La CEDEAO est venue ajouter à cet imbroglio, un ultimatum avec une exigence d’un retour des civils au pouvoir dans un délai dont la justification ne repose en tout cas, jusqu’à preuve du contraire sur des arguments intelligibles dans le contexte actuel.
L’analyse qui nous semble plus à même d’éclairer sur les questions qui font sens pour la plupart des maliens dans la rue, doit convoquer deux ressorts indispensables pour se projeter sur les solutions durables de sortie de crise. Il s’agit d’abord du système démocratique malien dans sa pratique et ses référentiels d’une part, et d’autre part la situation géopolitique du Mali. Ces questions méritent d’être réglées avant toute chose par des solutions structurelles et inclusives.
Le premier ressort est de notre point de vue, la trajectoire de la démocratie représentative malienne. Elle ne peut pas se comprendre qu’en convoquant le tréfond culturel que constitue la charte du Mandé « Kurukan Fugan », pour mesurer son niveau d’appropriation, et les biais et les conflits réflexifs qu’il est en mesure de susciter dans le système malien.
Voilà un pays qui n’en finit pas de connaitre coup d’état et soulèvements populaires pour renverser les régimes dits démocratiquement élus. Le dernier en date est celui du Président Ibrahim Boubacar Keita.
Comment comprendre qu’un régime « démocratiquement élu », il n’y a guère 2 ans se retrouve dans une impopularité telle que l’armée soit obligée de prendre le pouvoir pour éviter un bain de sang.
On pourrait me rétorquer qu’il y a l’épisode des élections législatives lourdement contestées, avec un rôle inédit, pour ne pas dire plus, joué par la Cour Constitutionnelle du Mali. On n’insistera pas outre mesure sur cet aspect quoique important.
En effet, pointer du doigt la question de la transparence des élections, revient à retenir une cause conjoncturelle du point de vue de sa séquence temporelle, mais le plus important est de revisiter les fondamentaux de la démocratie représentative, les réinterroger, si l’on veut construire dans la durée. Elire quelqu’un pour un mandat à durée déterminée, au cours duquel aucun changement ne peut intervenir avant terme, quoiqu’il fasse en termes de mal gouvernance, pose problème dès lors qu’il n’existe pas un Parlement apte à jouer son rôle de contrôle voire de contre-pouvoir. Si vous y ajouter l’immunité garantie au chef de l’Etat, pour tous les actes liés à l’exercice de ses fonctions, y compris le tripatouillage des textes fondamentaux pour se maintenir vaille que vaille au pouvoir, sans que l’on puisse envisager une quelconque poursuite pour de tels forfaits, on réunit les ingrédients nécessaires pour créer un « monarque républicain ». Or si l’on écoute bien les leitmotiv de la contestation, on se rend compte tout de suite que les éléments de langages revoient tous à des principes forts de gouvernance au cœur de la Charte du Mandé.
Le Mali comme tous les Etats en Afrique de l’Ouest, à l’exception notable du Ghana, connaissent aujourd’hui une véritable crise de la démocratie représentative, qui dépasse de loin les crises post électorales. La perspective appelle aujourd’hui, plus que jamais à travailler sur les notions d’équilibre des pouvoirs institutionnels plutôt que de séparation des pouvoirs, lesquels pouvoirs peuvent être bien séparés mais que dans la réalité l’un écrase les autres, et c’est le cas.
C’est pourquoi, il semble aujourd’hui urgent d’envisager des alternatives pour éviter l’apparition cyclique de coup d’Etat militaires et jeter les bases d’un retour au pouvoir des civils. La faiblesse institutionnelle de droit ou de fait des Parlements est aujourd’hui un point essentiel à régler pour conférer la légitimité qui revient aux instances de représentations issues d’élections libres et transparentes. Tout agenda qui ferait l’impasse sur cette question essentielle risque d’être rattrapée par le défaut d’ancrage et donc de légitimité, et par conséquent ne serait qu’un mauvais arrangement, si tant est qu’il en fut un.
Le second ressort indispensable qu’il faut interroger pour le cas malien est la problématique essentielle de sa frontière . Le Mali est un pays frontière.
Il ya quelques années, Enda Diapol avait publié chez l’Harmattan un ouvrage intitulé« Dynamiques transfrontalières » . Cet ouvrage, produit d’un travail collectif de recherche met en lumière les dynamiques transfrontalières et le jeu des divers acteurs économiques en Afrique de l’ouest, et apporte un éclairage qui peut aider à structurer une lecture géopolitique de l’espace sahélien , à partir du cas malien.
Le Mali est en plein dans ce champ d’investigation qui était constitué de l’Axe SKBO (Sikasso – Mali-, Korhogo- Côte d’ivoire- et Bobo Dioulasso -Burkina Faso). Ce triangle qui est l’épicentre d’échanges économiques extrêmement importants, ne peut être appréciée à cette seule aune, si on veut comprendre pourquoi le cas du Mali est complexe et par conséquent devrait être traité avec moins de simplicité, voire de simplification à l’image de ce que la CEDEAO veut faire. La « solution malienne » ne peut pas être trouvée abstraction faite de ce substrat économico-culturel.
Ce dernier est d’ailleurs directement connecté par sa frontière au triangle Maradi (Niger), Katsina et Kano au Nigéria. Au total, sur les 15 pays de la CEDEAO, 5 sont dans cet espace ou les intenses échanges économiques, à partir de plusieurs aires linguistiques et culturelles intégrées, sont autant d’éléments à prendre en compte dans les approches de sorties de crises, qui ne sauraient se limiter à des échéances et des figures imposées. C’est au fond tout le sens qu’il faut donner à la sortie tout en sagesse du Président Buhari. Les sanctions préconisées par la CEDEAO, dont on n’imagine pas l’onde de choc que cela pourrait produire, restent pour l’instant dans leurs formes actuelles, à ranger dans le registre des énonciations, peu susceptibles d’être mises en œuvre.
Il est important de se presser sans se hâter pour aller vers des solutions durables, même si l’on convient qu’il faut rapidement stabiliser le Mali à cause du cocktail dangereux qu’il pourrait constituer en interne, et en raison de la proximité de tous les pays frontaliers qui vont vers des échéances électorales d’ici la fin de l’année.
Des civils ou des militaires, quelle durée pour la transition, là n’est pas la question. En vérité la vraie question de savoir un transition vers quoi/ vers où ?
La fameuse déclaration de Barack Obama, comme quoi, « l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes » résonne aujourd’hui comme une mise en garde. Si la Transition au Mali aboutit à cela, des institutions fortes donc, le pays serait chaleureusement applaudi. C’est tout le mal qu’on souhaite à toutes les parties prenantes.
Mamadou NDAO
Juriste Consultant, Expert en Communication
Dakar
L’analyse qui nous semble plus à même d’éclairer sur les questions qui font sens pour la plupart des maliens dans la rue, doit convoquer deux ressorts indispensables pour se projeter sur les solutions durables de sortie de crise. Il s’agit d’abord du système démocratique malien dans sa pratique et ses référentiels d’une part, et d’autre part la situation géopolitique du Mali. Ces questions méritent d’être réglées avant toute chose par des solutions structurelles et inclusives.
Le premier ressort est de notre point de vue, la trajectoire de la démocratie représentative malienne. Elle ne peut pas se comprendre qu’en convoquant le tréfond culturel que constitue la charte du Mandé « Kurukan Fugan », pour mesurer son niveau d’appropriation, et les biais et les conflits réflexifs qu’il est en mesure de susciter dans le système malien.
Voilà un pays qui n’en finit pas de connaitre coup d’état et soulèvements populaires pour renverser les régimes dits démocratiquement élus. Le dernier en date est celui du Président Ibrahim Boubacar Keita.
Comment comprendre qu’un régime « démocratiquement élu », il n’y a guère 2 ans se retrouve dans une impopularité telle que l’armée soit obligée de prendre le pouvoir pour éviter un bain de sang.
On pourrait me rétorquer qu’il y a l’épisode des élections législatives lourdement contestées, avec un rôle inédit, pour ne pas dire plus, joué par la Cour Constitutionnelle du Mali. On n’insistera pas outre mesure sur cet aspect quoique important.
En effet, pointer du doigt la question de la transparence des élections, revient à retenir une cause conjoncturelle du point de vue de sa séquence temporelle, mais le plus important est de revisiter les fondamentaux de la démocratie représentative, les réinterroger, si l’on veut construire dans la durée. Elire quelqu’un pour un mandat à durée déterminée, au cours duquel aucun changement ne peut intervenir avant terme, quoiqu’il fasse en termes de mal gouvernance, pose problème dès lors qu’il n’existe pas un Parlement apte à jouer son rôle de contrôle voire de contre-pouvoir. Si vous y ajouter l’immunité garantie au chef de l’Etat, pour tous les actes liés à l’exercice de ses fonctions, y compris le tripatouillage des textes fondamentaux pour se maintenir vaille que vaille au pouvoir, sans que l’on puisse envisager une quelconque poursuite pour de tels forfaits, on réunit les ingrédients nécessaires pour créer un « monarque républicain ». Or si l’on écoute bien les leitmotiv de la contestation, on se rend compte tout de suite que les éléments de langages revoient tous à des principes forts de gouvernance au cœur de la Charte du Mandé.
Le Mali comme tous les Etats en Afrique de l’Ouest, à l’exception notable du Ghana, connaissent aujourd’hui une véritable crise de la démocratie représentative, qui dépasse de loin les crises post électorales. La perspective appelle aujourd’hui, plus que jamais à travailler sur les notions d’équilibre des pouvoirs institutionnels plutôt que de séparation des pouvoirs, lesquels pouvoirs peuvent être bien séparés mais que dans la réalité l’un écrase les autres, et c’est le cas.
C’est pourquoi, il semble aujourd’hui urgent d’envisager des alternatives pour éviter l’apparition cyclique de coup d’Etat militaires et jeter les bases d’un retour au pouvoir des civils. La faiblesse institutionnelle de droit ou de fait des Parlements est aujourd’hui un point essentiel à régler pour conférer la légitimité qui revient aux instances de représentations issues d’élections libres et transparentes. Tout agenda qui ferait l’impasse sur cette question essentielle risque d’être rattrapée par le défaut d’ancrage et donc de légitimité, et par conséquent ne serait qu’un mauvais arrangement, si tant est qu’il en fut un.
Le second ressort indispensable qu’il faut interroger pour le cas malien est la problématique essentielle de sa frontière . Le Mali est un pays frontière.
Il ya quelques années, Enda Diapol avait publié chez l’Harmattan un ouvrage intitulé« Dynamiques transfrontalières » . Cet ouvrage, produit d’un travail collectif de recherche met en lumière les dynamiques transfrontalières et le jeu des divers acteurs économiques en Afrique de l’ouest, et apporte un éclairage qui peut aider à structurer une lecture géopolitique de l’espace sahélien , à partir du cas malien.
Le Mali est en plein dans ce champ d’investigation qui était constitué de l’Axe SKBO (Sikasso – Mali-, Korhogo- Côte d’ivoire- et Bobo Dioulasso -Burkina Faso). Ce triangle qui est l’épicentre d’échanges économiques extrêmement importants, ne peut être appréciée à cette seule aune, si on veut comprendre pourquoi le cas du Mali est complexe et par conséquent devrait être traité avec moins de simplicité, voire de simplification à l’image de ce que la CEDEAO veut faire. La « solution malienne » ne peut pas être trouvée abstraction faite de ce substrat économico-culturel.
Ce dernier est d’ailleurs directement connecté par sa frontière au triangle Maradi (Niger), Katsina et Kano au Nigéria. Au total, sur les 15 pays de la CEDEAO, 5 sont dans cet espace ou les intenses échanges économiques, à partir de plusieurs aires linguistiques et culturelles intégrées, sont autant d’éléments à prendre en compte dans les approches de sorties de crises, qui ne sauraient se limiter à des échéances et des figures imposées. C’est au fond tout le sens qu’il faut donner à la sortie tout en sagesse du Président Buhari. Les sanctions préconisées par la CEDEAO, dont on n’imagine pas l’onde de choc que cela pourrait produire, restent pour l’instant dans leurs formes actuelles, à ranger dans le registre des énonciations, peu susceptibles d’être mises en œuvre.
Il est important de se presser sans se hâter pour aller vers des solutions durables, même si l’on convient qu’il faut rapidement stabiliser le Mali à cause du cocktail dangereux qu’il pourrait constituer en interne, et en raison de la proximité de tous les pays frontaliers qui vont vers des échéances électorales d’ici la fin de l’année.
Des civils ou des militaires, quelle durée pour la transition, là n’est pas la question. En vérité la vraie question de savoir un transition vers quoi/ vers où ?
La fameuse déclaration de Barack Obama, comme quoi, « l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes » résonne aujourd’hui comme une mise en garde. Si la Transition au Mali aboutit à cela, des institutions fortes donc, le pays serait chaleureusement applaudi. C’est tout le mal qu’on souhaite à toutes les parties prenantes.
Mamadou NDAO
Juriste Consultant, Expert en Communication
Dakar