Plus inquiétant, le taux de croissance des pays avancés est de plus en plus volatile. C'est surprenant : en raison de leur développement économique et de leurs comptes de capitaux entièrement ouverts, ils auraient dû bénéficier de la liberté de mouvement des flux financiers et du partage des risques au niveau international, et en conséquence ne connaître qu'une faible volatilité macroéconomique. Par ailleurs, les transferts sociaux (en particulier les indemnités chômage) auraient dû permettre aux ménages de maintenir leur niveau de consommation.
Mais les principales mesures adoptées durant l'après-crise - contraction budgétaire et relâchement monétaire [quantitative easing, QE] de la part des grandes banques centrales – n'ont que très peu stimulé la consommation des ménages, les investissements et la croissance. Au contraire, elles ont eu tendance à aggraver la situation.
Aux USA, le relâchement monétaire n'a pas suffit à relancer la consommation et les investissements. Cela tient notamment au fait que la plus grande partie des liquidités supplémentaires est revenue dans le coffre des banques centrales sous forme d'un excédent de réserves. La loi de régulation du sauvetage des services financiers de 2006 qui autorise la Réserve fédérale à verser des intérêts sur les réserves obligatoires et sur leur excédent est allée à l'encontre du principal objectif du relâchement monétaire.
Le secteur financier américain étant alors sur le point de s'effondrer, la loi d'urgence sur la stabilisation économique de 2008 a autorisé la Fed à verser des intérêts sur les réserves dès le 1° octobre 2008. Aussi l'excédent de réserves détenu par la Fed a-t-il grossi, passant de quelques 200 milliards de dollars en moyenne durant la période 2000-2008, à 1600 milliards durant la période 2009-2015.
Les institutions financières ont préféré laisser leurs fonds auprès de la Fed plutôt que de prêter à l'économie réelle, gagnant ainsi sans aucun risque près de 30 milliards de dollars au cours des cinq dernières années. Cela revient à une subvention généreuse (masquée pour l'essentiel) de la Fed au secteur financier. Et avec la hausse des taux d'intérêt décidée par la Fed en décembre, cette subvention va augmenter de 13 milliards cette année.
Ce n'est pas seulement à cause d'incitations perverses que la baisse drastique des taux d'intérêt n'a pas porté ses fruits. Etant donné que le relâchement monétaire a réussi à maintenir les taux d'intérêt à des valeurs proches de zéro pendant presque sept ans, il aurait dû encourager les pays développés à emprunter pour investir dans les infrastructures, l'éducation et le social. Une augmentation des transferts sociaux dans l'après-crise aurait relancé la demande agrégée et évité des ruptures brusques dans les dépenses des ménages.
Le rapport des Nations unies montre clairement que malgré des taux d'intérêt extrêmement faibles, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, l'investissement privé n'a pas augmenté dans le monde développé. Dans 17 des 20 plus grandes économies développées, la croissance des investissements était plus faible après la crise de 2008 que dans les années qui l'ont précédée, et pour 5 d'entre eux les investissements ont diminué durant la période 2010-2015.
Un peu partout, les titres de dette émis par les entreprises hors secteur financier qui sont supposé faire des investissements fixes ont nettement augmenté durant la même période. En cohérence avec d'autres éléments, cela montre que beaucoup de ces entreprises ont emprunté pour profiter de taux d'intérêt très faibles. Mais plutôt que d'investir, elles ont utilisé les sommes empruntées pour racheter leurs propres titres ou se procurer d'autres actifs financiers. Ainsi le relâchement monétaire a-t-il favorisé une augmentation marquée de l'endettement, de la capitalisation boursière et des gains du secteur financier.
Mais, une fois de plus, cela n'a pas été d'une grande utilité pour l'économie réelle. Des taux d'intérêt proches de zéro ne se traduisent pas nécessairement par une hausse du crédit et des investissements. Quand les banques ont la liberté de choisir, elles optent pour des bénéfices sans risque ou même pour la spéculation plutôt que pour le crédit au service de la croissance économique.
Par contre, quand une institution telle que la Banque mondiale ou le FMI accorde un crédit à faible taux à un pays en développement, elle impose des conditions quant à son utilisation. Pour avoir l'effet désiré, le relâchement monétaire aurait dû s'accompagner non seulement de mesures officielles destinées à restaurer les outils de crédit mis à mal (en particulier ceux dédiés aux PME), mais aussi d'objectifs spécifiques en matière de crédit bancaire. Au lieu de décourager en réalité les banques de prêter, la Fed aurait dû pénaliser celles disposant d'un excédent de réserves.
Les taux d'intérêt ultra-faibles n'ont guère bénéficié aux pays développés et ont eu un coût significatif pour les pays en développement et émergents. Conséquence involontaire mais prévisible du relâchement monétaire, les flux de capitaux transfrontaliers ont augmenté brusquement.
Le flux de capitaux entrant dans les pays en développement est passé de quelques 20 milliards de dollars en 2008 à plus de 600 milliards en 2010. Beaucoup de pays émergents ont eu alors énormément de difficulté à gérer cette brusque augmentation. Les investissements fixes n'en ont pas beaucoup bénéficié. La croissance des investissements dans les pays en développement a connu un net fléchissement dans la période qui a suivi la crise. Cette année, tous ensembles, ils devraient connaître pour la première fois depuis 2006 une sortie de capital nette à hauteur de 615 milliards de dollars.
La politique monétaire et le secteur financier ne remplissent pas leur rôle. Le flux massif de liquidité a servi à créer de la richesse financière et à gonfler les bulles d'actifs plutôt qu'à renforcer l'économie réelle. Malgré la chute du cours des actions un peu partout dans le monde, la capitalisation boursière reste élevée relativement au PIB mondial. Il ne faut donc pas négliger le risque d'une nouvelle crise financière.
Néanmoins, il doit être possible de restaurer une croissance inclusive et durable. Il faudrait pour cela réécrire les règles de l'économie de marché pour garantir une plus grande équité, réfléchir à plus long terme et contrôler les marchés financiers au moyen d'une réglementation efficace et d'incitations appropriées.
Il y faudra aussi une forte augmentation des investissements publics dans les infrastructures, l'éducation et la technologie. Cette hausse devra être financée au moins en partie par la fiscalité : des taxes sur la pollution (notamment un impôt sur le carbone), sur les monopoles et sur d'autres sources de revenus qui ont envahi l'économie de marché et contribuent aux inégalités et à la faiblesse de la croissance.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas les Nations unies ou ses Etats membres.
Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz est professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Hamid Rashid est responsable du Groupe de veille économique mondiale au sein du département des affaires économiques et sociales des Nations unies.
Mais les principales mesures adoptées durant l'après-crise - contraction budgétaire et relâchement monétaire [quantitative easing, QE] de la part des grandes banques centrales – n'ont que très peu stimulé la consommation des ménages, les investissements et la croissance. Au contraire, elles ont eu tendance à aggraver la situation.
Aux USA, le relâchement monétaire n'a pas suffit à relancer la consommation et les investissements. Cela tient notamment au fait que la plus grande partie des liquidités supplémentaires est revenue dans le coffre des banques centrales sous forme d'un excédent de réserves. La loi de régulation du sauvetage des services financiers de 2006 qui autorise la Réserve fédérale à verser des intérêts sur les réserves obligatoires et sur leur excédent est allée à l'encontre du principal objectif du relâchement monétaire.
Le secteur financier américain étant alors sur le point de s'effondrer, la loi d'urgence sur la stabilisation économique de 2008 a autorisé la Fed à verser des intérêts sur les réserves dès le 1° octobre 2008. Aussi l'excédent de réserves détenu par la Fed a-t-il grossi, passant de quelques 200 milliards de dollars en moyenne durant la période 2000-2008, à 1600 milliards durant la période 2009-2015.
Les institutions financières ont préféré laisser leurs fonds auprès de la Fed plutôt que de prêter à l'économie réelle, gagnant ainsi sans aucun risque près de 30 milliards de dollars au cours des cinq dernières années. Cela revient à une subvention généreuse (masquée pour l'essentiel) de la Fed au secteur financier. Et avec la hausse des taux d'intérêt décidée par la Fed en décembre, cette subvention va augmenter de 13 milliards cette année.
Ce n'est pas seulement à cause d'incitations perverses que la baisse drastique des taux d'intérêt n'a pas porté ses fruits. Etant donné que le relâchement monétaire a réussi à maintenir les taux d'intérêt à des valeurs proches de zéro pendant presque sept ans, il aurait dû encourager les pays développés à emprunter pour investir dans les infrastructures, l'éducation et le social. Une augmentation des transferts sociaux dans l'après-crise aurait relancé la demande agrégée et évité des ruptures brusques dans les dépenses des ménages.
Le rapport des Nations unies montre clairement que malgré des taux d'intérêt extrêmement faibles, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, l'investissement privé n'a pas augmenté dans le monde développé. Dans 17 des 20 plus grandes économies développées, la croissance des investissements était plus faible après la crise de 2008 que dans les années qui l'ont précédée, et pour 5 d'entre eux les investissements ont diminué durant la période 2010-2015.
Un peu partout, les titres de dette émis par les entreprises hors secteur financier qui sont supposé faire des investissements fixes ont nettement augmenté durant la même période. En cohérence avec d'autres éléments, cela montre que beaucoup de ces entreprises ont emprunté pour profiter de taux d'intérêt très faibles. Mais plutôt que d'investir, elles ont utilisé les sommes empruntées pour racheter leurs propres titres ou se procurer d'autres actifs financiers. Ainsi le relâchement monétaire a-t-il favorisé une augmentation marquée de l'endettement, de la capitalisation boursière et des gains du secteur financier.
Mais, une fois de plus, cela n'a pas été d'une grande utilité pour l'économie réelle. Des taux d'intérêt proches de zéro ne se traduisent pas nécessairement par une hausse du crédit et des investissements. Quand les banques ont la liberté de choisir, elles optent pour des bénéfices sans risque ou même pour la spéculation plutôt que pour le crédit au service de la croissance économique.
Par contre, quand une institution telle que la Banque mondiale ou le FMI accorde un crédit à faible taux à un pays en développement, elle impose des conditions quant à son utilisation. Pour avoir l'effet désiré, le relâchement monétaire aurait dû s'accompagner non seulement de mesures officielles destinées à restaurer les outils de crédit mis à mal (en particulier ceux dédiés aux PME), mais aussi d'objectifs spécifiques en matière de crédit bancaire. Au lieu de décourager en réalité les banques de prêter, la Fed aurait dû pénaliser celles disposant d'un excédent de réserves.
Les taux d'intérêt ultra-faibles n'ont guère bénéficié aux pays développés et ont eu un coût significatif pour les pays en développement et émergents. Conséquence involontaire mais prévisible du relâchement monétaire, les flux de capitaux transfrontaliers ont augmenté brusquement.
Le flux de capitaux entrant dans les pays en développement est passé de quelques 20 milliards de dollars en 2008 à plus de 600 milliards en 2010. Beaucoup de pays émergents ont eu alors énormément de difficulté à gérer cette brusque augmentation. Les investissements fixes n'en ont pas beaucoup bénéficié. La croissance des investissements dans les pays en développement a connu un net fléchissement dans la période qui a suivi la crise. Cette année, tous ensembles, ils devraient connaître pour la première fois depuis 2006 une sortie de capital nette à hauteur de 615 milliards de dollars.
La politique monétaire et le secteur financier ne remplissent pas leur rôle. Le flux massif de liquidité a servi à créer de la richesse financière et à gonfler les bulles d'actifs plutôt qu'à renforcer l'économie réelle. Malgré la chute du cours des actions un peu partout dans le monde, la capitalisation boursière reste élevée relativement au PIB mondial. Il ne faut donc pas négliger le risque d'une nouvelle crise financière.
Néanmoins, il doit être possible de restaurer une croissance inclusive et durable. Il faudrait pour cela réécrire les règles de l'économie de marché pour garantir une plus grande équité, réfléchir à plus long terme et contrôler les marchés financiers au moyen d'une réglementation efficace et d'incitations appropriées.
Il y faudra aussi une forte augmentation des investissements publics dans les infrastructures, l'éducation et la technologie. Cette hausse devra être financée au moins en partie par la fiscalité : des taxes sur la pollution (notamment un impôt sur le carbone), sur les monopoles et sur d'autres sources de revenus qui ont envahi l'économie de marché et contribuent aux inégalités et à la faiblesse de la croissance.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas les Nations unies ou ses Etats membres.
Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz est professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Hamid Rashid est responsable du Groupe de veille économique mondiale au sein du département des affaires économiques et sociales des Nations unies.