Les démocrates peuvent-ils gagner après le retrait de Joe Biden ?

Mardi 30 Juillet 2024

La décision du président américain Joe Biden de se retirer en tant que candidat du Parti démocrate à la présidentielle de cet automne a transformé la politique américaine. Elle vient couronner un mois de juillet historique aux États-Unis, marqué par des décisions de grande portée de la Cour suprême et la tentative d'assassinat de l'ancien président Donald Trump à la veille de la convention républicaine.


La décision de Joe Biden, encouragée par de nombreux responsables et donateurs du parti démocrate et plébiscitée par de nombreux électeurs, était le bon choix. Au lendemain d'un débat largement considéré comme une débâcle pour Biden, son âge l'avait empêché de montrer au peuple américain qu'il méritait quatre années supplémentaires et l'empêchait de démontrer que Trump ne les mérite pas.

Il est trop tôt pour parler de l'héritage de Joe Biden, ne serait-ce que parce qu'il lui reste encore six mois de présidence. Mais en se retirant, il a largement contribué à éliminer la critique potentielle selon laquelle, en restant dans la course, il aurait ouvert la voie à un successeur qui partageait bien peu son engagement en faveur de la démocratie et de l’engagement des États-Unis dans le monde. Si Trump avait battu Biden en novembre, comme le prévoyaient les sondages, cela aurait largement éclipsé les réalisations de Biden en tant que président.

Il y a de fortes chances que la vice-présidente Kamala Harris devienne la candidate démocrate. L'appui de Biden l'y aidera. Mais cela ne règlera pas le sujet, car Biden a le pouvoir de libérer les délégués du parti qui se sont engagés à ses côtés, mais non de les obliger à soutenir quelqu'un d'autre.

La convention démocrate qui se tiendra à Chicago en août prochain sera donc ouverte. Les quatre semaines qui nous séparent de cette date pourraient largement contribuer à déterminer ce qui s'y passera. Harris pourrait se présenter à l'investiture sans opposition, ou bien un ou plusieurs challengers pourraient émerger. À supposer qu'elle l'emporte, cela pourrait en fait être à son avantage, car le processus permettrait d'affiner ses compétences politiques, de l'aider à être perçue comme une gagnante et de sortir de l'ombre d'un président impopulaire.

Le processus mettrait également en lumière le parti démocrate à un moment où il doit montrer aux électeurs un visage neuf. C’est essentiel, car Trump et le sénateur J.D. Vance, qu'il a choisi comme vice-président, promettent d'être redoutables pendant la campagne. Et même si Harris se présentait et perdait face à eux, les sondages suggèrent qu'elle ferait mieux que Biden, améliorant ainsi les chances des démocrates de remporter la Chambre des représentants (le contrôle du Sénat semble hors de portée). Elle empêcherait ainsi les républicains de contrôler l'ensemble du gouvernement fédéral.

Trump devance légèrement  Harris dans les sondages, mais celle-ci pourrait bien bénéficier d'un coup de pouce au cours du mois à venir, lorsqu'elle sera sous les feux de la rampe. Les compétences d’Harris en matière de poursuites judiciaires, qu'elle a perfectionnées en tant que procureur puis en tant que procureur général de Californie, lui seraient très utiles dans la campagne. Elle est par exemple bien placée pour s'attaquer à l’extrémisme anti-avortement de la Cour suprême et de J.D. Vance. Elle bénéficierait en outre de l'absence d'une femme ou d'une minorité sur le ticket républicain.

Il est inévitable, cependant, que les démocrates se heurtent à ce que l'on pourrait appeler le dilemme d'Hubert Humphrey. En 1968, Humphrey, qui était vice-président à l'époque, a remporté l'investiture démocrate après que le président sortant, Lyndon Johnson, a choisi de ne pas se représenter. Les mots de la lettre de retrait de Biden font écho à ceux utilisés par Johnson il y a 56 ans, la principale différence étant que Biden a fait sa déclaration sur X et que Johnson est apparu à la télévision nationale.

Le dilemme est le suivant : comment paraître loyal et s'attribuer les mérites d'une présidence populaire sans être accablé par des politiques impopulaires ? En 1968, c'est la guerre du Viêt Nam qui a compliqué la course de Humphrey, qui a eu du mal à prendre ses distances d'une politique à laquelle il avait été associé et d'un patron qui ne tolérait guère la déloyauté.

Aucun sujet ne domine pareillement le débat public aujourd'hui. Mais le futur candidat démocrate devra toujours se différencier de Biden. Être au pouvoir est devenu un fardeau, à une époque où de nombreux électeurs aspirent au changement. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les résultats des récentes élections en Afrique du Sud, en Inde, au Royaume-Uni et en France.

Cela signifie que le futur candidat démocrate, qu'il s'agisse de Kamala Harris ou de quelqu'un d'autre, ferait bien de soutenir l’IRA, la loi sur la réduction de l'inflation, la loi Chips sur la science, les efforts de lutte contre le changement climatique et de défense de la démocratie, l'accès à l'avortement et au contrôle des naissances, l'assistance militaire à l'Ukraine. Mais il ou elle devrait se distancer d'une politique au Moyen-Orient considérée par de nombreux Américains comme trop pro-israélienne, ainsi que d'une politique sur les frontières et la criminalité considérée par beaucoup comme trop laxiste.

Si Harris est choisie par les démocrates, le choix de son colistier sera important. Plusieurs États du Midwest sont susceptibles de jouer un rôle décisif dans les élections de novembre, et il existe un grand nombre d'électeurs indépendants à convaincre. Les gouverneurs Gretchen Whitmer (Michigan), Josh Shapiro (Pennsylvanie), Andy Beshear (Kentucky) et Roy Cooper (Caroline du Nord) seront probablement pris en considération, tout comme plusieurs membres du gouvernement de Biden.

La seule chose qui soit certaine, c'est qu'il y a moins de certitudes après l'annonce fracassante de Biden. Une chose est claire, cependant : le résultat de l'élection présidentielle aura une importance considérable pour les États-Unis et le reste du monde. Ce n'est généralement pas le cas, car les similitudes entre les candidats tendent à l'emporter sur leurs différences. Ce n'est pas le cas cette fois-ci. Les différences sont profondes et il est difficile d'exagérer l'importance de l'enjeu du vote des américains en novembre prochain.
Richard Haass, président émérite du Council on Foreign Relations, est conseiller principal chez Centerview Partners et auteur de The Bill of Obligations :  The Ten Habits of Good Citizens (Penguin Press, 2023) et de la lettre d'information hebdomadaire Home & Away .
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