Nous n’avons pas besoin du G7

Jeudi 17 Juin 2021

La débauche de moyens déployés pour le dernier sommet du G7 n’aura servi à rien. S’il fallait absolument réunir un tel sommet, le mieux eût été de le faire en ligne, ce qui aurait épargné du temps, des frais logistiques et du dioxyde de carbone émis par les avions des participants. Cela dit, les sommets du G7 sont devenus, et c’est surtout là que le bât blesse, un anachronisme.


Les dirigeants politiques doivent cesser de consacrer leur énergie à un exercice non représentatif de ce qu’est devenue l’économie mondiale et qui se traduit par un hiatus de plus en plus net entre les buts affichés et les moyens adoptés pour y parvenir.

Il n’y a rien, absolument rien, dans ce sommet du G7 qui n’aurait pu être fait à moindres frais, plus facilement et simplement, par Zoom. Le sommet diplomatique le plus utile de l’année fut la réunion en ligne, appelée par le président Joe Biden, des 40 dirigeants mondiaux qui se sont entretenus en avril du changement climatique. Les rencontres internationales régulières en ligne de responsables politiques, de parlementaires, de scientifiques et de militants sont indispensables. Elles normalisent le débat international.

Mais pourquoi restreindre ce débat au cadre du G7, auquel s’est déjà substitué le G20 ? Lorsque les pays du G7 (le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis) ont inauguré ces sommets annuels, dans les années 1970, ils dominaient encore l’économie mondiale. En 1980, ils comptaient pour 51 % du PIB mondial (évalué aux prix internationaux), tandis que les pays d’Asie n’en représentaient que 8,8 %. En 2021, la part des pays du G7 dans la production mondiale n’est plus que de 31 %, tandis que celle des mêmes pays asiatiques se monte à 32,9 %.

Le G20, parce qu’il comprend la Chine, l’Inde, l’Indonésie et d’autres grands pays en développement, représente environ 81 % de la production mondiale ; les pays à haut revenu et les économies en développement qui en sont membres y voient s’équilibrer leurs intérêts. S’il n’est pas parfait, puisqu’il laisse sur le pas de sa porte les pays plus pauvres et plus petits et que l’Union africaine devrait y appartenir, il offre au moins un format adapté pour débattre des questions globales qui concernent l’essentiel de l’économie mondiale. Le sommet qui réunit tous les ans l’Union européenne et les États-Unis peut se charger de la plupart des tâches originellement assignées au G7.

Le manque d’intérêt du G7 tient surtout aux promesses non tenues de ses dirigeants. Ils ont plus de goût pour les déclarations symboliques que pour la solution des problèmes. Et, ce qui est pire, ils donnent l’impression de résoudre les problèmes mondiaux alors qu’en réalité ils les laissent s’aggraver. Le sommet de cette année ne fait pas exception à la règle.

Considérons les vaccins contre le Covid-19. Les dirigeants du G7 se sont fixé pour objectif de vacciner au moins 60 % de la population mondiale. Ils se sont aussi engagés à partager directement dans le courant de l’année prochaine 870 millions de doses, qui seraient assez, on peut le supposer, pour immuniser complètement (par l’injection de deux doses) 435 millions de personnes… lesquelles représentent le dixième environ des 60 % de la population mondiale, soit 4,7 milliards d’individus.

Les dirigeants du G7 n’ont proposé aucune solution pour parvenir au but affiché d’une protection mondiale contre le virus et n’en ont assurément imaginé aucune, alors même qu’il ne serait pas difficile de le faire. Estimer la production mensuelle de chaque vaccin n’est pas une chose compliquée et il est parfaitement possible d’allouer équitablement et efficacement les doses produites à l’ensemble des pays.

L’une des raisons pour lesquelles cette solution n’a pas encore vu le jour tient au refus du gouvernement des États-Unis de débattre avec les dirigeants russes et chinois de la distribution des vaccins à l’échelle mondiale. En outre, les gouvernements du G7 laissent le champ libre aux fabricants de vaccins, qui négocient séparément et confidentiellement et non pas dans le cadre d’un plan global. Le G7 fixe aussi des objectifs mondiaux sans prendre suffisamment en compte les besoins spécifiques de chaque pays, ce qui constitue peut-être une troisième raison.

Le changement climatique offre un autre exemple des fausses promesses du G7. Lors du précédent sommet, ses dirigeants avaient adopté, à juste titre, l’objectif d’une décarbonation mondiale d’ici 2050, et appelé les pays en développement à en faire autant. Mais plutôt que de mettre en place un plan de financement qui aurait permis aux pays en développement d’atteindre cette cible, ils se sont contentés de réitérer un engagement financier formulé dès 2009 et resté, depuis, lettre morte.  « Nous réaffirmons l’objectif collectif des pays développés – ont-ils déclaré  – de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an auprès de sources publiques et privées, jusqu’en 2025, pour soutenir des mesures concrètes d’atténuation et une mise en œuvre transparente. »

Il est difficile d’exagérer le cynisme d’un tel vœu, maintes fois répété. Les pays riches n’ont pas respecté la date butoir qu’ils s’étaient eux-mêmes fixée, à savoir l’année 2020, pour dispenser ces 100 milliards de dollars annuels depuis si longtemps promis – qui ne représentent que 0,2 % de leur PIB. Une somme qui n’est, par ailleurs, qu’une faible part des fonds nécessaires aux pays en développement pour décarboner leurs économies et s’adapter au changement climatique.

Le hiatus entre les objectifs toujours revus à la hausse du G7 et ses maigres facultés est tout aussi patent pour ce qui concerne l’éducation. Des centaines de millions d’enfants des pays pauvres ne peuvent accéder à l’enseignement primaire et secondaire parce que leurs gouvernements n’ont pas les moyens financiers de leur donner des professeurs, des salles de classe et des fournitures scolaires. En 2020, l’UNESCO estimait  que les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure avaient besoin d’environ 504 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 pour que tous les enfants puissent achever leur enseignement secondaire, mais ne pouvaient rassembler, avec leurs seules ressources, qu’environ 356 milliards de dollars, ce qui laisse une différence d’environ 148 milliards de dollars par an.

Que propose donc le G7 dans le communiqué de cette année ? Les dirigeants souhaitent, disent-ils, « ajouter 40 millions de filles dans le système d’éducation et [verser] au moins 2,75 milliards de dollars en financement dans le Partenariat mondial pour l’éducation. » Ces chiffres ne sont pas sérieux. Ils sortent du chapeau d’un magicien et laisseront aux portes de l’école des centaines de millions d’enfants, malgré les engagements fermes pris au niveau mondial (formalisés dans l’Objectif de développement durable 4) en faveur d’un enseignement secondaire universel. Des solutions à grande échelle sont disponibles – comme la mobilisation de financements à taux bas en recourant aux banques multilatérales de développement – mais les dirigeants du G7 n’en proposent pas.

Les problèmes du monde sont beaucoup trop urgents pour que nous laissions le soin de résoudre ceux qui sont identifiés à des déclarations grandiloquentes et à des mesures de pure forme eu égard à l’immensité des besoins. Si la politique n’était qu’un simple spectacle sportif, dont les acteurs étaient jugés à l’aune de leurs talents photogéniques, le sommet du G7 aurait peut-être un rôle à jouer. Mais nous devons répondre à des besoins urgents à l’échelle mondiale : mettre un terme à la pandémie, décarboner le système énergétique, scolariser les enfants et atteindre les ODD.

Voici donc quelques recommandations : moins de rencontres en tête-à-tête ; plus de travail sérieux en amont, pour permettre aux moyens de se hisser à la hauteur des fins ; plus de réunions régulières sur Zoom afin de débattre de ce qui doit réellement être fait ; un recours plus fréquent et conséquent, enfin, au G20 (plus l’Union africaine), qui constitue le groupe capable de faire avancer les choses. L’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine doivent participer au débat si nous voulons véritablement résoudre les problèmes de la planète.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de politiques de santé publique à l’université Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de Columbia et du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies.
© Project Syndicate 1995–2021
 
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