Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York
Selon le FMI, le PIB de la Chine atteindra cette année 17600 milliards de dollars, dépassant de 17400 milliards celui des USA. Mais la population chinoise étant plus de quatre fois plus nombreuse, son PIB par habitant de 12 900 dollars représente moins du quart de celui des USA qui s'élève à 54 700 dollars, ce qui montre que le niveau de vie y est bien plus élevé.
La montée en puissance de la Chine est certes remarquable, mais elle marque aussi le retour à la situation antérieure. Depuis qu'elle est un Etat unifié, il y a plus de 2000 ans, elle est le pays le plus peuplé de la planète ; il n'est donc pas très étonnant qu'elle en soit aussi la première puissance économique. Il semble qu'elle ait été la première puissance économique mondiale (à parité de pouvoir d'achat) jusqu'en 1889, quand les USA l'ont éclipsée. Aujourd'hui, 125 années plus tard, il y a à nouveau renversement de situation en raison des décennies de développement rapide de la Chine.
La montée en puissance de l'économie de la Chine s'est accompagnée d'une influence géopolitique croissante. Beaucoup de pays européens la considère comme la clé de leur croissance sur le plan intérieur et les dirigeants africains comme leur nouveau partenaire indispensable à leur croissance, notamment en terme de développement des infrastructures et des entreprises.
De la même manière, les experts en stratégie économique et les principaux chefs d'entreprise d'Amérique latine voient maintenant un peu du même oeil la Chine et les USA. La Chine et le Japon paraissent vouloir améliorer leurs relations après une période de fortes tensions. Même la Russie a récemment revu sa politique à l'égard de la Chine et renforcé ses liens avec elle sur de nombreux fronts, en particulier l'énergie et le transport.
A l'image des USA après la Deuxième Guerre mondiale, la Chine investit de l'argent - beaucoup d'argent - pour tisser des liens économiques étroits avec de nombreux pays à travers le monde et améliorer leurs infrastructures. Cela permettra à ces pays de doper leur propre croissance, tout en cimentant le leadership économique et géopolitique de la Chine sur la scène internationale.
Le nombre de projets lancés par le Chine est étonnant. Elle est à l'origine de quatre grandes initiatives qui devraient accroître considérablement son rôle au sein de la finance et du commerce mondial. Avec la Russie, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud, elle a créé la Nouvelle Banque de Développement qui doit être basée à Shanghai. Une nouvelle Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures qui sera basée à Pékin participera au financement de projets d'infrastructure (entre autres routes, rail et énergie) dans toute la région. La nouvelle Route de la soie devrait relier les pays d'Asie de l'Est, d'Asie du Sud et du Centre, ainsi que l'Europe, au moyen notamment d'un réseau étendu de voies ferroviaires, d'autoroutes, de fibres optiques et de systèmes de distribution d'énergie. Et la Route maritime de la soie du 21° siècle doit doper le commerce maritime en Asie de l'Est et dans l'Océan Indien.
Ces divers projets vont sans doute susciter des centaines de milliards de dollars d'investissement au cours de la prochaine décennie, accélérer la croissance des partenaires de la Chine par l'accroissement de leur production et de leurs échanges commerciaux et resserrer leurs liens financiers avec elle.
Rien ne garantit que tout cela réussira ou se fera aisément. Si la Chine devient trop agressive à l'égard des pays voisins - par exemple en exigeant d'exploiter les gisements de pétrole offshore ou en revendiquant les îles situées dans les zones maritimes qui font l'objet de contestation dans la région - son attitude aura de graves conséquences diplomatiques. Elle doit faire face à d'énormes défis sur le plan intérieur - qu'il s'agisse des fortes inégalités de revenus qui continuent à se creuser, de l'énorme pollution de l'air et de l'eau, de la nécessité d'évoluer vers une économie à faible émission de carbone ou des risques d'instabilité des marchés financiers qui menacent également les USA et l'Europe. Personne n'imagine que les années à venir se dérouleront sans problème pour la Chine (ni d'ailleurs pour les autres régions du monde en ce qui concerne ces différents problèmes).
Alors que la Chine poursuit sa montée en puissance économique et géopolitique, il est frappant de voir les USA faire tout leur possible pour perdre leur avance économique, technologique et géopolitique. Leur système politique est accaparé par l'avidité de ses élites fortunées dont l'objectif se limite à diminuer les impôts des entreprises et des personnes, accroître au maximum leur énorme richesse personnelle et affaiblir le leadership américain dans le développement économique mondial dans ce qu'il a de constructif. Elles s'opposent à l'aide au développement apportée par les USA aux autres pays au point d'avoir ouvert largement la porte au nouveau leadership mondial de la Chine dans le financement au développement.
Pire encore, alors que la Chine fait valoir son rôle géopolitique, en politique étrangère les USA restent fixés sur le Moyen-Orient où ils se lancent dans des guerres incessantes et vaines. De la même manière qu'ils l'ont fait au Vietnam, ils gaspillent à n'en plus finir leurs ressources et leur énergie en Syrie et en Irak. Pendant ce temps, la Chine évite de s'embourber dans des conflits militaires et préfère se lancer dans des projets économiques gagnant-gagnant à l'étranger.
La montée en puissance de la Chine peut contribuer au bien-être général si ses dirigeants encouragent les investissements dans les infrastructures, l'énergie propre, la santé publique et encore d'autres domaines qui constituent des priorités internationales. Néanmoins le monde se porterait mieux si les USA conservaient un leadership constructif aux cotés de la Chine. Le récent communiqué sino-américain relatif à un accord bilatéral sur le réchauffement climatique et à l'énergie propre est le meilleur de ce qui est réalisable, tandis que les guerres incessantes de l'Amérique au Moyen-Orient en sont le pire.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour les Objectifs du millénaire pour le développement.
La montée en puissance de la Chine est certes remarquable, mais elle marque aussi le retour à la situation antérieure. Depuis qu'elle est un Etat unifié, il y a plus de 2000 ans, elle est le pays le plus peuplé de la planète ; il n'est donc pas très étonnant qu'elle en soit aussi la première puissance économique. Il semble qu'elle ait été la première puissance économique mondiale (à parité de pouvoir d'achat) jusqu'en 1889, quand les USA l'ont éclipsée. Aujourd'hui, 125 années plus tard, il y a à nouveau renversement de situation en raison des décennies de développement rapide de la Chine.
La montée en puissance de l'économie de la Chine s'est accompagnée d'une influence géopolitique croissante. Beaucoup de pays européens la considère comme la clé de leur croissance sur le plan intérieur et les dirigeants africains comme leur nouveau partenaire indispensable à leur croissance, notamment en terme de développement des infrastructures et des entreprises.
De la même manière, les experts en stratégie économique et les principaux chefs d'entreprise d'Amérique latine voient maintenant un peu du même oeil la Chine et les USA. La Chine et le Japon paraissent vouloir améliorer leurs relations après une période de fortes tensions. Même la Russie a récemment revu sa politique à l'égard de la Chine et renforcé ses liens avec elle sur de nombreux fronts, en particulier l'énergie et le transport.
A l'image des USA après la Deuxième Guerre mondiale, la Chine investit de l'argent - beaucoup d'argent - pour tisser des liens économiques étroits avec de nombreux pays à travers le monde et améliorer leurs infrastructures. Cela permettra à ces pays de doper leur propre croissance, tout en cimentant le leadership économique et géopolitique de la Chine sur la scène internationale.
Le nombre de projets lancés par le Chine est étonnant. Elle est à l'origine de quatre grandes initiatives qui devraient accroître considérablement son rôle au sein de la finance et du commerce mondial. Avec la Russie, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud, elle a créé la Nouvelle Banque de Développement qui doit être basée à Shanghai. Une nouvelle Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures qui sera basée à Pékin participera au financement de projets d'infrastructure (entre autres routes, rail et énergie) dans toute la région. La nouvelle Route de la soie devrait relier les pays d'Asie de l'Est, d'Asie du Sud et du Centre, ainsi que l'Europe, au moyen notamment d'un réseau étendu de voies ferroviaires, d'autoroutes, de fibres optiques et de systèmes de distribution d'énergie. Et la Route maritime de la soie du 21° siècle doit doper le commerce maritime en Asie de l'Est et dans l'Océan Indien.
Ces divers projets vont sans doute susciter des centaines de milliards de dollars d'investissement au cours de la prochaine décennie, accélérer la croissance des partenaires de la Chine par l'accroissement de leur production et de leurs échanges commerciaux et resserrer leurs liens financiers avec elle.
Rien ne garantit que tout cela réussira ou se fera aisément. Si la Chine devient trop agressive à l'égard des pays voisins - par exemple en exigeant d'exploiter les gisements de pétrole offshore ou en revendiquant les îles situées dans les zones maritimes qui font l'objet de contestation dans la région - son attitude aura de graves conséquences diplomatiques. Elle doit faire face à d'énormes défis sur le plan intérieur - qu'il s'agisse des fortes inégalités de revenus qui continuent à se creuser, de l'énorme pollution de l'air et de l'eau, de la nécessité d'évoluer vers une économie à faible émission de carbone ou des risques d'instabilité des marchés financiers qui menacent également les USA et l'Europe. Personne n'imagine que les années à venir se dérouleront sans problème pour la Chine (ni d'ailleurs pour les autres régions du monde en ce qui concerne ces différents problèmes).
Alors que la Chine poursuit sa montée en puissance économique et géopolitique, il est frappant de voir les USA faire tout leur possible pour perdre leur avance économique, technologique et géopolitique. Leur système politique est accaparé par l'avidité de ses élites fortunées dont l'objectif se limite à diminuer les impôts des entreprises et des personnes, accroître au maximum leur énorme richesse personnelle et affaiblir le leadership américain dans le développement économique mondial dans ce qu'il a de constructif. Elles s'opposent à l'aide au développement apportée par les USA aux autres pays au point d'avoir ouvert largement la porte au nouveau leadership mondial de la Chine dans le financement au développement.
Pire encore, alors que la Chine fait valoir son rôle géopolitique, en politique étrangère les USA restent fixés sur le Moyen-Orient où ils se lancent dans des guerres incessantes et vaines. De la même manière qu'ils l'ont fait au Vietnam, ils gaspillent à n'en plus finir leurs ressources et leur énergie en Syrie et en Irak. Pendant ce temps, la Chine évite de s'embourber dans des conflits militaires et préfère se lancer dans des projets économiques gagnant-gagnant à l'étranger.
La montée en puissance de la Chine peut contribuer au bien-être général si ses dirigeants encouragent les investissements dans les infrastructures, l'énergie propre, la santé publique et encore d'autres domaines qui constituent des priorités internationales. Néanmoins le monde se porterait mieux si les USA conservaient un leadership constructif aux cotés de la Chine. Le récent communiqué sino-américain relatif à un accord bilatéral sur le réchauffement climatique et à l'énergie propre est le meilleur de ce qui est réalisable, tandis que les guerres incessantes de l'Amérique au Moyen-Orient en sont le pire.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour les Objectifs du millénaire pour le développement.