Mettre fin à la violence religieuse au Proche-Orient

Vendredi 23 Décembre 2016

L’intensification du radicalisme, de la violence et des guerres civiles au Proche-Orient depuis le début de ce qu’on appelle les révoltes du printemps arabe en 2010 a eu des effets dévastateurs sur les vies et le bien-être des populations. Il est de plus en plus urgent de renforcer la capacité des États à assurer la paix, de meilleures perspectives et une plus grande prospérité, et à protéger les droits de la personne.


Déjà, la recrudescence de la violence des dernières années a causé la mort de plus de 180 000 Iraquiens et 470 000 Syriens. En outre, 6,5 millions de Syriens ont été chassés de leur foyer et sont réfugiés dans leur propre pays, un autre 4,8 millions de personnes ont dû purement et simplement fuir le pays. Souvent, ils ont été victimes d’actes de torture dans des prisons et ont subi maintes humiliations dans des camps de réfugiés. De 70 à 80 % des victimes  sont des civils, la plupart des femmes et des enfants.
En fait, selon le Centre syrien de recherche sur les politiques, la moitié des personnes réfugiées et déplacées à l’intérieur du pays a moins de 18 ans. Leur sort actuel a des conséquences désastreuses sur leur avenir. L’UNICEF signale  que 2,1 millions d’enfants en Syrie et 700 000 enfants syriens réfugiés ne fréquentent pas l’école. Près de 80 000 enfants réfugiés en Jordanie n’ont pas accès à une éducation.
Mais tous ces coûts sociaux sont les symptômes d’un problème plus profond — et, contrairement aux idées reçues, ce problème ne loge pas forcément à la même enseigne que l’Islam. Le fait que les islamistes ou les djihadistes sont de confession musulmane ne signifie pas que leur religion ni leur appartenance ethnique ou culturelle, soit intrinsèquement violente.
Si l’on examine un tant soit peu comment les médias occidentaux traitent de cette question, il n’est pas étonnant que tout le monde, ou presque, condamne Islam. Que ce soit les actes barbares de Daech en Syrie et en Iraq ou les attaques terroristes perpétrées par Al-Qaeda à la lapidation de femmes accusées d’adultère en vertu de la charia en Afghanistan, la violence au Proche-Orient est presque toujours attribuée à la religion. Pour cette raison, l’islam est souvent traité principalement comme une menace.
Pourtant, comme le philosophe canadien Charles Taylor l’explique, la véritable menace n’est pas l’islam en soi, mais la « pensée en bloc ». Les islamistes comptent pour moins de 0,5 % des musulmans dans le monde, pourtant leur vision du monde domine la couverture médiatique non seulement en ce qui concerne l’islam, mais aussi les développements politiques au Proche-Orient. En faisant fi des énormes différences entre les différentes communautés musulmanes, une telle couverture rigidifie une perception unique, simpliste de l’islam. C’est la pensée unique à l’œuvre. Et, comme Michael Griffin le met en évidence dans son livre Islamic State: Rewriting History  (La réécriture de l’histoire de Daech), la pensée en bloc gagne du terrain aux États-Unis et en Europe.
Ainsi, beaucoup ont souscrit à la théorie du « choc des civilisations » de l’historien Samuel Huntington, qui fait l’hypothèse que l’islam est incompatible avec la modernité. Mais cette hypothèse ferme les yeux des idées et de la grande influence des premiers réformistes de l’islam — des éminents rénovateurs comme Mohammed Abdou et Djamāl al-dīn al-Afghānī — qui influencent encore les musulmans du monde entier.
La première vague réformiste a fait naître un mouvement salafiste (conservateur et traditionaliste), qui est venu à considérer l’État moderne comme un moyen d’améliorer le sort des musulmans. De nos jours, les intellectuels musulmans comme Abdolkarim Soroush de l’Iran, Tahar Haddad de la Tunisie, Fazlur Rahmān du Pakistan, Fatema Mernisssi du Maroc, Qasim Amin de l’Égypte, Mahmoud Mohamed Taha du Soudan — poursuivent leurs explorations des liens entre les courants de pensée de l’islam et les valeurs modernes. Tandis que les islamistes s’inscrivent en faux à leurs travaux, ces sommités ont exercé une influence prépondérante sur des générations d’intellectuels musulmans dans le monde entier.
Cela ne veut pas dire que la religion ne joue aucun rôle dans la violence au Proche-Orient. Au contraire, de telles violences — notamment les agressions sexuelles et la privation arbitraire des libertés individuelles et collectives — sont endémiques et protéiformes, en raison de l’amalgame des convictions religieuses, des us et coutumes, d’origines raciales ou ethniques, des guerres et de la politique qui l’influence. Même le recrutement des combattants djihadistes peut être considéré comme une forme de violence fondée sur la religion, tout comme le mariage forcé d’enfants et les crimes d’honneur.
Mais rien de tout cela ne signifie que l’islam est par nature violent. En ayant recours à de vagues — et souvent intolérantes — explications d’ordre culturel, religieux ou ethnique, les actions se font à mauvais escient, ou deviennent nulles et non avenues.
Ce dont le Proche-Orient a besoin, ce sont des stratégies et des mesures sociales et économiques porteuses qui s’attaquent de front aux raisons complexes qui résident en dehors de la religion et qui sous-tendent cette violence — et ses effets incontestablement non religieux. Même s’il est vrai qu’il faut considérer les facteurs culturels, ethniques et religieux, ils ne sont pas les principales causes du chômage et de la marginalisation.
Les États du Proche-Orient doivent s’engager à poursuivre des politiques audacieuses et créatives qui tentent de porter remède aux problèmes d’un enseignement inadéquat, du chômage élevé et de la corruption endémique qui contribue à attiser la violence et les tensions dans la région. De telles initiatives doivent viser l’avancement de la démocratisation, le développement économique et l’avènement d’une société civile dynamique et de médias progressistes. La solution n’est certainement pas d’« islamiser » tous les problèmes, mais de mettre sur pied des mesures concrètes qui répondent aux besoins des populations.
L’éducation est évidemment un facteur essentiel pour améliorer leur sort : les programmes scolaires doivent tenir compte de la diversité des élèves, élargir leur connaissance des différentes religions et cultures. Plus généralement, les écoles doivent également incarner la séparation du pouvoir religieux et de l’État — et de libertés religieuses bien protégées — qui seront nécessaires à la fin de la violence fondée sur la religion au Proche-Orient.
La violence généralisée qui caractérise le Proche-Orient cause des torts dévastateurs aux personnes, érode les assises financières, nuit à la productivité et affaiblit la croissance économique. Il faut atténuer ses répercussions sur les structures politiques, sociales et économiques et la capacité de l’État d’y parvenir ne doit pas être sous-évaluée ou négligée. Or, aussi longtemps que l’État encadre ses politiques ou tente de les légitimer sur des bases religieuses, la violence ne cessera pas.
Moha Ennaji est président du Centre Nord Sud pour le dialogue interculturel et les études d’émigration du Maroc et professeur de linguistique et d’études culturelles à l’Université de Fez. Ses plus récents livres sont New Horizons of Muslim Diaspora in North America and Europe (Nouveaux horizons de la communauté musulmane en Amérique du Nord et en Europe) et Muslim Moroccan Migrants in Europe  (Les émigrants marocains musulmans en Europe).
 
chroniques


Dans la même rubrique :
< >

Lundi 21 Octobre 2024 - 00:26 Débloquer l'apprentissage par l'IA

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter