Partisans et détracteurs du PTP

Vendredi 12 Février 2016

Le Partenariat transpacifique (PTP) – méga-accord commercial intéressant 12 pays représentatifs de plus d’un tiers du PIB mondial et d’un quart des exportations à l’échelle planétaire – constitue le tout dernier champ de bataille d’une confrontation longue de plusieurs décennies entre partisans et détracteurs des accords commerciaux.


Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard
Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard
Comme à l’habitude, les partisans de cette entente font valoir plusieurs modèles quantitatifs annonciateurs d’une réussite sans encombre de l’accord. Leur modèle  favori prévoit en effet, à l’issue de 15 ans, une augmentation des revenus réels allant de 0,5 % aux États-Unis à 8 % au Viêtnam. Par ailleurs, ce modèle – élaboré par Peter Petri et Michael Plummer, respectivement des universités Brandeis et John Hopkins, sur la base d’une longue lignée de cadres similaires conçus par eux-mêmes et par d’autres – ne prévoit qu’un tribut relativement insignifiant en termes d’emploi au sein des secteurs concernés.
De leur côté, les opposants au PTP s’identifient à un modèle  concurrent, qui formule des prévisions tout à fait différentes. Élaboré par Jeronim Capaldo de l’Université Tufts et par Alex Izurieta de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (avec l’aide deJomo Kwame Sundaram, ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU), ce modèle prévoit en effet de plus faibles salaires et un chômage plus élevé dans tous les États concernés, ainsi qu’une baisse des revenus dans deux pays clés, à savoir les États-Unis et le Japon.
Ce n’est pas autour des effets sur le commerce que s’opposent ces deux modèles. D’ailleurs, Capaldo et ses collaborateurs prennent pour point de départ les prévisions commerciales issues d’une version antérieure de l’étude Petri-Plummer. Les différences résident principalement dans la formulation d’hypothèses contrastées autour de la question de savoir comment les économies répondront aux changements de volumes commerciaux engendrés par la libéralisation.
Petri et Plummer considèrent les marchés du travail comme suffisamment flexibles pour que les pertes d’emplois, au sein des pans de l’économie négativement affectés, soient nécessairement compensées par des créations d’emplois ailleurs. La question du chômage est ainsi exclue dès le départ – les partisans du PTP considérant en effet bien souvent cette issue comme certaine en vertu de leur modèle.
L’Institut Peterson d’économie internationale, qui a publié l’étude des partisans du PTP, le fait lui-même valoir dans un rapport, sans s’expliquer outre mesure : « L’accord aboutira à une augmentation des salaires aux États-Unis, mais ne devrait pas modifier les niveaux d’emploi dans le pays… » Le résultat observé sur les salaires compte ainsi parmi les conclusions de l’étude, alors qu’une  « projection » en termes d’emploi aurait pu être effectuée avant même que l’ordinateur n’ait à procéder au moindre calcul.
Capaldo et ses collègues formulent une perspective nettement différente : course compétitive vers le bas sur les marchés du travail, déclin des salaires, et dépenses publiques venant maintenir un couvercle sur la demande globale et sur l’emploi. Toutefois, et malheureusement, leurs travaux peinent à expliquer comment fonctionne leur modèle, et les détails de leur simulation apparaissent quelque peu obscurs.
Le modèle Petri-Plummer repose directement sur plusieurs décennies de modélisation économique dans le cadre de recherches, qui établissent une nette distinction entre effets microéconomiques (façonnement des attributions de ressources entre les secteurs) et effets macroéconomiques (liés aux niveaux globaux de demande et d’emploi). Dans ce cadre traditionnel, la libéralisation des échanges commerciaux constitue un « choc » microéconomique qui affecte la composition de l’emploi, mais pas son niveau global.
Les économistes ont tendance à analyser les accords commerciaux selon ces termes, se laissant par conséquent séduire davantage par le modèle Petri-Plummer. Par opposition le cadre élaboré par Capaldo peine au niveau des détails relatifs aux secteurs et aux États, ses hypothèses comportementales demeurent opaques, et ses postulats keynésiens extrêmes viennent se heurter aux questions de perspective à moyen terme.
Seulement voilà, la réalité du monde ne vient pas épouser aussi nettement les lignes tracées dans les hypothèses des économistes s’intéressant aux échanges commerciaux. Les opposants aux accords commerciaux formulent d’innombrables anecdotes autour des effets défavorables des importations sur les salaires et l’emploi dans les communautés concernées. De récents travaux  empiriques produits par trois économistes universitaires – David Autor (MIT), David Dorn (Université de Zurich), et Gordon Hanson (UC-San Diego) – démontrent la pertinence de ces détracteurs sur ce point (et bien d’autres).
Autor, Dorn, et Hanson ont documenté le fait que le développement des exportations chinoises avait fait naître « d’importants coûts d’ajustement et autres conséquences en termes de distribution » aux États-Unis. Au sein des régions dont les industries ont été sévèrement touchées par la concurrence des importations chinoises, les salaires demeurent en berne et les taux de chômage élevés depuis plus d’une décennie. Même si la baisse de l’emploi dans ces industries avait été prévue, la surprise réside dans l’absence de création d’emplois compensateurs dans d’autres secteurs.
Les partisans des accords commerciaux considèrent depuis bien longtemps que la désindustrialisation et la disparition d’emplois faiblement qualifiés au sein des économies développées n’ont rien à voir avec le développement du commerce international, et que ces phénomènes ne seraient que le fruit des nouvelles technologies. Dans le cadre de l’actuel débat sur le PTP, de nombreux et éminents partisans de l’accords’accrochent encore  à cette conception. Or, à la lumière de nouvelles découvertes empiriques, une telle nonchalance autour de la question du commerce n’est plus possible. (Le modèle Petri-Plummer indique certes que le PTP accélérera la réorientation de l’emploi depuis la fabrication en direction des services, une conséquence que les partisans de l’accord ne s’en vont pas crier sur les toits).
Les économistes ne comprennent pas encore pleinement pourquoi l’expansion des échanges commerciaux produit les conséquences négatives observées sur les salaires et l’emploi. Nous ne disposons pas encore d’un véritable cadre alternatif à celui qu’utilisent les partisans des accords commerciaux. Pour autant, nous ne devons pas agir comme si la réalité n’avait pas sévèrement entaché notre modèle standard bien-aimé. Il serait beaucoup plus judicieux de considérer toute la palette des possibilités mises en évidence par les modèles existants, plutôt que de ne conférer d’importance qu’à un seul et unique modèle.
Et les incertitudes ne se limitent pas aux interactions macroéconomiques. L’étude Petri-Plummer prévoit que la majeure partie des bienfaits économiques du PTP proviendra de l’abaissement des barrières non tarifaires (de type barrières réglementaires sur les services importés) et de la diminution des obstacles aux investissements étrangers. Or, la modélisation de tels effets présente une magnitude plus complexe que s’agissant des réductions tarifaires. Les hypothèses nécessaires pour y parvenir ne sont pas standard, et exigent de nombreux raccourcis arbitraires.
Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’aucun modèle, quel que soit le camp concerné, ne formule de chiffres suffisamment fiables sur lesquels fonder une argumentation en faveur ou en défaveur du PTP. La seule chose que nous pouvons prévoir avec certitude, c’est que certains en sortiront gagnants, et d’autres perdants. Peut-être l’accord galvanisera-t-il les flux d’investissements et de connaissances à travers le Pacifique, et conférera-t-il à l’économie mondiale cette dynamique qui lui fait si cruellement défaut actuellement. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, ceux qui pensent que cet accord commercial aboutira à une réussite aussi écrasante que les précédents ont du souci à se faire.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Dani Rodrik, professeur d’économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard, est l’auteur de l’ouvrage intitule Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science .
 
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