Les quatre Neins de l’Allemagne

Lundi 1 Décembre 2014

BERLIN – La position de l'Allemagne envers l'Europe est de plus en plus caractérisée par le rejet et le désengagement. Ses décideurs interdisent aux pays en crise de la zone euro de recourir à une politique budgétaire plus active ; refusent de soutenir un programme d'investissement européen en vue de stimuler la demande et la croissance ; ont déclaré que leur premier objectif intérieur est un excédent budgétaire, plutôt qu’une croissance potentielle plus rapide ; et ont commencé à se retourner contre la Banque centrale européenne (BCE) dans la lutte contre la déflation et un resserrement du crédit. L'Allemagne a tort sur toute la ligne.


Marcel Fratzscher, professeur de macroéconomie et de finance à l'Université Humboldt.
Marcel Fratzscher, professeur de macroéconomie et de finance à l'Université Humboldt.
Bien sûr, il est justifié pour l'Allemagne de rejeter les appels bornés de la France et de l'Italie pour une expansion budgétaire inconditionnelle. Après tout, la relance budgétaire ne peut fonctionner que si elle encourage l'investissement privé et est accompagnée par des réformes structurelles beaucoup plus ambitieuses – le genre de réformes auxquelles s’opposent actuellement la France et l'Italie.
Pourtant, l'Allemagne dispose de tout l'effet de levier nécessaire pour mettre en œuvre les réformes axées sur la stabilité qu'elle veut pour l'Europe. Tout d’abord, l'Allemagne, ainsi que la Commission européenne, peut obliger la France à poursuivre des réformes plus profondes en échange d’un délai supplémentaire pour consolider son déficit.
Cependant, l'Allemagne ne peut pas céder à son obsession de réformes de l'offre sans poursuivre également des politiques qui favorisent la croissance. L'Allemagne a appris de sa propre expérience dans les années 2000 que les bénéfices des réformes de l'offre – c’est à dire, l'amélioration de la compétitivité et l’augmentation du taux de croissance de long terme – prennent beaucoup de temps à émerger.
Le temps est un luxe que l'Europe n'a pas. Chaque mois supplémentaire d’érosion de la capacité de production de l'économie augmente la probabilité de stagnation et de déflation.
La clé pour mettre fin à la crise européenne est un plan de relance qui s’attaque aux lacunes à la fois de l'offre et de la demande. Voilà pourquoi le refus de l'Allemagne d’aider à trouver un moyen de financer le programme d'investissement européen proposé – qui, pour un temps limité, permettrait de financer des investissements productifs privés – est une erreur.
Tout aussi problématique est l’insistance de l'Allemagne sur le maintien d'un excédent budgétaire. Alors que les prévisions de croissance du PIB allemand pour cette année et la prochaine ont été revues à la baisse de plus de 0,6 points de pourcentage au cours des derniers mois, le gouvernement pourrait être contraint de lancer une politique budgétaire pro-cyclique pour atteindre son objectif, induisant une croissance encore plus faible en Allemagne et dans l’ensemble de la zone euro.
Étant donné que l'écart de production de l'économie allemande reste négatif, le gouvernement devrait mettre en œuvre une politique budgétaire expansionniste ciblée sur les faiblesses de l'infrastructure du pays. En ce sens, le plan du ministre des Finances Wolfgang Schäuble  qui prévoit d’augmenter les investissements publics à hauteur de 10 milliards d’euros (12,5 milliards de dollars) entre 2016 et 2018 est un pas dans la bonne direction. Mais, représentant à peine 0,1% du PIB annuel de l'Allemagne, le régime de Schäuble ressemble plus à une tentative pour calmer les critiques du reste de l'Europe qu’à un véritable changement de politique.
La quatrième erreur de politique de l'Allemagne est le retrait apparent de son soutien à la BCE. Au cours des sept dernières années, les actions de la BCE ont aidé l'économie et les contribuables de l'Allemagne autant que dans les pays voisins. En outre, l'affirmation selon laquelle les achats de la BCE de titres adossés à des actifs équivalent à des « prêts toxiques » qui transfèrent le risque vers les contribuables allemands est sans fondement ; après tout, il n’y a eu presque aucun défaut depuis 2008.
Les dirigeants allemands doivent reconnaître cela – et défendre publiquement la BCE du colportage de peur sans fondement. Ne pas le faire peut refléter un effort pour prévenir la montée des forces politiques anti-européennes d'extrême droite, notamment l’Alternative pour l'Allemagne. Mais cette stratégie ne sert que le parti.
Si l'Allemagne refuse d’adopter une approche plus raisonnée, elle risque de saper la crédibilité de la BCE, ce qui réduira l'efficacité de ses mesures. Si cela se produit, la BCE pourrait bien être obligée de lancer des achats massifs d'obligations d'État de la zone euro au travers du plan appelé "Opérations monétaires sur titres"  - un programme auquel de nombreux responsables politiques et économistes allemands s’opposent farouchement.
Le gouvernement allemand peut user de son influence considérable pour obliger la France et l'Italie à poursuivre les réformes structurelles dont les deux pays ont besoin, tout en permettant qu’une stimulation de la demande pousse la croissance et lève la menace de déflation qui pèse sur la zone euro. Et il a le pouvoir de renforcer la crédibilité de la BCE et donc ses efforts pour assurer la stabilité future des prix et éviter une contagion financière.
L'Europe a besoin d'une grande négociation, impliquant une coordination étroite sur les réformes structurelles ainsi que sur les politique budgétaire et monétaire. La stabilité économique et politique relative de l'Allemagne, loin de lui permettre de se désengager de ces efforts, en fait un des protagonistes les plus importants dans leur développement et leur mise en œuvre. La question est de savoir si les dirigeants allemands reconnaîtront cela avant que l'économie de l'Europe ne tombe dans un marasme encore plus profond.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Marcel Fratzscher, ancien chef de l'analyse de la politique internationale à la Banque centrale européenne, est président du DIW Berlin, un institut de recherche et de réflexion, et professeur de macroéconomie et de finance à l'Université Humboldt.
 
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