une hausse limitée à 15.
Et le phénomène s'amplifie : sur les trois dernières années, la quasi-totalité de la hausse du revenu global est allée dans la poche de cette petite minorité, selon les statistiques américaines présentées par un économiste spécialiste des inégalités, Emmanuel Saez.
Comment consommer sans revenu?
Ce phénomène américain soulève plusieurs questions. Certaines d'ordre sociologique - comment vont évoluer les structures sociales avec une tel creusement des écarts de revenus ? -, d'autres sont plus macro-économiques : comment la consommation ne peut-elle pas s'effondrer dans un pays où tout le revenu supplémentaire va chaque année dans la poche d'une infime minorité, dont l'épargne est nécessairement élevée : on peut certes acheter deux réfrigérateurs, plusieurs smartphones ou encore trois voitures, mais les plus riches ont toujours eu tendance à épargner une plus grande partie de leur revenu que les ménages moyens.La demande des ménages devrait donc tendre à baisser aux États-Unis. Comme l'explique l'économiste Patrick Artus, dans une note de Natixis qu'il vient de publier, quand le revenu réel de la classe moyenne ne suit pas les gains de productivité - ce qui est le cas aux États-Unis -, il s'ensuit une « faiblesse de la demande des ménages (les ménages à revenu élevé ont une propension à épargner élevée) », qui entraîne « l'affaiblissement de l'investissement des entreprises et donc de la productivité » et, enfin,« une perte de croissance potentielle ».
Quand la réalité contredit la théorie...
Or, à voir les statistiques américaines, rien de tout cela ne se produit. La demande des ménages (consommation plus investissement en logement) a progressé et continue de progresser beaucoup plus vite aux États-Unis qu'en France (cf graphique). En outre, l'investissement des entreprises ne faiblit pas, contrairement à ce que suggère la théorie économique.Comment l'expliquer ? Patrick Artus avance plusieurs arguments, comme le fait que les consommateurs américains ont pu avoir largement recours au crédit. Mais cette explication vaut surtout pour le début et le milieu des années 2000 - on pense bien sûr aux subprimes. Depuis la crise, la dette des ménages a considérablement reflué. L'économiste cite également des effets de richesse : les ménages s'enrichissant avec la hausse du prix de l'immobilier, ils ont tendance à consommer plus. Mais comment le faire sans crédit ?
Un phénomène de ré industrialisation
Autre possibilité : la faiblesse des salaires a permis à nombre d'entreprises de constituer des marges importantes, et donc d'investir. Surtout, les entreprises industrielles sont redevenues compétitives, d'où une ré-industrialisation des États-Unis. Si l'on compare l'évolution de la production industrielle en France et aux États-Unis, le contraste est effectivement saisissant : outre-Atlantique, c'est l'envolée depuis le creux de 2009, le niveau de production d'avant crise est largement dépassé, tandis qu'en France, c'est le marasme, la production manufacturière reste aujourd'hui inférieure de 14% à son niveau de début 2008.
Cette dernière hypothèse semble la plus convaincante : même si le taux d'emploi a diminué aux États-Unis, il reste nettement plus élevé qu'en France. Autrement dit, les salariés y sont de plus en plus pauvres - ou ils voient leur niveau de vie stagner, pour la classe moyenne - mais ils sont toujours plus nombreux. D'où une hausse globale de la consommation...
Mais cela ne suffit pas à expliquer l'envolée de la consommation américaine. Qui reste, au moins pour partie, mystérieuse.
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