La première raison de cet optimisme tient aux succès de nombreux pays parvenus à contrôler le Covid-19. Dans toute la région Asie-Pacifique, des pays aussi différents sur les plans politique et culturel que l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, le Laos, la Nouvelle-Zélande et le Vietnam ont mis en œuvre des stratégies de santé publique efficaces, qui ont permis de contenir la pandémie. Certains pays, dans d’autres régions, notamment en Afrique subsaharienne, ont aussi obtenu de bons résultats. Alors que les désastreuses insuffisances des réactions à la pandémie en Europe et aux États-Unis faisaient les gros titres, les réussites enregistrées dans la région Asie-Pacifique et ailleurs nous montrent que la combinaison d’une bonne gouvernance, d’une population responsable et de mesures fondées sur des preuves peut relever les défis les plus urgents et les plus insurmontables.
La deuxième raison de cet optimisme est l’arrivée de nouveaux vaccins, qui non seulement nourrissent les espoirs de sauver des vies et de stopper la diffusion du virus, mais marquent aussi les capacités de la science moderne à permettre en un temps record des bonds en avant technologiques. La mise au point du vaccin illustre les mérites d’une stratégie qui fixe des « missions » à la recherche-développement et s’appuie sur des projets mêlant politiques publiques et initiative privée. C’est ce type de stratégie qui doit être mis en œuvre pour relever les autres défis planétaires, pour accélérer le développement des énergies renouvelables et de l’agriculture durable comme pour permettre de préserver la biodiversité.
La troisième raison d’être optimiste est la défaite décisive de Trump lors des élections présidentielles du mois de novembre aux États-Unis. Comme beaucoup de démagogues d’hier et d’aujourd’hui, Trump s’est montré capable d’obtenir le soutien d’un large secteur de l’opinion en s’appuyant sur des moyens de propagande de masse, notamment sur la chaîne Fox News de Ruppert Murdoch. Mais une part suffisante de cette opinion a pu percer les mensonges et les calomnies pour permettre aux États-Unis de prendre un nouveau départ après le désastreux règne de Trump, marqué par l’inaptitude, l’imposture et la haine.
L’ignorance de Trump et ses mensonges ont eu leur part dans la mort de plus de 330 000 personnes aux États-Unis depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020, soit environ un quart des décès causés dans le monde par le nouveau virus, alors que les États-Unis représentent seulement 4 % de la population mondiale. Sa gestion catastrophique du Covid-19 a fini par conduire Trump à la défaite électorale, alors même qu’il s’accroche au pouvoir, multipliant les allégations fausses et désespérées ou les recours en justice contre des fraudes à grande échelle qui ne se sont pas produites. Fort heureusement, l’opinion et les institutions américaines – les maires, les gouverneurs, les chambres des États, les tribunaux et l’armée – ont résisté aux élans autoritaires de Trump, de sorte que le président élu Joe Biden, homme rationnel, décent, honorable, prêtera bientôt serment.
La quatrième raison d’être optimiste tient à l’action remarquable des Nations Unies, malgré la puissance des vents contraires qui ont soufflé en 2020. L’ONU a vu le jour voici soixante-quinze ans, grâce à la volonté du plus grand des présidents américains, Franklin Delano Roosevelt, afin de former un rempart contre de futurs conflits. Elle défend les trois piliers du multilatéralisme : la paix, les droits humains et le développement durable. En 2020, sur ces trois fronts, elle s’est admirablement comportée, malgré les provocations de l’administration Trump.
Les agences de l’ONU sont aujourd’hui dirigées par des femmes et des hommes de grandes compétences et d’une intégrité sans faille ; Antonio Guterres, le secrétaire général, a conduit l’Organisation avec un immense talent et une grande profondeur de vues durant l’année la plus difficile qu’elle ait connue depuis sa fondation. En 2021, l’ONU accueillera plusieurs sommets mondiaux d’une importance cruciale – sur les océans, la biodiversité, les systèmes alimentaires et le climat – qui peuvent, ensemble, poser les fondations pour des décennies de la coopération mondiale et du développement durable.
La cinquième raison d’être optimiste est apportée par la révolution numérique, le grand acteur implicite de la réaction mondiale à la pandémie. Les activités en ligne ont maintenu le monde en état de fonctionner. En quelques semaines, entreprises, écoles, banques, administrations, échanges commerciaux, paiements, prestations de santé, mais aussi l’architecture de l’ONU se sont organisés en ligne à une échelle, une étendue, une profondeur jusqu’alors inimaginables.
Les technologies numériques ont directement contribué à la lutte contre l’épidémie, à la diffusion de l’information, la surveillance des modes de transmission de la maladie, et fourni de multiples services de soins de santé.
Évidemment, le nouvel univers numérique n’est pas un paradis merveilleux. Et l’on peut se désespérer que la moitié du monde n’ait pas encore accès à Internet.
La migration rapide du travail, de l’enseignement, de la vie sociale, des échanges commerciaux et des activités de loisir sur les plateformes numériques a par conséquent alimenté de cruelles inégalités entre celles et ceux qui disposent d’Internet et celles et ceux qui n’en disposent pas. En outre, les technologies numériques ont donné naissance à des maux sociaux nouveaux et graves, notamment le piratage à grande échelle, l’infox et les forgeries, la guerre informatique et la surveillance abusive pratiquée par les États comme par les entreprises privées.
Les deux visages de l’âge numérique, le bon et le mauvais, illustrent la situation à laquelle nous devons faire face sur de nombreux fronts. Nous pouvons être optimistes car nous savons que les technologies de pointe et la connaissance scientifique renforcent nos capacités à résoudre les problèmes urgents auxquels le monde entier est confronté. Mais nous devons aussi veiller à empêcher que les forces de la cupidité, de l’ignorance et de la haine ne détournent pour leurs propres fins les nouvelles technologies.
Les philosophes de la Grèce antique pensaient que politique et éthique devaient aller ensemble. Aristote nous a légué deux de ses chefs-d’œuvre comme vade-mecum, l’Éthique à Nicomaque et La Politique, guides, vers le bonheur humain pour le premier, vers une action politique capable, pour le second, de conduire également au bonheur la cité-État grecque, la polis.
Aujourd’hui, le pape François consacre deux grandes encycliques, Laudato si’, en 2015, et Fratelli Tutti, en 2020, à l’éthique et à sa capacité de conduire le monde vers un environnement durable et vers la paix globale. Les nouvelles encycliques décrivent en profondeur comment nous pouvons aller au-delà de nos propres familles, de nos propres communautés, de nos propres pays, pour construire le dialogue et bâtir la confiance dans le monde.
Commençons donc l’année 2021 avec un optimisme réel mais prudent. Prenons la résolution d’étendre à la planète tout entière les succès de santé publique enregistrés dans la région Asie-Pacifique et d’y distribuer les vaccins conçus aux États-Unis, en Europe, en Russie et en Chine. Prenons la résolution de laisser de côté les haines qui ont sapé la coopération mondiale et de joindre nos forces pour surmonter les inégalités, la pauvreté, l’exclusion et la destruction de l’environnement, qui menacent tout un chacun. Redoublons notre soutien aux Nations Unies, afin de construire un avenir fondé sur la paix, les droits humains et le développement durable. Et pour celles et ceux qui vivent aux États-Unis, commençons par soigner une nation blessée et divisée.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de politiques de santé publique à l’université Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de Columbia et du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies.
© Project Syndicate 1995–2021
La deuxième raison de cet optimisme est l’arrivée de nouveaux vaccins, qui non seulement nourrissent les espoirs de sauver des vies et de stopper la diffusion du virus, mais marquent aussi les capacités de la science moderne à permettre en un temps record des bonds en avant technologiques. La mise au point du vaccin illustre les mérites d’une stratégie qui fixe des « missions » à la recherche-développement et s’appuie sur des projets mêlant politiques publiques et initiative privée. C’est ce type de stratégie qui doit être mis en œuvre pour relever les autres défis planétaires, pour accélérer le développement des énergies renouvelables et de l’agriculture durable comme pour permettre de préserver la biodiversité.
La troisième raison d’être optimiste est la défaite décisive de Trump lors des élections présidentielles du mois de novembre aux États-Unis. Comme beaucoup de démagogues d’hier et d’aujourd’hui, Trump s’est montré capable d’obtenir le soutien d’un large secteur de l’opinion en s’appuyant sur des moyens de propagande de masse, notamment sur la chaîne Fox News de Ruppert Murdoch. Mais une part suffisante de cette opinion a pu percer les mensonges et les calomnies pour permettre aux États-Unis de prendre un nouveau départ après le désastreux règne de Trump, marqué par l’inaptitude, l’imposture et la haine.
L’ignorance de Trump et ses mensonges ont eu leur part dans la mort de plus de 330 000 personnes aux États-Unis depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020, soit environ un quart des décès causés dans le monde par le nouveau virus, alors que les États-Unis représentent seulement 4 % de la population mondiale. Sa gestion catastrophique du Covid-19 a fini par conduire Trump à la défaite électorale, alors même qu’il s’accroche au pouvoir, multipliant les allégations fausses et désespérées ou les recours en justice contre des fraudes à grande échelle qui ne se sont pas produites. Fort heureusement, l’opinion et les institutions américaines – les maires, les gouverneurs, les chambres des États, les tribunaux et l’armée – ont résisté aux élans autoritaires de Trump, de sorte que le président élu Joe Biden, homme rationnel, décent, honorable, prêtera bientôt serment.
La quatrième raison d’être optimiste tient à l’action remarquable des Nations Unies, malgré la puissance des vents contraires qui ont soufflé en 2020. L’ONU a vu le jour voici soixante-quinze ans, grâce à la volonté du plus grand des présidents américains, Franklin Delano Roosevelt, afin de former un rempart contre de futurs conflits. Elle défend les trois piliers du multilatéralisme : la paix, les droits humains et le développement durable. En 2020, sur ces trois fronts, elle s’est admirablement comportée, malgré les provocations de l’administration Trump.
Les agences de l’ONU sont aujourd’hui dirigées par des femmes et des hommes de grandes compétences et d’une intégrité sans faille ; Antonio Guterres, le secrétaire général, a conduit l’Organisation avec un immense talent et une grande profondeur de vues durant l’année la plus difficile qu’elle ait connue depuis sa fondation. En 2021, l’ONU accueillera plusieurs sommets mondiaux d’une importance cruciale – sur les océans, la biodiversité, les systèmes alimentaires et le climat – qui peuvent, ensemble, poser les fondations pour des décennies de la coopération mondiale et du développement durable.
La cinquième raison d’être optimiste est apportée par la révolution numérique, le grand acteur implicite de la réaction mondiale à la pandémie. Les activités en ligne ont maintenu le monde en état de fonctionner. En quelques semaines, entreprises, écoles, banques, administrations, échanges commerciaux, paiements, prestations de santé, mais aussi l’architecture de l’ONU se sont organisés en ligne à une échelle, une étendue, une profondeur jusqu’alors inimaginables.
Les technologies numériques ont directement contribué à la lutte contre l’épidémie, à la diffusion de l’information, la surveillance des modes de transmission de la maladie, et fourni de multiples services de soins de santé.
Évidemment, le nouvel univers numérique n’est pas un paradis merveilleux. Et l’on peut se désespérer que la moitié du monde n’ait pas encore accès à Internet.
La migration rapide du travail, de l’enseignement, de la vie sociale, des échanges commerciaux et des activités de loisir sur les plateformes numériques a par conséquent alimenté de cruelles inégalités entre celles et ceux qui disposent d’Internet et celles et ceux qui n’en disposent pas. En outre, les technologies numériques ont donné naissance à des maux sociaux nouveaux et graves, notamment le piratage à grande échelle, l’infox et les forgeries, la guerre informatique et la surveillance abusive pratiquée par les États comme par les entreprises privées.
Les deux visages de l’âge numérique, le bon et le mauvais, illustrent la situation à laquelle nous devons faire face sur de nombreux fronts. Nous pouvons être optimistes car nous savons que les technologies de pointe et la connaissance scientifique renforcent nos capacités à résoudre les problèmes urgents auxquels le monde entier est confronté. Mais nous devons aussi veiller à empêcher que les forces de la cupidité, de l’ignorance et de la haine ne détournent pour leurs propres fins les nouvelles technologies.
Les philosophes de la Grèce antique pensaient que politique et éthique devaient aller ensemble. Aristote nous a légué deux de ses chefs-d’œuvre comme vade-mecum, l’Éthique à Nicomaque et La Politique, guides, vers le bonheur humain pour le premier, vers une action politique capable, pour le second, de conduire également au bonheur la cité-État grecque, la polis.
Aujourd’hui, le pape François consacre deux grandes encycliques, Laudato si’, en 2015, et Fratelli Tutti, en 2020, à l’éthique et à sa capacité de conduire le monde vers un environnement durable et vers la paix globale. Les nouvelles encycliques décrivent en profondeur comment nous pouvons aller au-delà de nos propres familles, de nos propres communautés, de nos propres pays, pour construire le dialogue et bâtir la confiance dans le monde.
Commençons donc l’année 2021 avec un optimisme réel mais prudent. Prenons la résolution d’étendre à la planète tout entière les succès de santé publique enregistrés dans la région Asie-Pacifique et d’y distribuer les vaccins conçus aux États-Unis, en Europe, en Russie et en Chine. Prenons la résolution de laisser de côté les haines qui ont sapé la coopération mondiale et de joindre nos forces pour surmonter les inégalités, la pauvreté, l’exclusion et la destruction de l’environnement, qui menacent tout un chacun. Redoublons notre soutien aux Nations Unies, afin de construire un avenir fondé sur la paix, les droits humains et le développement durable. Et pour celles et ceux qui vivent aux États-Unis, commençons par soigner une nation blessée et divisée.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de politiques de santé publique à l’université Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de Columbia et du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies.
© Project Syndicate 1995–2021