Les coûts commerciaux d’une sortie de l’UE

Mardi 31 Mai 2016

Selon les « Brexiters » – partisans d’une sortie du Royaume-Uni hors de l’Union européenne – une telle issue n’est vouée à engendrer aucun coût, et à ne générer aucun impact sur les échanges commerciaux menés par le pays à travers le monde. Ils ont absolument tort. Le 23 juin, lorsque les électeurs britanniques choisiront leur bulletin dans le cadre du référendum relatif au Brexit, ils feraient bien de réfléchir à ce qu’implique concrètement une sortie de l’UE – et à la possibilité ou non de conserver à l’issue d’un éventuel Brexit les avantages dont ils bénéficient en termes de libre-échange (et qu’ils considèrent comme acquis).


Commençons par les fondamentaux. Une sortie de l’UE signifierait pour le Royaume-Uni quitter l’Union douanière de l’UE, qui sous-tend le libre-échange à travers les frontières des 28 États membres de l’UE (et qui fixe un tarif extérieur commun vis-à-vis des pays tiers). Cela signifierait également quitter le marché unique – qui constitue la base de la libre circulation des biens et des services entre les différents membres de l’UE – puisque les pays non membres de l’UE ne peuvent par définition appartenir au marché unique.
Qu’adviendrait-il par la suite ? Au cours d’une période de deux ans antérieure à l’entrée en vigueur de cette sortie du Royaume-Uni, des négociations auraient lieu entre le pays et l’UE autour de nombreuses questions – souveraineté, ordre légal, immigration, finances et autres considérations économiques. L’objectif crucial du Royaume-Uni consisterait alors certainement à négocier une relation commerciale aussi proche que possible de cette relation de libre-échange qui existe à l’heure actuelle.
Plus facile à dire qu’à faire. L’issue idéale consisterait pour l’ensemble des acteurs à accepter de maintenir le libre-échange actuel, tandis que le Royaume-Uni fixerait une nouvelle taxe extérieure en franchise de droits de douane, applicable à tous les arrivants. C’est ce qu’il s’est produit dans les années 1970, lorsque le Royaume-Uni et le Danemark ont quitté l’Association européenne de libre-échange  : un certain nombre d’accords de libre-échange furent négociés parmi les membres de l’AELE, ainsi qu’entre eux-mêmes et l’UE (à l’époque la CEE).
Seulement voilà, les Brexiters doivent savoir que rien ne leur garantit la possibilité de renouveler l’expérience – sachant que même dans l’affirmative, ils s’exposeraient à bien des complications. Même si cette solution se révélait bénéfique aux 45 % d’exportations britanniques qui se vendent sur les marchés de l’UE, elle réduirait à zéro la protection des industries britanniques. Conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, les mêmes droits de douane doivent être appliqués à tous les participants de l’OMC – ce qui signifie que si les importations du Royaume-Uni en provenance de l’UE s’effectuent en franchise de droits de douane, ceci devra également être le cas de ses importations en provenance du reste du monde.
L’alternative consisterait pour les exportateurs britanniques à accepter le tarif extérieur commun de l’UE, et pour le Royaume-Uni à créer ses propres droits de douane à l’importation, appliqués à l’ensemble des importations, y compris en provenance de l’UE. Dans la mesure où le tarif commun s’élève à un niveau relativement faible sur les produits industriels et issus de la pêche, cette barrière pourrait ne pas être insurmontable pour les exportations britanniques, et permettre une certaine flexibilité s’agissant de la protection des entreprises britanniques vis-à-vis des importations. Le risque existe néanmoins, en cas d’augmentation des droits de douane par les Britanniques jusqu’à un niveau supérieur à celui de l’UE, de voir le Royaume-Uni s’exposer à des demandes de compensation de la part de pays extérieurs à l’OMC.
La question majeure à laquelle il incombe aux Brexiters de répondre consiste à savoir comment s’assurer un haut niveau d’accès au marché interne de l’UE. Il y a là un aspect vital pour les industries tertiaires britanniques, notamment en ce qui a trait aux exportations de services financiers par le quartier londonien de la City.
On ne compte qu’un seul et unique épisode passé au cours duquel il a été possible pour des pays non membres de l’UE de négocier l’accès à un marché interne équivalent à celui dont bénéficiaient les membres de l’UE. Il s’agit de l’accord relatif à l’Espace économique européen, conclu avec l’UE par la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein en 1992.
De l’avis de nombreux observateurs, dont je fais partie, la possibilité d’accéder au marché unique via l’EEE n’existe plus aujourd’hui. Et si nous avions néanmoins tort ? Fondamentalement, un tel accord viendrait contrarier tous les instincts (ainsi que le discours) des Brexiters, dans la mesure où il signifierait consentir aux « quatre libertés » de l’UE : non seulement la libre circulation des biens, services et capitaux – mais également celle des personnes. Une obligation difficile à concilier avec l’objectif des Brexiters, à savoir « contrôler les frontières » du Royaume-Uni. Il leur serait également douloureux d’accepter cette obligation qu’engendrerait pour le Royaume-Uni tout accord d’inspiration EEE, et qui consisterait à continuer de contribuer au budget de l’UE.
Bien entendu, un certain nombre d’arrangements spécifiques pourraient concerner plusieurs secteurs. Il est toutefois peu probable que de telles ententes soient possibles concernant les services financiers et autres services professionnels majeurs (médecins, architectes, avocats, etc.), qui présentent une importance pour les concurrents du Royaume-Uni en Europe. Il est en effet possible que l’UE adopte alors une posture strictement mercantiliste : si vous souhaitez bénéficier d’un accès privilégié, vous devez faire partie du club.
Ultime conséquence d’un éventuel Brexit, le Royaume-Uni verrait disparaître les ententes prévues en matière de libre-échange auprès de pays tiers conformément aux nombreux accords commerciaux que l’UE a conclus depuis 2000. Un certain temps serait nécessaire au remplacement de ces accords par des ententes bilatérales. Rien ne garantit que l’UE accepterait de poursuivre le libre-échange de manière intérimaire, et il apparaît certain que les exportations britanniques s’exposeraient à des droits de douane plus élevés que ceux imposés à ses anciens partenaires de l’UE dans ces pays tiers (plaçant les exportateurs britanniques dans une position défavorable en termes de compétitivité).
Il est quelque peu navrant de constater combien les Brexiters s’entêtent à nous expliquer que les plus grands dirigeants de la planète, européens ou non, n’ont pas saisi les conséquences qu’engendreraient un éventuel Brexit. Dans le cadre de ce débat commercial, le Fonds monétaire international, le président américain Barack Obama, ainsi que l’OCDE – autant d’acteurs bien éloignés du Trésor britannique – n’ont eu de cesse d’affirmer aux Britanniques qu’un vote en faveur du Brexit se révélerait catastrophique pour l’économie. Et comment accueillir avec sérieux les réponses consistant à affirmer que l’UE aurait l’OCDE « dans la poche », ou que Barack Obama serait antibritannique puisque né d’un père kenyan à l’époque des colonies britanniques.
Les prévisions en matière d’économie ne constituent pas une science exacte. Mais à l’heure où la quasi-totalité des projections pointent dans la même direction – indiquant combien un Brexit se révélerait dommageable  pour le Royaume-Uni – le moment est venu de décider de ce qui est crédible et de ce qui ne l’est pas.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
Roderick Abbott a été directeur-général adjoint de l’OMC, ainsi que directeur-général adjoint au sein de la Direction générale du commerce de la Commission européenne.
 
 
 
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