Les plus déçus par cette nouvelle sont des personnes que je tiens en haute estime. Par exemple, la sénatrice Elizabeth Warren se dit « perturbée » par la décision d'Obama. Le sénateur Bernie Sanders quant à lui trouve cela « déplaisant. » Mais il me semble pourtant que l'on peut trouver quelques bons côtés à la décision d'Obama.
J'ai rencontré Obama deux fois et j'ai été frappé à ces deux occasions par son énergie naturelle et par sa grâce. Notre première rencontre a eu lieu le 7 novembre 2010, lorsque le Premier ministre indien Manmohan Singh a convié Obama à un dîner à sa résidence de New Delhi. À cette époque, l'économie indienne avait cela de remarquable qu'elle venait de se relever rapidement après la crise financière de 2008. Lorsque Singh m'a présenté comme le principal conseiller économique du gouvernement indien, Obama a montré son grand sens de la répartie. Il a montré du doigt son Secrétaire du Trésor Timothy Geithner et m'a dit : « Vous devriez donner quelques conseils à ce gars-là. »
Notre seconde rencontre a eu lieu en janvier 2015, quelques semaines avant qu'Obama ne fasse une autre visite officielle en Inde. Les conseillers d'Obama m'ont invité à la Maison blanche afin d'informer le Président sur l'état de l'économie indienne, dans le cadre d'une discussion entre trois ou quatre personnes sur les relations entre l'Inde et les États-Unis. Cette réunion est à présent l'un de mes meilleurs souvenirs, parce que je crois qu'Obama a suivi mon conseil à cette occasion. Cela m'encourage à lui donner un autre petit conseil, à présent qu'il a accepté ces honoraires de conférencier si décriés.
L'arrangement d'Obama avec Cantor Fitzgerald est une démonstration claire de la façon dont l'économie d'entreprise a changé au cours des dernières décennies. En cette ère de mondialisation et de surcharge d'information, chacun s'échine pour capter l'attention de tous les autres. Ce hamburger spécial sur le menu de votre restaurant n'a aucune valeur si personne n'en a jamais entendu parler. Lorsque tant de producteurs se battent pour capter l'attention des clients, le marketing et les recommandations deviennent d'autant plus importants et d'autant plus chers.
Ce qui est vrai des hamburgers l'est également des services de conseil et des sociétés de services financiers. Les marques et la communication ne se sont jamais classées aussi haut qu'à présent. Si vous êtes en mesure de signaler quelque chose de spécial au sujet de votre entreprise à l'ère du numérique et de la mondialisation, vous pouvez engranger des profits importants.
Pour Cantor Fitzgerald, inviter le dernier ancien Président des États-Unis en date remplit précisément cette fonction. L'entreprise a conclu un marché avec Obama, en lui offrant une part de son gâteau, qui sera prochainement plus gros. Si Obama a demandé un tarif beaucoup plus faible - disons, 50 000 dollars - il aurait évité la critique, mais en faisant cadeau à une entreprise d'investissement de Wall Street de 350 000 dollars de mieux.
Bien sûr, certains observateurs vont simplement interpréter la présence d'Obama à la conférence de septembre comme un soutien en faveur de Wall Street : un inconvénient qui devrait le préoccuper. Évidemment si Obama avait accepté une invitation de la National Rifle Association, personne n'aurait pu percevoir sa décision comme autre chose qu'une trahison. Mais avec Wall Street le cas est différent, en ce que Wall Street fait partie intégrante de la nouvelle économie mondiale et qu'on ne peut pas tout simplement l'en retirer. Il faut réparer ce système avec des solutions soigneusement élaborées.
Les entreprises ont commencé à employer d'anciens Présidents pour stimuler leurs marques dans les années 1970 et cette pratique est devenue très visible lorsque Ronald Reagan a accepté 2 millions de dollars d'une société japonaise pour prononcer deux conférences. Conjointement, la valeur de production des biens ou des services à des fins commerciales a diminué en termes relatifs, puisque le marketing, la publicité et la conclusion de marchés sont devenus des priorités absolues. Cela est évident par le fait que les PDG actuels ont des revenus 200 fois supérieurs à ceux de leurs employés de base, alors que dans les années 1950, ils gagnaient seulement 20 fois plus que ces derniers.
Il est réjouissant de constater que certaines personnes, que le système a enrichies, sont d'accord sur le fait qu'il doit changer et militent même dans ce sens. Ces personnes sont confrontées à la même question que celle posée par le philosophe Bertrand Russell dans son essai controversé de 1932 pour le New York American : « Les socialistes ont-ils le droit de fumer de bons cigares ? » (Pour mémoire, Russell a répondu que oui.)
Néanmoins, plus de gens doivent reconnaître que l'évolution de l'économie mondiale a donné lieu à des inégalités extrêmes qui, comme les émissions excessives de CO2, constituent un « tort public. » Et ils doivent reconnaître que la tâche de réduire les inégalités, tout comme la lutte contre le changement climatique, ne peut pas être simplement laissée au marché. Nous avons besoin de règlementations plus intelligentes, d'une augmentation des taxes sur les riches (ce qui est le contraire de ce que veut faire le Président américain actuel Donald Trump) et de limites ciblées sur les revenus des grands patrons d'entreprise par rapport à ceux de leurs employés.
Pour sa plus grande part, notre situation actuelle n'est pas la faute d'une seule personne ni d'un seul groupe. Mais le développement et la promotion d'un programme progressif est maintenant une responsabilité collective. Ma réponse à la question de Russell consiste à dire que dans un pays pauvre, les idéalistes qui luttent pour une plus grande égalité doivent essayer de ne pas fumer des cigares coûteux ; mais s'ils sont irrémédiablement dépendants à cette substance, ils ne doivent pas abandonner leur idéalisme simplement parce qu'ils ne peuvent pas arrêter les cigares.
Il en va de même pour Obama. Il doit continuer à critiquer Wall Street et le piège systémique dans lequel nous nous trouvons. Maintenant qu'il a accepté les 400 000 dollars, il doit les utiliser pour lutter contre les inégalités et pour promouvoir un ordre du jour plus progressiste, de sorte que ses successeurs ne reçoivent même pas des offres de ce genre.
Kaushik Basu, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, professeur d'économie à Cornell University.
J'ai rencontré Obama deux fois et j'ai été frappé à ces deux occasions par son énergie naturelle et par sa grâce. Notre première rencontre a eu lieu le 7 novembre 2010, lorsque le Premier ministre indien Manmohan Singh a convié Obama à un dîner à sa résidence de New Delhi. À cette époque, l'économie indienne avait cela de remarquable qu'elle venait de se relever rapidement après la crise financière de 2008. Lorsque Singh m'a présenté comme le principal conseiller économique du gouvernement indien, Obama a montré son grand sens de la répartie. Il a montré du doigt son Secrétaire du Trésor Timothy Geithner et m'a dit : « Vous devriez donner quelques conseils à ce gars-là. »
Notre seconde rencontre a eu lieu en janvier 2015, quelques semaines avant qu'Obama ne fasse une autre visite officielle en Inde. Les conseillers d'Obama m'ont invité à la Maison blanche afin d'informer le Président sur l'état de l'économie indienne, dans le cadre d'une discussion entre trois ou quatre personnes sur les relations entre l'Inde et les États-Unis. Cette réunion est à présent l'un de mes meilleurs souvenirs, parce que je crois qu'Obama a suivi mon conseil à cette occasion. Cela m'encourage à lui donner un autre petit conseil, à présent qu'il a accepté ces honoraires de conférencier si décriés.
L'arrangement d'Obama avec Cantor Fitzgerald est une démonstration claire de la façon dont l'économie d'entreprise a changé au cours des dernières décennies. En cette ère de mondialisation et de surcharge d'information, chacun s'échine pour capter l'attention de tous les autres. Ce hamburger spécial sur le menu de votre restaurant n'a aucune valeur si personne n'en a jamais entendu parler. Lorsque tant de producteurs se battent pour capter l'attention des clients, le marketing et les recommandations deviennent d'autant plus importants et d'autant plus chers.
Ce qui est vrai des hamburgers l'est également des services de conseil et des sociétés de services financiers. Les marques et la communication ne se sont jamais classées aussi haut qu'à présent. Si vous êtes en mesure de signaler quelque chose de spécial au sujet de votre entreprise à l'ère du numérique et de la mondialisation, vous pouvez engranger des profits importants.
Pour Cantor Fitzgerald, inviter le dernier ancien Président des États-Unis en date remplit précisément cette fonction. L'entreprise a conclu un marché avec Obama, en lui offrant une part de son gâteau, qui sera prochainement plus gros. Si Obama a demandé un tarif beaucoup plus faible - disons, 50 000 dollars - il aurait évité la critique, mais en faisant cadeau à une entreprise d'investissement de Wall Street de 350 000 dollars de mieux.
Bien sûr, certains observateurs vont simplement interpréter la présence d'Obama à la conférence de septembre comme un soutien en faveur de Wall Street : un inconvénient qui devrait le préoccuper. Évidemment si Obama avait accepté une invitation de la National Rifle Association, personne n'aurait pu percevoir sa décision comme autre chose qu'une trahison. Mais avec Wall Street le cas est différent, en ce que Wall Street fait partie intégrante de la nouvelle économie mondiale et qu'on ne peut pas tout simplement l'en retirer. Il faut réparer ce système avec des solutions soigneusement élaborées.
Les entreprises ont commencé à employer d'anciens Présidents pour stimuler leurs marques dans les années 1970 et cette pratique est devenue très visible lorsque Ronald Reagan a accepté 2 millions de dollars d'une société japonaise pour prononcer deux conférences. Conjointement, la valeur de production des biens ou des services à des fins commerciales a diminué en termes relatifs, puisque le marketing, la publicité et la conclusion de marchés sont devenus des priorités absolues. Cela est évident par le fait que les PDG actuels ont des revenus 200 fois supérieurs à ceux de leurs employés de base, alors que dans les années 1950, ils gagnaient seulement 20 fois plus que ces derniers.
Il est réjouissant de constater que certaines personnes, que le système a enrichies, sont d'accord sur le fait qu'il doit changer et militent même dans ce sens. Ces personnes sont confrontées à la même question que celle posée par le philosophe Bertrand Russell dans son essai controversé de 1932 pour le New York American : « Les socialistes ont-ils le droit de fumer de bons cigares ? » (Pour mémoire, Russell a répondu que oui.)
Néanmoins, plus de gens doivent reconnaître que l'évolution de l'économie mondiale a donné lieu à des inégalités extrêmes qui, comme les émissions excessives de CO2, constituent un « tort public. » Et ils doivent reconnaître que la tâche de réduire les inégalités, tout comme la lutte contre le changement climatique, ne peut pas être simplement laissée au marché. Nous avons besoin de règlementations plus intelligentes, d'une augmentation des taxes sur les riches (ce qui est le contraire de ce que veut faire le Président américain actuel Donald Trump) et de limites ciblées sur les revenus des grands patrons d'entreprise par rapport à ceux de leurs employés.
Pour sa plus grande part, notre situation actuelle n'est pas la faute d'une seule personne ni d'un seul groupe. Mais le développement et la promotion d'un programme progressif est maintenant une responsabilité collective. Ma réponse à la question de Russell consiste à dire que dans un pays pauvre, les idéalistes qui luttent pour une plus grande égalité doivent essayer de ne pas fumer des cigares coûteux ; mais s'ils sont irrémédiablement dépendants à cette substance, ils ne doivent pas abandonner leur idéalisme simplement parce qu'ils ne peuvent pas arrêter les cigares.
Il en va de même pour Obama. Il doit continuer à critiquer Wall Street et le piège systémique dans lequel nous nous trouvons. Maintenant qu'il a accepté les 400 000 dollars, il doit les utiliser pour lutter contre les inégalités et pour promouvoir un ordre du jour plus progressiste, de sorte que ses successeurs ne reçoivent même pas des offres de ce genre.
Kaushik Basu, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, professeur d'économie à Cornell University.