Mieux financer la riposte de l’Afrique face au COVID-19

Mercredi 16 Septembre 2020

Tandis que l’été touche à sa fin, une nouvelle vague d’infections au COVID-19 menace. Si le nombre de cas demeure sous contrôle au Cambodge, au Danemark, à l’île Maurice, ou encore au Maroc, il est actuellement en augmentation en Éthiopie et dans certaines régions des États-Unis. Les infections se multiplient si rapidement en France, au Kenya et en Espagne que de nouveaux confinements pourraient être imminents. Au Brésil et en Afrique du Sud, il est possible que le pic n’ait pas encore été atteint.


Peu de pays sont préparés à l’automne redoutable qui s’annonce. C’est notamment le cas pour l’Afrique, où la riposte sanitaire et économique est encore très insuffisante face à l’ampleur de la crise du COVID-19.
À ce jour, l’Afrique a rapporté  plus d’1,2 million de cas de COVID-19, et plus de 30 000 décès. Or, seuls 12 des 54 pays africains testent plus de 10 % de leur population. Et tandis que la propagation s’accélère au sein des communautés, les efforts de traçage des contacts demeurent lacunaires. Le coût des confinements sur le continent s’élève pourtant à plus de 65 milliards $ chaque mois. D’après les prévisions  du Fonds monétaire international, l’activité économique en Afrique subsaharienne devrait enregistrer cette année une contraction de 3,2 %.
Si la crise du COVID-19 n’épargne aucun pays, seuls quelques États sont parvenus à mettre en œuvre des programmes d’aide à grande échelle. Les États-Unis ont rapidement adopté un plan de relance à hauteur de 2 000 milliards $, prévoyant notamment des versements directs aux ménages, le renforcement des prestations chômage, ainsi qu’une aide financière pour les entreprises en difficulté.

De même, le programme d’aide de 400 milliards $ adopté au Royaume-Uni a permis de maintenir les entreprises à flots et le chômage sous contrôle, via par exemple le paiement d’une large part des salaires des employés congédiés.

La France a elle aussi beaucoup dépensé pour soutenir son économie, notamment pour sauver  ses industries phares de l’aéronautique et de l’automobile, sans parler du fonds de relance de 750 milliards € récemment adopté avec ses partenaires de l’Union européenne. Au Japon, le plan de relance économique s’élève  à près de 1 000 milliards $.

Toutes ces démarches ont en commun l’accent placé sur l’échelle nationale ou régionale, l’approche prédominante face au COVID-19, avec pour exception l’initiative de suspension du service de la dette (DSSI) du G20. Pleinement mis en œuvre, la DSSI est censée apporter plus de 12 milliards $ de liquidités supplémentaires au 76 pays les moins développés en 2020, et encore 14 milliards $ en 2021.

Or, à ce jour, la DSSI ne se montre pas à la hauteur des attentes, ayant seulement libéré 4 milliards $ pour les États concernés. Pays créanciers et débiteurs ne participent pas pleinement à l’initiative, en raison de facteurs tels que le manque de compréhension des pays bénéficiaires quant à la procédure, ou la crainte d’une dégradation de leur notation de crédit.

Tous ces obstacles peuvent et doivent être surmontés. Le Paris Club et le secrétariat du G20 travaillent d’ores et déjà pour remédier à l’incertitude. Les agences de notation doivent être convaincues de supprimer le spectre de la réduction de notation pour les États concernés par la DSSI, tandis que les pays créanciers et débiteurs doivent être encouragés à y participer.

Pour autant, même si la DSSI est pleinement appliquée, elle ne suffira pas à combler le manque de financements face à la pandémie en Afrique, qui devrait s’élever annuellement à quelque 100 milliards $  sur les trois prochaines années. Pour remédier à cette insuffisance, il est nécessaire que les prêteurs multilatéraux interviennent.

Jusqu’à présent, la Banque africaine de développement, le FMI et la Banque mondiale ont déboursé environ 60 milliards $ en faveur de l’Afrique. Pour rassembler à l’avance l’aide nécessaire aux économies en voie de développement sur les deux prochaines années, ces institutions vont devoir accroître significativement leur base de capital. C’est la raison pour laquelle nous appelons à une nouvelle ronde de reconstitution pour l’Association internationale de développement de la Banque mondiale, ainsi qu’à des ressources supplémentaires pour d’autres banques multilatérales de développement et le FMI.
Le FMI doit par ailleurs envisager une nouvelle émission de son actif de réserve, les droits de tirage spéciaux. L’institution avait émis  ces DTS au lendemain de la crise financière de 2008. Or, la crise actuelle est encore plus profonde et généralisée.

Une nouvelle émission nécessitera cependant du temps. Dans l’attente, les pays du G20 doivent mettre à disposition les 129,7 milliards $ qu’ils détiennent d’ores et déjà en DTS non utilisés, sous la forme de prêts aux économies émergentes et en voie de développement. Le FMI doit assumer une responsabilité dans la détermination de l’attribution de ces DTS existants aux pays les plus vulnérables.

Le G20 lui-même peut accomplir davantage. Les marchés de capitaux restent une source majeure de fonds pour les gouvernements en difficulté budgétaire. Jusqu’à récemment, l’accès à ces marchés permettait aux pays émergents et en voie de développement aux fondamentaux macroéconomiques solides de booster l’investissement dans les secteurs porteurs de croissance. La crise du COVID-19 a néanmoins fortement compliqué cette possibilité.

Pour soutenir ces pays, le G20 doit appuyer la mise en place d’une facilité de liquidité et de durabilité, permettant d’abaisser les coûts d’emprunt, et d’aider les gouvernements à obtenir des financements transitoires ainsi qu’à gérer leurs dettes. De fait, plusieurs facilités comparables, au sein de pays clés de l’OCDE, ont permis de limiter l’impact financier et économique de la pandémie, notamment en empêchant plusieurs crises majeures de liquidité.

Quant aux pays dont les fondamentaux étaient déjà affaiblis avant la crise, il va leur falloir opérer une restructuration de la dette. L’Argentine œuvre d’ores et déjà sur cette voie, et d’autres suivront certainement. Un cadre actualisé sera nécessaire pour leur permettre de mener à bien cette démarche.
Le fait est qu’un certain nombre d’États sont beaucoup mieux équipés que d’autres pour répondre à la pandémie de COVID-19, et qu’au sein d’une économique mondiale profondément interconnectée, aucun ne pourra surmonter seul cette crise. La communauté internationale – G7 et G20 notamment – doit mener une action audacieuse, innovante et rapide pour soutenir ceux qui en ont besoin. Les solutions sont connues. Leur mise en œuvre exigera un leadership global.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
Cet article est cosigné par les envoyés spéciaux suivants de l’Union africaine face au COVID-19 : Tidjane Thiam, membre du Comité mondial des conseillers de l’organisation Council on Foreign Relations ; Donald Kaberuka, président du Conseil d’administration du Fonds mondial ; Trevor Manuel, conseiller du président de l’Afrique du Sud, et ancien ministre des Finances de l’Afrique du Sud ; Abderrahmane Benkhalfa, ancien ministres des Finances de l’Algérie ; et Strive Masiyiwa, fondateur et président exécutif d’Econet Wireless International.
Brahima Coulibaly est vice-président et directeur du programme Global Economy and Development de la Brookings Institution. Ngozi Okonjo-Iweala est présidente du Conseil d’administration de Gavi, l’Alliance du Vaccin, et envoyée spéciale de l’Union africaine face au COVID-19. Vera Songwé est sous-secrétaire générale de l’ONU, et secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique.
© Project Syndicate 1995–2020
 
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