Le Pen a recueilli plus d’un tiers des suffrages au second tour, alors qu’hormis sa propre organisation, le Front national, un seul parti – le petit « Debout la France » de Nicolas Dupont-Aignan s’était rallié à sa candidature. En outre, la participation, très inférieure à celle des précédentes élections présidentielles, fait apparaître un grand nombre d’électeurs déçus. Si Macron échoue au terme de ces cinq années, Le Pen reviendra de plus belle dans le jeu politique, et les populistes nativistes en seront renforcés en Europe comme ailleurs.
Son positionnement en dehors des partis politiques traditionnels fut un atout, en ces temps de méfiance envers les structures existantes, pour le candidat Macron ; pour le président, il constitue en revanche un sérieux handicap. Son mouvement politique, En marche ! [aujourd’hui La République en marche !] n’est pas vieux d’un an. Il va devoir sortir des urnes, à partir de rien, une majorité à l’Assemblée nationale, à l’issue des élections législatives le mois prochain.
Les idées économiques de Macron résistent aux étiquettes. Durant la campagne présidentielle, il fut fréquemment accusé de rester dans le flou. Pour beaucoup à gauche et à l’extrême-droite, c’est un néo-libéral, qui se démarque peu de la politique d’austérité ayant trahi les attentes en Europe et conduit à l’impasse actuelle. L’économiste Thomas Piketty, qui soutenait le candidat socialiste Benoît Hamon voit en Macron un représentant de « l’Europe d’hier ».
Nombre des propositions de Macron en matière économique ont en effet une couleur néo-libérale. Il souhaite ramener le taux d’imposition des sociétés de 33,5% à 25%, supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, maintenir le déficit public sous la barre des 3% du PIB fixée par l’UE, et accroître la flexibilité du marché du travail (un euphémisme pour dire que les entreprises pourront licencier plus facilement). Mais il a également promis de maintenir le niveau des retraites, et son modèle social semble être celui de la flexisécurité des pays nordiques – qui combine sécurité économique et incitations axées sur le marché.
Aucune de ces mesures ne parviendra vraiment – du moins sur le court terme – à relever le grand défi de la présidence Macron : la création d’emplois. Comme le note Martin Sandbu, l’emploi est la première préoccupation des électeurs français, et devrait être, pour le nouveau gouvernement, la priorité des priorités. À 10% – et à près de 25% pour les moins de vingt-cinq ans – le taux de chômage en France reste élevé depuis la crise de la zone euro. À peu près rien ne prouve que la libération du marchés du travail relancera l’emploi, à moins que l’économie française ne connaisse aussi une accélération significative de sa demande.
C’est ici qu’entre en jeu l’autre élément du programme économique de Macron. Il propose un plan de relance de 50 milliards d’euros sur cinq ans, qui comprendrait des investissements dans les infrastructures et les technologies vertes, ainsi qu’un renforcement de la formation des chômeurs. Mais si l’on considère que ce plan de relance ne représente qu’à peine plus de 2% du PIB annuel de la France, il ne pourra à lui seul relever significativement le taux d’emploi.
L’idée la plus ambitieuse de Macron est de faire un bond en avant vers l’union budgétaire de la zone euro, avec un Trésor public commun et un seul ministre des finances. Cela permettrait, de son point de vue, d’instaurer des transferts budgétaires permanents, des pays les plus forts vers ceux que désavantage la politique monétaire commune de la zone euro. Le budget de la zone serait financé par des contributions qu’alimenteraient les recettes fiscales des pays membres. Un parlement idoine en assumerait le contrôle et la responsabilité politiques. Cette unification budgétaire permettrait à des pays comme la France d’augmenter ses dépenses d’infrastructures et de relancer la création d’emplois sans voir sortir des clous leur propre budget.
Une union budgétaire complétée par une intégration politique est une solution éminemment raisonnable. Elle représente du moins un chemin cohérent pour sortir la zone euro du no man’s land où elle est aujourd’hui enfermée. Mais les mesures imperturbablement européistes que préconise Macron ne sont pas seulement une question de politique et de principes. Elles sont aussi essentielles au succès de son programme économique. Faute d’une plus grande flexibilité budgétaire, ou bien de transferts venant du reste de la zone euro, la France ne sortira vraisemblablement pas de sitôt de la déprime du chômage. Le succès de la présidence Macron dépend donc, dans une large mesure, de la coopération européenne.
Ce qui nous ramène à l’Allemagne. La première réaction d’Angela Merkel au résultat de l’élection présidentielle française n’a guère été encourageante. Elle a félicité Macron, qui « porte les espoirs de millions de Français », mais elle a également rappelé qu’elle n’envisageait pas de modifier les règles budgétaires de la zone euro. Même si Merkel (ou Martin Schulz, s’il était élu chancelier) faisait preuve de plus de bonne volonté, le problème de l’électorat allemand ne se poserait pas moins. Après avoir présenté la crise de la zone euro non comme une question d’interdépendance, mais comme une affaire de morale – opposant des Allemands économes et durs à la peine à leurs débiteurs dépensiers et hypocrites – les responsables politiques allemands vont avoir bien du mal à convaincre leurs électeurs du bien-fondé d’une quelconque mise en commun budgétaire.
Anticipant la réaction allemande, Macron l’a déjà contrée : « Vous ne pouvez pas dire que vous êtes pour une Europe forte et pour la mondialisation et refuser à corps et à cris une union budgétaire. » Ce serait, pense-t-il, la route directe vers la désintégration et la victoire des politiques réactionnaires : « Sans transferts, vous ne permettrez pas aux pays de la périphérie de converger et vous créerez des divergences politiques qui feront le jeu des extrémistes. »
Si la France n’est pas un pays périphérique, le message de Macron à l’Allemagne est clair : ou bien vous m’aidez à construire une véritable union – économique, budgétaire, et par la suite politique – ou bien nous serons écrasés par les extrémistes.
Macron, selon toute probabilité, a raison. Pour le bien de la France, de l’Europe et du reste du monde, souhaitons que sa victoire s’accompagne d’un changement d’attitude de l’Allemagne.
Traduction François Boisivon
Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’université d’Harvard, est l’auteur de Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science (« Les règles de l’économie : les raisons et les torts de de la pseudo-science »).
© Project Syndicate 1995–2017
Son positionnement en dehors des partis politiques traditionnels fut un atout, en ces temps de méfiance envers les structures existantes, pour le candidat Macron ; pour le président, il constitue en revanche un sérieux handicap. Son mouvement politique, En marche ! [aujourd’hui La République en marche !] n’est pas vieux d’un an. Il va devoir sortir des urnes, à partir de rien, une majorité à l’Assemblée nationale, à l’issue des élections législatives le mois prochain.
Les idées économiques de Macron résistent aux étiquettes. Durant la campagne présidentielle, il fut fréquemment accusé de rester dans le flou. Pour beaucoup à gauche et à l’extrême-droite, c’est un néo-libéral, qui se démarque peu de la politique d’austérité ayant trahi les attentes en Europe et conduit à l’impasse actuelle. L’économiste Thomas Piketty, qui soutenait le candidat socialiste Benoît Hamon voit en Macron un représentant de « l’Europe d’hier ».
Nombre des propositions de Macron en matière économique ont en effet une couleur néo-libérale. Il souhaite ramener le taux d’imposition des sociétés de 33,5% à 25%, supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, maintenir le déficit public sous la barre des 3% du PIB fixée par l’UE, et accroître la flexibilité du marché du travail (un euphémisme pour dire que les entreprises pourront licencier plus facilement). Mais il a également promis de maintenir le niveau des retraites, et son modèle social semble être celui de la flexisécurité des pays nordiques – qui combine sécurité économique et incitations axées sur le marché.
Aucune de ces mesures ne parviendra vraiment – du moins sur le court terme – à relever le grand défi de la présidence Macron : la création d’emplois. Comme le note Martin Sandbu, l’emploi est la première préoccupation des électeurs français, et devrait être, pour le nouveau gouvernement, la priorité des priorités. À 10% – et à près de 25% pour les moins de vingt-cinq ans – le taux de chômage en France reste élevé depuis la crise de la zone euro. À peu près rien ne prouve que la libération du marchés du travail relancera l’emploi, à moins que l’économie française ne connaisse aussi une accélération significative de sa demande.
C’est ici qu’entre en jeu l’autre élément du programme économique de Macron. Il propose un plan de relance de 50 milliards d’euros sur cinq ans, qui comprendrait des investissements dans les infrastructures et les technologies vertes, ainsi qu’un renforcement de la formation des chômeurs. Mais si l’on considère que ce plan de relance ne représente qu’à peine plus de 2% du PIB annuel de la France, il ne pourra à lui seul relever significativement le taux d’emploi.
L’idée la plus ambitieuse de Macron est de faire un bond en avant vers l’union budgétaire de la zone euro, avec un Trésor public commun et un seul ministre des finances. Cela permettrait, de son point de vue, d’instaurer des transferts budgétaires permanents, des pays les plus forts vers ceux que désavantage la politique monétaire commune de la zone euro. Le budget de la zone serait financé par des contributions qu’alimenteraient les recettes fiscales des pays membres. Un parlement idoine en assumerait le contrôle et la responsabilité politiques. Cette unification budgétaire permettrait à des pays comme la France d’augmenter ses dépenses d’infrastructures et de relancer la création d’emplois sans voir sortir des clous leur propre budget.
Une union budgétaire complétée par une intégration politique est une solution éminemment raisonnable. Elle représente du moins un chemin cohérent pour sortir la zone euro du no man’s land où elle est aujourd’hui enfermée. Mais les mesures imperturbablement européistes que préconise Macron ne sont pas seulement une question de politique et de principes. Elles sont aussi essentielles au succès de son programme économique. Faute d’une plus grande flexibilité budgétaire, ou bien de transferts venant du reste de la zone euro, la France ne sortira vraisemblablement pas de sitôt de la déprime du chômage. Le succès de la présidence Macron dépend donc, dans une large mesure, de la coopération européenne.
Ce qui nous ramène à l’Allemagne. La première réaction d’Angela Merkel au résultat de l’élection présidentielle française n’a guère été encourageante. Elle a félicité Macron, qui « porte les espoirs de millions de Français », mais elle a également rappelé qu’elle n’envisageait pas de modifier les règles budgétaires de la zone euro. Même si Merkel (ou Martin Schulz, s’il était élu chancelier) faisait preuve de plus de bonne volonté, le problème de l’électorat allemand ne se poserait pas moins. Après avoir présenté la crise de la zone euro non comme une question d’interdépendance, mais comme une affaire de morale – opposant des Allemands économes et durs à la peine à leurs débiteurs dépensiers et hypocrites – les responsables politiques allemands vont avoir bien du mal à convaincre leurs électeurs du bien-fondé d’une quelconque mise en commun budgétaire.
Anticipant la réaction allemande, Macron l’a déjà contrée : « Vous ne pouvez pas dire que vous êtes pour une Europe forte et pour la mondialisation et refuser à corps et à cris une union budgétaire. » Ce serait, pense-t-il, la route directe vers la désintégration et la victoire des politiques réactionnaires : « Sans transferts, vous ne permettrez pas aux pays de la périphérie de converger et vous créerez des divergences politiques qui feront le jeu des extrémistes. »
Si la France n’est pas un pays périphérique, le message de Macron à l’Allemagne est clair : ou bien vous m’aidez à construire une véritable union – économique, budgétaire, et par la suite politique – ou bien nous serons écrasés par les extrémistes.
Macron, selon toute probabilité, a raison. Pour le bien de la France, de l’Europe et du reste du monde, souhaitons que sa victoire s’accompagne d’un changement d’attitude de l’Allemagne.
Traduction François Boisivon
Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’université d’Harvard, est l’auteur de Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science (« Les règles de l’économie : les raisons et les torts de de la pseudo-science »).
© Project Syndicate 1995–2017