Pourquoi l’économie de la Russie ne peut s’effondrer

Mercredi 11 Février 2015

La dépréciation rapide du rouble, malgré la hausse prononcée – et en apparence désespérée – du taux d’intérêt décrétée à la dernière heure par la Banque centrale de Russie (BCR) le mois dernier, a ressuscité les craintes d’un retour à la débâcle que la Russie a subie en 1998. Il est vrai que l’Occident cherche à raviver ces craintes dans le cadre de sa confrontation permanente avec le président russe Vladimir Poutine. Or, même s’il est certain que l’économie de la Russie est en panne, il est peu probable qu’elle s’effondre complètement.


Charles Wyplosz est directeur du Centre international des études monétaires et bancaires de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève
Charles Wyplosz est directeur du Centre international des études monétaires et bancaires de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève
Le pétrole et le gaz comptent pour plus de 60 % des exportations de la Russie  ; le reliquat étant constitué d’autres matières premières. Le plongeon récent des cours mondiaux du pétrole a donc, de toute évidence, ébranlé l’économie russe, assez pour provoquer une récession d’envergure, surtout lorsque jumelé à l’effet des nouvelles sanctions imposées par l’Occident. Sans compter que la faiblesse des prix des matières premières devrait durer assez longtemps. Dans un tel scénario, les pertes de revenu risquent de s’éterniser.
Mais la Russie n’est pas une catastrophe économique en devenir – du moins pas encore. La situation actuelle est très différente de celle de 1998, alors que la Russie enregistrait un déficit budgétaire doublé d’une balance des paiements négative. La Russie devait absolument emprunter, massivement, et ce, en monnaie étrangère. Ce qui signifie qu’à mesure que le rouble se dépréciait, la dette de la Russie grossissait. Un jour arriverait, forcément, où la Russie ne pourrait honorer ses engagements.
Au contraire, ces dernières années, la Russie profite de surplus budgétaires non négligeables et d’une dette publique inférieure à 20 % du PIB. Il est certain que les recettes pétrolières et gazières, qui constituent le gros des rentrées fiscales, ont été coupées de moitié en terme de dollars. Puisque la monnaie russe s’est dépréciée du même pourcentage, les recettes de l’État demeurent à peu près inchangées en roubles.
De même, le compte courant  de la Russie est essentiellement excédentaire depuis plusieurs années. La dette brute publique et privée est inférieure à 40 % du PIB et elle est majoritairement libellée en roubles. La situation s’empire rapidement en raison de la forte baisse des recettes d’exportation, mais la Russie part d’un point privilégié. Il est donc encore trop tôt pour céder à la panique.
Ce sont surtout les fuites des capitaux qui ont précipité la chute libre du rouble. Les grands oligarques de la Russie ont déjà placé le gros de leur cagnotte à l’étranger, mais ils gardent encore quelques épargnes au pays. À mesure que la conjoncture économique et politique se détériore, ils risquent fort de sortir davantage de fonds du pays. Les petits épargnants ont également toutes les raisons du monde de convertir leur pécule en monnaie étrangère.
La Banque centrale de Russie est ainsi placée dans une position précaire. La dépréciation du rouble ne peut que nourrir l’inflation  qui gravite déjà autour de 11 %, un taux bien supérieur à la cible de 5 % établie par la BCR. Dans un tel contexte, la hausse importante du taux d’intérêt est tout à fait justifiée. Les instances ont toutes les raisons de croire que le relèvement des taux tarira les fuites de capitaux, malgré les risques que cette décision puisse être interprétée comme une mesure de défense de la devise et entraîner des conséquences contraires.
Le problème est que la hausse des taux d’intérêt ralentira forcément l’économie de la Russie et la Banque centrale figurera au premier rang des boucs émissaires, même si elle n’est pas du tout responsable des déboires de la Russie – la ruée au portillon du marché du rouble, la récession et la flambée des prix – et malgré le fait qu’il est impossible de juguler les fuites de capitaux en se servant du taux d’intérêt. Évidemment, on peut compter sur les politiciens pour se retrancher sur leurs positions et l’accuser de tous les maux.
Les menaces envers Poutine sont évidentes. Il risque de connaître le sort de son prédécesseur, Boris Eltsine, qui a dirigé la Russie lors d’une période où le cours du brut était exceptionnellement faible. Jusqu’ici, Poutine a eu beaucoup de chance, car il est arrivé au pouvoir juste au début de l’ascension des cours pétroliers. La plupart des citoyens russes lui attribuent la paternité de deux décennies d’augmentation du niveau de vie, après les deux décennies de baisse de la chute de l’Union soviétique.
La décision de Poutine de ne pas instaurer des réformes peu prisées qui auraient renforcé le secteur des exportations non pétrolières n’a peut-être pas contribué à la santé à long terme de l’économie, mais elle lui a permis de conserver l’appui du grand public. La conjoncture économique favorable, sans compter son entrain à confronter l’Occident, a produit une impression non fondée en Russie que le pays est redevenu une puissance mondiale.
Aux États-Unis et en Europe, beaucoup estiment qu’il faut faire monter la pression économique d’un cran sur la Russie dans le but d’écarter Poutine du pouvoir. Voilà un pari très périlleux, car à mesure que baisse le niveau de vie des Russes, la seule stratégie viable permettant à Poutine de se cramponner au pouvoir sera de passer à l’offensive sur le plan international. Les aventures militaires à l’étranger sont, après tout, des plus attrayantes lorsque les conditions intérieures sont incendiaires.
Cela ne veut pas dire que l’Ouest doit s’incliner et renier ses principes. Cela signifie cependant que le temps est venu d’adopter une démarche diplomatique qui ne dépend pas d’un effondrement éventuel de l’économie russe.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Charles Wyplosz est professeur d’économie internationale et directeur du Centre international des études monétaires et bancaires de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève.
 
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