Les politiques de l’instabilité financière

Mercredi 16 Mars 2016

Il y a vingt-quatre ans, au beau milieu d’une campagne présidentielle américaine mouvementée, le directeur de campagne de Bill Clinton avait résumé le message de son candidat en ces termes : « L’important c’est l’économie, idiot. » Aujourd’hui, à l’heure où les investisseurs peinent à saisir ce qui provoque tant d’instabilité sur les marchés financiers, une explication tout aussi incisive se dégage : la mise en œuvre de politiques malavisées.


Les politiques de l’instabilité financière
Alors qu’elles appuyaient autrefois les marchés, les politiques des banques centrales viennent aujourd’hui les déstabiliser. Pour obtenir de l’aide, les marchés se tournent désormais vers la politique budgétaire et les réformes structurelles. Dans un tel contexte, les mouvements actuels de prix doivent dorénavant être appréhendés au travers du spectre de la géopolitique. Et il s’agit là d’une évolution peu réjouissante.
Cette réalité se vérifie tout particulièrement sur les marchés pétroliers, au sein desquels les prix se sont effondrés, le pétrole Brent et le pétrole brut oscillant autour de 30 $ le baril. L’ampleur de cette chute de pétrole, ainsi que les craintes déflationnistes qui en découlent, sont décrits comme des causes majeures d’agitation sur les marchés dans leur globalité. Au mois de janvier, la corrélation entre les prix du pétrole brut et l’indice S&P 500 a atteint son plus haut niveau depuis 1990.  
Il apparaît de plus en plus clairement que ce sont les dynamiques de l’offre, plutôt que le déclin de la demande, qui expliquent l’effondrement du prix du baril, qui atteignait 110 $ à l’été 2014. Le passage à une tarification compétitive liée à la fin du monopole de l’Arabie saoudite, parallèlement à la volonté de l’OPEP de contrer la menace américaine que représentent les hydrocarbures de schiste, a déclenché un premier mouvement à la baisse. De même, la récente levée des sanctions contre l’Iran, et l’accroissement de l’offre globale de pétrole qui en a résulté, ont conduit à une baisse de prix supplémentaire de 9 % en l’espace de seulement quelques jours.
Ces dynamiques de l’offre sont façonnées par la politique. Chaque jour, les gros titres de la presse, autour de prétendues mesures coordonnées par les principaux pays producteurs de pétrole, alimentent la volatilité des prix pétroliers, et définissent l’appétence au risque sur les marchés financiers. Or, les politiques sont si confuses qu’une telle coordination apparaît au mieux peu probable ; le ministre iranien du pétrole a récemment qualifié de « plaisanterie » l’idée d’un éventuel gel de la production de l’OPEP. Les élections législatives iraniennes viennent par ailleurs accentuer l’incertitude.     
Outre les considérations pétrolières, un autre argument couramment avancé pour expliquer l’actuelle agitation des marchés réside dans le ralentissement économique de la Chine, que beaucoup d’investisseurs font valoir comme une des causes de l’effondrement des prix des actions cette année. Or ce ralentissement, qui est la conséquence d’une transition de la Chine d’une situation de croissance poussée par les investissements à une croissance fondée sur la consommation, avait été très largement prévu, et les chiffres de la croissance pour 2015 (6,8 %) figuraient clairement dans les projections.     
Le véritable problème réside dans un certain nombre d’erreurs politiques commises et auto-infligées par les dirigeants chinois. Intervention malavisée sur les marchés d’actions en juillet 2015, puis mauvaise communication autour de l’ajustement des taux d’intérêt au mois d’août, ont conduit les investisseurs à douter de la compétence des dirigeants politiques. 
Ces préoccupations s’accentuent depuis le début de l’année. La politique monétaire devient confuse, tandis que plusieurs coupe-circuits récemment introduits (et bientôt supprimés) sur le marché boursier accélèrent les chutes du marché, à l’heure où les investisseurs s’efforcent de vendre leurs actions avant que la liquidité disparaisse. Par ailleurs, les achats effectués par des institutions financières publiques, ainsi que les interdictions imposées sur certaines ventes par de grands actionnaires institutionnels, ne pourront demeurer des caractéristiques permanentes du marché si celui-ci entend rester véritablement libre. Les prochains changements de leadership – étant prévu que six des sept membres du Comité permanent du bureau politique soient remplacés au cours des 18 prochains mois – ne pourront qu’aggraver l’incertitude.    
De même, les politiques changeantes influencent de plus en plus les événements sur d’autres marchés émergents. Au Brésil, le gouvernement peine à instaurer un équilibre entre programme populiste, moindres prix des matières premières, croissance en baisse et inflation persistante. Un scandale autour de questions de corruption vient en outre paralyser les réformes. Pas étonnant que le marché boursier brésilien ait chuté de 28 % depuis le mois de mai dernier.
En Russie également, les politiques accentuent le choc négatif des prix du pétrole. Les sanctions occidentales contribuent à une trajectoire de croissance d’ores et déjà déclinante, et menacent la capacité de la Russie à lever des capitaux d’emprunt sur les marchés mondiaux. Le rouble a subi une chute de 130 % depuis le début de l’année 2014, le PIB de 2015 présentant une contraction de 3,7 %.    
Et encore, la Russie apparaît en comparaison très performante par rapport au Venezuela, où le gouvernement du président Nicolás Maduro assiste à la désintégration totale de son économie. Plusieurs analystes ont en effet affirmé  que le pays avait franchi un « point de non-retour ». Elle-même pourtant relativement dynamique, l’Inde rencontre également des difficultés, à l’heure où son intéressant programme de réformes entraîne des manifestations sociales.      
En Europe, l’efficacité des politiques monétaires de la Banque centrale européenne diminue à mesure que la scène politique se fait de plus en plus fragile. Au Royaume-Uni, les sondages annoncent pour le 23 juin un référendum extrêmement serré autour du maintien dans l’Union européenne – ce qui constitue une menace évidente pour la stabilité du marché, comme le confirment les ventes hâtives de livres sterling.   
Pendant ce temps, la crise des migrations menace le gouvernement allemand, les divisions se creusant actuellement au sein du parti de la chancelière Angela Merkel, qui perd en soutien populaire. La décision unilatérale de l’Autriche et de neuf pays des Balkans consistant à bloquer l’entrée de migrants à l’intérieur de leurs frontières alimente l’agitation politique. La crise des migrations est vouée à provoquer d’importantes retombées, parmi lesquelles une éventuelle suppression de l’espace Schengen.
Dans le sud de l’Europe, les dernières élections espagnoles se sont révélées peu concluantes, et l’absence de gouvernement stable pourrait bien faire dérailler la reprise économique qui en 2015 avait gagné en dynamique. Dans le même temps, les démarches de bail-in effectuées par le gouvernement italien alimentent l’instabilité, les principales banques faisant face à des baisses sans précédent de leurs actions sur une seule journée. Les dégâts engendrés sur la réputation du Premier ministre Matteo Renzi en termes de fiabilité suscitent la crainte d’un nouveau désordre politique.
Du côté du Japon, la solidité des cours observés depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Shinzo Abe  repose sur la stratégie en « trois flèches » des « Abenomics » : relance monétaire, relance budgétaire, et réformes structurelles. La Banque du Japon a effectivement tiré l’une de ces flèches, en augmentant la base monétaire jusqu’à 80 000 milliards ¥ (650 milliards €), et plus récemment en adoptant des taux d’intérêt négatifs. Cette dynamique a cependant fléchi considérablement, à l’heure où les investisseurs attendent encore les réformes structurelles nécessaires à l’amélioration durable des fondamentaux de l’économie et du marché.  
Aux États-Unis, la profonde frustration des électeurs a conduit Bernie Sanders à tenter un pari de gauche dans l’espoir d’une nomination en tant que candidat du Parti démocrate. Cette frustration a également donné naissance à la campagne houleuse et surprenante de Donald Trump. Les primaires effectuées dans dix États lors du « Super Tuesday » ayant conforté Trump en tant que probable candidat républicain à la présidence, les marchés financiers, en quête de stabilité et de prévisibilité, peinent à trouver ces qualités au sein de la première économie mondiale.     
Bien que l’histoire ne se répète pas toujours, espérons qu’elle trouvera ici un certain écho : en 1990, l’économie américaine s’était stabilisée pour ensuite effectuer un bon en avant, poussée par l’accélération de la productivité, et par de judicieuses politiques monétaires et budgétaires. Mais il est possible que les économies se révèlent plus difficiles à raccommoder que les politiques dysfonctionnelles de la période actuelle, qui pourraient bien faire partie intégrante de la « nouvelle norme ».     
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Alexander Friedman est directeur général de GAM Holding.
 
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