MOYEN-ORIENT : Comment éviter la guerre de l'eau ?

Samedi 12 Octobre 2013

Un groupe d’hommes politiques et de journalistes du Moyen-Orient ont été conviés en Suisse et en Allemagne, dans le cadre de l’initiative Blue Peace, afin de se familiariser aux mécanismes de gestion commune de l'eau des pays riverains du Rhin.


MOYEN-ORIENT : Comment éviter la guerre de l'eau ?
Se promener aujourd'hui sur les bords du Rhin permet d'admirer une eau claire, des panoramas souvent magnifiques et une navigation dynamique. Le Rhin est de nouveau un fleuve vivant ayant retrouvé sa biodiversité, avec des taux de pollution très bas. Cela n'a pas toujours été le cas. Il y a quelques décennies, le fleuve était pollué, son eau ne valant plus ni à la consommation ni même à la baignade.
Il y a quelques décennies, les conflits entre les pays riverains se reflétaient sur cette artère qui traverse neuf pays européens et dessert plus de 40 millions d'êtres humains. Les ingrédients de cette réussite : la volonté politique des pays, un solide cadre de coopération en place depuis les années 1960, des stations communes de surveillance depuis une fuite toxique catastrophique en Suisse dans les années 1980.

C'est cette expérience que des politiciens et des journalistes du Liban, de Jordanie, d'Irak et de Turquie notamment ont été appelés à partager, lors d'une tournée qui les a conduits de Berne en Suisse à Coblence en Allemagne, à l'initiative du Strategic Foresight Group, dont le siège est situé en Inde, et de l'Agence suisse de développement et de coopération (SDC), dans le cadre du programme et réseau Blue Peace. Durant toutes les sessions et les visites de terrain qui ont jalonné cette tournée, une question se posait avec insistance : peut-on adapter l'expérience des pays du Rhin au tumultueux Moyen-Orient où l'eau est une cause majeure de conflits actuels et futurs ?

Pour mieux comprendre l'expérience des pays du Rhin, il faut savoir qu'elle est le fruit de soixante années de collaboration entamée au lendemain de la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale. Anne Schulte-Wülwer-Leidig, vice-secrétaire de la Commission internationale du Rhin, parle d'une confiance rebâtie lentement entre les pays, avec cette conscience commune qui a débouché sur une volonté politique de protéger ce fleuve commun. Jusqu'à maintenant, la collaboration ne se fait que par la seule voie des négociations, sans coercition ou pénalisation d'aucune sorte, a-t-elle répété. La commission se compose de représentants des pays membres, mais aussi d'ONG et d'entreprises de l'industrie chimique des régions, en qualité d'observateurs. Le financement provient des pays membres, et la répartition des charges financières a également fait l'objet de négociations.
Une situation où tout le monde est gagnant

Y a-t-il des chances que le modèle du Rhin influence les pays du Moyen-Orient ? Manfred Spreafico, ancien président de la commission hydrologique du Rhin et l'un des représentants du gouvernement suisse, affirme que rien n'est impossible si l'on détient les bonnes clés. "La condition sine qua non pour faire avancer les choses est la volonté politique des pays d'aller de l'avant, dit-il. Sinon, il vaut mieux oublier l'affaire ou du moins la reporter à plus tard. Pour moi, le plus important est de parvenir à une situation où tout le monde est gagnant. Je vous donne un exemple concernant le Rhin : en Suisse, où ce fleuve trouve son origine, nous n'avons actuellement aucun problème à gérer nous-mêmes nos ressources, notre eau est propre. Pourquoi devrions-nous coopérer avec les autres pays ?
 
Cependant, nous avons compris que cette coopération servait aussi nos intérêts, avec par exemple un pays comme l'Allemagne auquel nous lient des intérêts commerciaux. Nous sommes aptes à faire fonctionner nos barrages de manière à répondre également aux besoins de l'Allemagne. Nous nous retrouvons dans une situation où nous sommes tous deux gagnants."
L'expert pense qu'un accord sur l'eau est déjà important en soi, mais que le processus visant à mettre en place un tel accord peut ouvrir la voie à des négociations politiques plus poussées. Il donne l'exemple du traité signé entre le Canada et les Etats-Unis sur le fleuve Colombie [en Colombie-Britannique]. Ce fleuve causait des inondations permanentes en aval dans des villes américaines. "Ce pays a alors demandé au Canada de construire, à ses frais, des barrages afin de retenir l'eau durant la saison des inondations, poursuit-il. Le Canada a pu en profiter et produire de l'électricité et les Etats-Unis ont résolu le problème des inondations."
Renforcer la confiance entre les pays
Comment un accord sur l'eau peut-il éloigner le spectre de la guerre quand l'eau est elle-même facteur de conflits ? "Quand les pays sont riverains d'un cours d'eau international ou du moins transfrontalier, ils n'ont d'autre choix que de chercher une solution qui leur soit adéquate, insiste M. Spreafico. Dans ces cas-là, la loi internationale n'est pas contraignante. Il n'y a d'autre solution que de renforcer la confiance entre les pays. Il faut convaincre les populations et les politiques du bienfait des négociations. Il est nécessaire aussi de se souvenir que le processus de coopération ne peut être envisagé à court terme. Autour du Rhin, il a duré cent ans et a progressé étape par étape."
L'expert se dit convaincu que ce processus, quand il sera entamé, attirera inévitablement tous les riverains. "Quand l'ensemble des pays seront sur la table, le pays récalcitrant, s'il y en a, comprendra qu'il est perdant dans l'affaire et voudra se joindre aux autres, estime-t-il. Il faut toujours commencer quelque part, et il est important de faire partie du processus dès le début afin de mieux négocier les clauses des accords. Les retardataires s'inséreront plus difficilement dans cette voie."
De la médiévale Berne à l'antique Coblence, fondée il y a deux mille ans par les Romains, le Rhin coule désormais des jours tranquilles. Il est difficile d'imaginer, sur ses belles rives, que l'eau puisse être, ailleurs, une si grande source de tensions.
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