Nous devons louer les efforts de la Chine, de l’Inde, des États-Unis et de l’Union européenne pour leurs engagements préalables à la Conférence de Paris en matière d’interventions climatiques. L’engagement de ces pays a créé un sens des responsabilités, un climat de confiance et des solidarités qui ont permis à 195 nations non seulement de s’accorder dans le cadre d’une entente ponctuelle, mais de mettre en branle une série de cycles quinquennaux de plus en plus ambitieux pour réduire à zéro les émissions de gaz à effets de serre avant la fin du siècle. C’est un message sans équivoque que l’ère du carbone en arrive à un point d’inflexion ; ce qui, en retour, fera augmenter les investissements en énergie renouvelable.
Les pays se sont également engagés à redoubler d’effort pour protéger les populations les plus démunies, en visant à restreindre le réchauffement moyen du globe terrestre à un niveau aussi bas que 1,5 °C au-dessus des températures prévalant avant l’ère industrielle. Et les pays développés ont mis en jeu au moins 100 milliards $ de financement annuel de projets d’atténuation des changements climatiques. Pour la première fois, un accord international offre des fonds aux pays les moins développés pour compenser une partie des pertes et des dommages provoqués par les turbulences du climat.
Pour remplir les objectifs de l’accord de Paris, nous devons toutefois vérifier que tiennent promesse les États qui y souscrivent. Les cibles nationales de réduction des émissions sont volontaires, ne font pas partie de l’accord comme tel, n’ayant donc pas force de loi. En termes concrets et sur le plan pratique, rien n'y est spécifié pour ralentir l’extraction des combustibles ou pour faire en sorte que les pays les plus polluants cessent de produire de l’électricité à partir du charbon. Les pays développés ne se sont pas commis individuellement et l’année où commence l’aide à l’adaptation n’est pas encore déterminée. Il faudra rester vigilant et exiger que le financement réservé aux projets pour contrer les changements climatiques soit suffisant pour que les pays moins développés puissent s’adapter aux changements climatiques actuels et futurs.
Tout cela doit se dérouler au plus vite. Les effets cumulés de décennies d’émissions ne laissent aucune place à une solution de dernier recours.
En Afrique, les changements climatiques sont déjà tenus responsables de la baisse du tirant d’eau dans les fleuves de l’Afrique de l’Ouest, de la disparition des récifs de corail dans les eaux tropicales, d’une production de fruits en baisse dans les régions limitrophes du Sahel, de la réduction des stocks de poisson dans l’Afrique des Grands Lacs et de la propagation du paludisme dans les hauts plateaux du Kenya. Si nous ne réduisons pas substantiellement dans les émissions de gaz à effet de serre, le portrait sera encore plus glauque. En menaçant les besoins humains de base, comme la nourriture et l’eau, les changements climatiques agiront comme des catalyseurs d’instabilité, de migrations et de conflits, dont l’Afrique paiera le prix fort.
Heureusement, nous savons maintenant qu’il est possible d’éviter les changements climatiques menant à la catastrophe tout en assurant les besoins en énergie de la croissance économique et de la création d’emploi nécessaires pour sortir des millions de personnes de la pauvreté. Les multiples avantages de suivre une trajectoire de développement à faible teneur en carbone ne résident pas uniquement dans une meilleure qualité de l’air ou dans une plus grande sécurité énergétique, mais aussi dans les perspectives d’avenir découlant de modes de production décentralisés d’énergies renouvelables.
Ces débouchés sont particulièrement importants pour l’Afrique, ou plus de 620 millions de personnes vivent sans électricité. La baisse constante des coûts de l’énergie solaire, des piles, et de l’éclairage DEL se traduit par des sources modernes d’énergie renouvelable désormais abordables. Ainsi, au Kenya, des femmes Masaï du lac Magadi ont reçu une formation pour installer des panneaux solaires qui ont amené l’électricité à 2 000 ménages en quelques deux années.
Or, pour réaliser ce potentiel économique et social, les dirigeants africains doivent s’attaquer à la corruption. Ils doivent rendre plus transparente la gestion des services publics, renforcer les réglementations et engager plus de fonds publics dans les infrastructures énergétiques.
Les investissements et le financement externe doivent suivre. Il ne s’agit point d’aide, mais de justice, car l’Afrique contribue si peu aux émissions mondiales, alors qu’elle risque de pâtir le plus des changements climatiques. Les investissements dans l’énergie à faible empreinte de carbone représentent également un intérêt commercial certain : ils favorisent les sociétés de technologie et l’entrepreneuriat social à l’échelle mondiale.
Je trouve de bon augure que deux initiatives aient été lancées à Paris pour nous engager davantage dans la voie des énergies renouvelables. L’Europe et le Canada ont pris l’engagement d’investir 10 milliards $ dans un projet de grande envergure nommé l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, qui vise à installer dix gigawatts de capacité d’énergie solaire, éolienne et géothermique d’ici la fin de la décennie. La France et l’Inde ont aussi lancé l’Alliance solaire internationale pour recueillir plus de 1000 milliards $ d’ici 2030 pour le déploiement de centrales solaires dans plus de 100 pays en développement.
L’accord de Paris a tracé à grands traits l’ébauche d’une solution aux changements climatiques. Pourtant avant que ses cibles ne se traduisent dans les faits, il est possible que les pays les moins développés du monde doutent du sérieux des intentions des pays développés en matière d’équité – ou de « justice climatique ».
Pour l’Afrique, il faut que 2015 soit un tournant décisif. Le virage sera pris, si, dans le monde entier, les dirigeants ont à répondre à leurs citoyens de l’atteinte des cibles qu’ils se sont fixées. Tout simplement, la responsabilité historique pour l’avenir de la planète repose sur nos épaules à tous.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Kofi A. Annan, ex-secrétaire général des Nations Unies préside l’Africa Progress Panel.
© Project Syndicate 1995–2015
Les pays se sont également engagés à redoubler d’effort pour protéger les populations les plus démunies, en visant à restreindre le réchauffement moyen du globe terrestre à un niveau aussi bas que 1,5 °C au-dessus des températures prévalant avant l’ère industrielle. Et les pays développés ont mis en jeu au moins 100 milliards $ de financement annuel de projets d’atténuation des changements climatiques. Pour la première fois, un accord international offre des fonds aux pays les moins développés pour compenser une partie des pertes et des dommages provoqués par les turbulences du climat.
Pour remplir les objectifs de l’accord de Paris, nous devons toutefois vérifier que tiennent promesse les États qui y souscrivent. Les cibles nationales de réduction des émissions sont volontaires, ne font pas partie de l’accord comme tel, n’ayant donc pas force de loi. En termes concrets et sur le plan pratique, rien n'y est spécifié pour ralentir l’extraction des combustibles ou pour faire en sorte que les pays les plus polluants cessent de produire de l’électricité à partir du charbon. Les pays développés ne se sont pas commis individuellement et l’année où commence l’aide à l’adaptation n’est pas encore déterminée. Il faudra rester vigilant et exiger que le financement réservé aux projets pour contrer les changements climatiques soit suffisant pour que les pays moins développés puissent s’adapter aux changements climatiques actuels et futurs.
Tout cela doit se dérouler au plus vite. Les effets cumulés de décennies d’émissions ne laissent aucune place à une solution de dernier recours.
En Afrique, les changements climatiques sont déjà tenus responsables de la baisse du tirant d’eau dans les fleuves de l’Afrique de l’Ouest, de la disparition des récifs de corail dans les eaux tropicales, d’une production de fruits en baisse dans les régions limitrophes du Sahel, de la réduction des stocks de poisson dans l’Afrique des Grands Lacs et de la propagation du paludisme dans les hauts plateaux du Kenya. Si nous ne réduisons pas substantiellement dans les émissions de gaz à effet de serre, le portrait sera encore plus glauque. En menaçant les besoins humains de base, comme la nourriture et l’eau, les changements climatiques agiront comme des catalyseurs d’instabilité, de migrations et de conflits, dont l’Afrique paiera le prix fort.
Heureusement, nous savons maintenant qu’il est possible d’éviter les changements climatiques menant à la catastrophe tout en assurant les besoins en énergie de la croissance économique et de la création d’emploi nécessaires pour sortir des millions de personnes de la pauvreté. Les multiples avantages de suivre une trajectoire de développement à faible teneur en carbone ne résident pas uniquement dans une meilleure qualité de l’air ou dans une plus grande sécurité énergétique, mais aussi dans les perspectives d’avenir découlant de modes de production décentralisés d’énergies renouvelables.
Ces débouchés sont particulièrement importants pour l’Afrique, ou plus de 620 millions de personnes vivent sans électricité. La baisse constante des coûts de l’énergie solaire, des piles, et de l’éclairage DEL se traduit par des sources modernes d’énergie renouvelable désormais abordables. Ainsi, au Kenya, des femmes Masaï du lac Magadi ont reçu une formation pour installer des panneaux solaires qui ont amené l’électricité à 2 000 ménages en quelques deux années.
Or, pour réaliser ce potentiel économique et social, les dirigeants africains doivent s’attaquer à la corruption. Ils doivent rendre plus transparente la gestion des services publics, renforcer les réglementations et engager plus de fonds publics dans les infrastructures énergétiques.
Les investissements et le financement externe doivent suivre. Il ne s’agit point d’aide, mais de justice, car l’Afrique contribue si peu aux émissions mondiales, alors qu’elle risque de pâtir le plus des changements climatiques. Les investissements dans l’énergie à faible empreinte de carbone représentent également un intérêt commercial certain : ils favorisent les sociétés de technologie et l’entrepreneuriat social à l’échelle mondiale.
Je trouve de bon augure que deux initiatives aient été lancées à Paris pour nous engager davantage dans la voie des énergies renouvelables. L’Europe et le Canada ont pris l’engagement d’investir 10 milliards $ dans un projet de grande envergure nommé l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, qui vise à installer dix gigawatts de capacité d’énergie solaire, éolienne et géothermique d’ici la fin de la décennie. La France et l’Inde ont aussi lancé l’Alliance solaire internationale pour recueillir plus de 1000 milliards $ d’ici 2030 pour le déploiement de centrales solaires dans plus de 100 pays en développement.
L’accord de Paris a tracé à grands traits l’ébauche d’une solution aux changements climatiques. Pourtant avant que ses cibles ne se traduisent dans les faits, il est possible que les pays les moins développés du monde doutent du sérieux des intentions des pays développés en matière d’équité – ou de « justice climatique ».
Pour l’Afrique, il faut que 2015 soit un tournant décisif. Le virage sera pris, si, dans le monde entier, les dirigeants ont à répondre à leurs citoyens de l’atteinte des cibles qu’ils se sont fixées. Tout simplement, la responsabilité historique pour l’avenir de la planète repose sur nos épaules à tous.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Kofi A. Annan, ex-secrétaire général des Nations Unies préside l’Africa Progress Panel.
© Project Syndicate 1995–2015