Obama se joint au chœur grec

Dimanche 8 Février 2015

PRINCETON – Il est remarquable que le président des États-Unis Barack Obama ait récemment lancé un appel pour que soit assoupli le carcan d’austérité imposé à la Grèce ; tout comme son appui à la position de négociation du gouvernement grec récemment élu à l’égard de ses créanciers institutionnels. Les commentaires d’Obama représentent une rupture avec la traditionnelle discrétion officielle des États-Unis observée à l’égard des affaires monétaires de l’Europe. Même si des spécialistes américains ont souvent dénoncé les politiques de l’union monétaire européenne, les instances gouvernementales sont toujours restées muettes sur le sujet.


Barack Obama, Président des États-Unis
Barack Obama, Président des États-Unis
Les critiques de l’euro ou de son mode de gestion courent le risque d’être rejetées, car jugées trop Anglo-saxonnes ou pis encore, anti-européennes. La première ministre britannique Margaret Thatcher avait justement prévu l’absurdité d’une union monétaire européenne. Gordon Brown, alors chancelier de l’Échiquier de la Grande-Bretagne, a adopté la même ligne de pensée que Thatcher. Beaucoup d’Européens l’ont raillé lorsque son personnel politique présentait des dossiers très fouillés sur toutes ces bonnes raisons de ne pas adhérer à l’euro.
Voilà pourquoi la déclaration d’Obama était comme une bouffée d’air frais. Elle est venue un jour après la déclaration de la chancelière de l’Allemagne Angela Merkel  voulant que la Grèce ne s’attende pas à un allégement de la dette, car le plan d’austérité serait maintenu. Pendant ce temps, après quelques jours de menaces à peine voilées, la Banque centrale européenne se préparait à réduire le financement aux banques grecques. En fait, il semble que les garants de la stabilité financière font tout pour amplifier les effets déstabilisateurs des retraits bancaires massifs.
L’incursion d’Obama dans le débat intellectuel insulaire de l’Europe est d’autant plus remarquable que le Fonds monétaire International opinait dans le même sens que l’orthodoxie imposée par l’Allemagne. Alors qu’elle était directrice générale du FMI, Christine Lagarde  déclarait auIrish Times  : « Une dette est une dette et constitue un contrat. Les défaillances, les restructurations, les modifications des conditions portent à conséquence ».
Dans les années 1990, le Fonds était d’accord avec le projet de construction de la zone euro. En 2002, le directeur de la section européenne du FMI qualifiait de « cadre solide » les règles budgétaires qui institutionnalisaient la culture d’une austérité permanente. Et, en mai 2010, le FMI donnait son aval à la décision des autorités européennes de ne pas occasionner de pertes aux créanciers privés de la Grèce – une mesure qui a dû être annulée lorsque les restrictions budgétaires sans précédent ont précipité l’économie grecque dans une spirale descendante.
Les temporisations et les erreurs dans la gestion de la crise grecque sont arrivées très tôt. En juillet 2010, Lagarde, qui était ministre des Finances de la France à l’époque, admettait les dommages  causés par ces retards initiaux. « Si nous avions pu nous attaquer au problème de la [dette de la Grèce], dès son apparition, disons en février, j’estime que nous aurions pu éviter qu’il ne dégénère comme il l’a fait ». Mêmele FMI a admis  que ce fut une erreur d’exempter préventivement les créanciers privés, car il a fallu leur faire porter une partie des pertes en juin 2013, alors que le mal était fait.
La liste des fautifs est longue. L’ancien secrétaire du trésor américain Timothy Geithner prônait une position ferme contre la restructuration de la dette pendant une crise. En conséquence, malgré les avertissements de plusieurs directeurs du FMI  en mai 2010 que la restructuration était inévitable, les États-Unis ont appuyé la position européenne voulant que les créanciers privés soient pleinement remboursés.
Lee Buchheit, une sommité juridique de la dette souveraine et celui qui a piloté le dossier de la restructuration éventuelle de la dette grecque en 2012, n’a pas ménagé ses critiques de l’échec des autorités à affronter la réalité. Dans ses propres mots, « J’ai peine à concevoir que les autorités se décident enfin à adopter une proposition pour laquelle ils ont tant temporisé – à un coût effroyable pour la Grèce, ses créanciers et ses partenaires du secteur officiel – à savoir une restructuration absolument nécessaire de la dette.
Obama est peut-être arrivé tardivement à la bonne conclusion, mais il a fini par exprimer ce qui devrait être une évidence : « Il faut cesser d’asphyxier les pays qui sont en pleine dépression ».
Pour que les paroles d’Obama comptent, il doit continuer à plaider pour le genre d’entente dont la Grèce a besoin et qui penche plus vers le trop que le trop peu de réduction de la dette. Des analyses récentes indiquent que la remise de la dette officielle de la Grèce est sans équivoque désirable, car une autre entente factice  garderait l’économie grecque en dépression, faisant en sorte que le problème ressurgira rapidement. Si les craintes de l’Europe doivent être apaisées à tout prix, le remboursement de la dette de la Grèce risque de s’éterniser sur plus d’un siècle.
En fin de compte, les radiations de dette sont tout autant de l’intérêt des créanciers que celui des débiteurs. Les créanciers le savent depuis le XVIe siècle, à l’époque où le roi Philippe II d’Espagne devenait le premier souverain à renier sa dette à maintes reprises. Le Christ ne disait-il pas, « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ».
Les autorités européennes doivent prendre conscience que le prochain acte de la tragédie grecque ne se confinera pas à la Grèce. Si la Grèce n’est pas soulagée d’une partie de la dette, l’insatisfaction sociale gagnera l’arène politique, les pulsions extrémistes s’amplifieront et la survie même de l’Union européenne pourrait être compromise.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Ashoka Mody, un ex-chef de mission pour l’Allemagne et l’Irlande au Fonds monétaire international est actuellement professeur invité de politique internationale économique à l’école Woodrow Wilson des Affaires publiques internationales et de l’Université Princeton.
 
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