Les arguments en faveur du financement massif

Jeudi 18 Février 2016

D'importantes avancées ont eu lieu lors de la conférence des donateurs pour les réfugiés syriens, qui s'est tenue à Londres le 4 février. Mais il reste encore beaucoup à faire. La communauté internationale sous-estime encore une grande partie des mesures nécessaires pour venir en aide aux réfugiés, à l'intérieur comme en dehors des frontières de l'Union européenne. Pour faire face à la crise des réfugiés, tout en utilisant à meilleur escient la capacité d'emprunt AAA de l'UE, un changement de paradigme est nécessaire.


Au lieu de rassembler des fonds insuffisants année après année, il est temps de s'engager dans un « financement massif ». Dépenser une importante somme d'argent dès le départ serait beaucoup plus efficace que dépenser le même montant sur plusieurs années. Une concentration des dépenses en début de période nous permettrait de remédier aux conséquences plus dangereuses de la crise, notamment aux opinions anti-immigration dans les pays d'accueil et au découragement et à la marginalisation du côté des réfugiés, tout cela plus efficacement. Faire des investissements initiaux importants aiderait à renverser la dynamique économique, politique et sociale de la xénophobie et du mécontentement, en résultats constructifs favorables aux réfugiés et aux pays bénéficiaires.
Le financement massif est souvent été utilisé pour financer des campagnes de vaccination. L'Établissement International de Financement pour l'Immunisation  (IFFIm), qui mobilise les futures contributions des gouvernements dans des programmes de vaccination, a recueilli des milliards de dollars ces dernières années pour s'assurer que les campagnes de vaccination soient efficaces le plus rapidement possible. À long terme, ces mesures sont plus efficaces que de dépenser autant d'argent en versements annuels. L'IFFIm fournit un précédent convaincant à la crise actuelle.
Un afflux soudain de réfugiés peut provoquer une panique qui affecte l'ensemble de la population ainsi que le gouvernement, sans compter sur des effets d'autant plus néfastes sur les réfugiés eux-mêmes. La panique reproduit cette impression trompeuse selon laquelle les réfugiés seraient un fardeau et un danger. Cela entraîne des mesures coûteuses et contre-productives, érige des clôtures et des murs et concentre les réfugiés dans des camps, ce qui à son tour engendre la frustration et le désespoir parmi les réfugiés. Si la communauté internationale pourrait financer des programmes concentrés et à grande échelle pour régler le problème, l'opinion publique et les réfugiés seraient rassurés.
Une augmentation massive des dépenses est nécessaire en Europe et dans les États de première ligne comme la Jordanie, le Liban et la Turquie. Les investissements nécessaires comprennent une révision de la politique d'asile de l'UE et l'amélioration de ses contrôles aux frontières. Dans les États de première ligne, de l'argent est nécessaire pour fournir des possibilités d'emploi officiel, des services de santé et d'éducation aux réfugiés. Si la vie pour les réfugiés est rendue tolérable dans des pays de première ligne et s'ils croient qu'une procédure ordonnée est en place pour accéder à l'Europe, ils seront plus susceptibles d'attendre leur tour, plutôt que de se précipiter vers l'Europe et de saturer le système. De même, si la crise des réfugiés peut être jugulée, la panique se calmera et l'opinion publique européenne sera moins encline à soutenir les politiques anti-migratoires.
La Jordanie pourrait fournir un scénario de test. Ce pays de 9,5 millions d'habitants, qui offre l'asile à 2,9 millions de non-citoyens, dont 1 265 millions de Syriens, fait face à l'afflux d'autres Syriens déracinés par les bombardements de la Russie. La combinaison d'une aide financière directe immédiate et massive, de préférences commerciales renforcées et d'un allégement temporaire de la dette est nécessaire. Un programme réussi pour la Jordanie pourrait démontrer la capacité de la communauté internationale à maîtriser la crise des réfugiés, ce qui ouvrirait la voie à des programmes similaires pour les autres États de première ligne, moyennant une adaptation au cas par cas selon les circonstances locales.
L'approche proposée ici coûterait plus cher que ce que les États membres peuvent se permettre à  partir des budgets actuels. Une somme minimale de 40 milliards d'euros (45 milliards de dollars) doit être dépensée chaque année d'ici 3 à 5 ans. Mais même de plus fortes sommes seraient justifiées pour maîtriser la crise des migrants. En effet, jusqu'à présent, le manque de financement adéquat est le principal obstacle à la mise en œuvre de programmes efficaces dans les pays de première ligne, en particulier en Turquie. Alors que l'Allemagne a un excédent budgétaire non alloué de 6 milliards d'euros (6,8 milliards de dollars), d'autres pays de l'UE sont déficitaires. Le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble  a proposé une taxe pan-européenne sur les carburants. Mais une telle mesure va exiger soit un accord unanime, soit une coalition des États volontaires.
Cela renforce les mérites d'un recours au crédit AAA de l'UE, en grande partie inutilisé. La crise des migrants constitue une menace existentielle pour l'Union européenne. En effet, avec le Nord dressé contre le Sud et l'Est opposé à l'Ouest, l'Union européenne risque de se déliter. Quand faut-il mobiliser le crédit AAA de l'UE, si ce n'est à l'heure où l'UE est en danger de mort ? Ce n'est pas comme s'il n'y avait jamais eu de précédent à cette approche : tout au long de l'histoire, les gouvernements ont émis des obligations en réponse aux situations d'urgence nationales.
Ouvrir le crédit AAA de l'UE, plutôt que de taxer la consommation, a l'avantage supplémentaire d'offrir une relance économique indispensable à l'Europe. Les montants en question sont suffisamment conséquents pour avoir un impact macroéconomique, en particulier par le fait qu'ils seraient dépensés presque immédiatement et auraient un effet multiplicateur. Une économie croissante facilite énormément l'absorption des migrants, aussi bien réfugiés que migrants économiques. En bref, le financement massif est une initiative gagnant-gagnant, qu'il faut entreprendre de toute urgence.
George Soros, président de Soros Fund Management et président d'Open Society Foundations.
 
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