Pourquoi les économistes donnent la priorité à la santé

Vendredi 18 Décembre 2015

Dans un monde idéal, tous et toutes, et partout dans le monde, auraient accès aux soins de santé dont ils ont besoin sans avoir à les payer plus cher qu’ils ne peuvent se le permettre. Mais la santé pour tous – ou la couverture santé universelle – est-elle réellement possible, non seulement dans les pays riches, mais également dans les pays les plus pauvres ?


En bref, la réponse est oui. C’est la raison pour laquelle nous avons rejoint des collègues économistes de près de 50 pays pour appeler les dirigeants mondiaux à donner la priorité aux investissements dans une couverture santé universelle. Et l’impulsion plus vaste à l’origine de la Déclaration des économistes, lancée par la Fondation Rockefeller et qui compte aujourd’hui plus de 300 signatures, a placé la santé mondiale et le développement à un tournant historique.
En septembre dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une nouvelle série d’objectifs mondiaux sur 15 ans destinés à orienter les efforts de la communauté internationale pour mettre fin à la pauvreté, encourager une prospérité inclusive et améliorer la santé de la population mondiale à l’horizon 2030. Et alors que les dirigeants mondiaux s’apprêtent à mettre en œuvre les objectifs de développement les plus ambitieux à ce jour – le processus des Objectifs de développement durable sera lancé le 1er janvier – décider par où commencer peut sembler une tâche énorme.
Mais pour les économistes, la réponse est limpide. Le prochain volet de la stratégie de développement doit assigner une priorité élevée à l’amélioration de la santé – sans oublier quiconque.
Fournir des soins de santé fondamentaux et de bonne qualité à tous sans que cela implique une ruine financière est la première étape indispensable. La santé et la survie sont des valeurs fondamentales pour chaque individu. De plus, contrairement à d’autres biens de valeur, comme l’alimentation, elles ne peuvent pas être assurées sans politique sociale délibérée.
Le fait que les décès évitables continuent à se produire dans les pays à revenus bas et intermédiaires est le symptôme de systèmes de prestations de soins de santé défaillants ou insuffisamment financés, et non de l’absence de savoir-faire médical. Si nous augmentons aujourd’hui les investissements dans la santé, nous serons en 2030 bien plus près d’un monde dans lequel aucun parent ne perd d’enfants – ou d’enfants qui perdent leurs parents – à cause de maladies ou autres facteurs évitables.
La couverture santé universelle est également un choix judicieux. Lorsque les individus sont en bonne santé et que leurs finances sont stables, les économies sont plus fortes et plus prospères. Et compte tenu du fait que les bénéfices attendus sont dix fois supérieurs aux coûts initiaux, investir dans la santé pourrait en fin de compte financer les autres objectifs de l’agenda de développement mondial.
La question n’est donc pas tant de savoir si la couverture santé universelle a de la valeur, mais plutôt de savoir comment en faire une réalité. Plus d’une centaine de pays ont pris de mesures dans ce sens ; ce faisant, ils ont découvert des stratégies et des occasions importantes d’accélérer les progrès vers l’objectif de la santé pour tous. En particulier, nous pensons que trois piliers – la technologie, les incitations et les investissements dans des domaines à première vue « non-médicaux » peuvent potentiellement faire progresser de manière radicale la couverture santé universelle.
Tout d’abord, la technologie change rapidement les règles du jeu, en particulier dans les pays en développement, où l’écart entre ceux qui ont accès aux soins et ceux qui n’y ont pas accès est le plus grand. Au Kenya, déjà le leader mondial en termes de transferts d’argent par téléphone portable grâce au système M-Pesa, le développement rapide de la télémédecine permet une interaction entre les patients ruraux et les personnels médicaux des principaux hôpitaux kenyans au moyen de téléconférences, améliorant ainsi la qualité des soins pour un coût modique.
La Fondation M-Pesa, en partenariat avec l’Association pour la médecine et la recherche en Afrique (AMREF), a également commencé à former des agents de santé communautaires bénévoles et à compléter ces formations par des messages groupés par sms et WhatsApp pour connecter les différents groupes et partager des mises à jour importantes. Des investissements dans des technologies de grande valeur, à bas coût, permettent d’en faire plus avec chaque dollar investi.
Mobiliser le pouvoir des incitations est une autre manière d’accélérer les réformes dans le domaine de la santé. Cela peut et doit être fait sans obliger les pauvres à payer pour les soins de santé qui leur sont prodigués. Il a par exemple été noté que lorsque l’État paye le secteur privé sur la base des résultats (comme le nombre ou le pourcentage d’enfants vaccinés), la transparence et la responsabilité en sont grandement améliorés. En Ouganda et au Kenya, des systèmes de coupons permettent aux femmes d’avoir accès à des services de qualité, dispensés par le secteur privé, en matière de santé génésique.
Enfin, mettre sur pied des systèmes de santé robustes – assez flexibles pour plier sans casser face aux chocs – implique d’améliorer d’autres biens publics étroitement liés à la santé humaine, comme l’eau potable et les équipements sanitaires, et les routes et les infrastructures qui permettent d’acheminer les premiers secours et les services. Les systèmes de santé n’existent pas en dehors de tout contexte, et si nous voulons sérieusement un développement durable, il fait comprendre que les investissements dans les systèmes annexes ne sont pas un moins, mais un plus. Nous devons nous garder de considérer la médecine comme la seule voie vers une meilleure santé.
Le succès des objectifs mondiaux de développement dépend de notre capacité à atteindre les populations les plus pauvres et les plus marginalisées, qui continuent à être les plus exposées aux facteurs de mortalité et d’invalidité. Une progression naturelle du statu quo ne suffira pas. Nous devons au contraire repousser les limites habituelles des systèmes de santé publique en investissant dans et en encourageant les nouvelles technologies, en multipliant les incitations et en reconnaissant que les systèmes de santé s’inscrivent dans un contexte plus vaste.
La couverture santé universelle est un objectif intelligent, juste et qui n’a que trop tardé. Pour instaurer un monde dans lequel chacun a accès aux soins nécessaires et où personne ne souffre de la pauvreté, les dirigeants mondiaux doivent prendre ce message en compte et agir en conséquence.
 Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Kenneth Arrow, prix  de la Banque centrale de Suède en sciences économiques, est professeur émérite d’économie et professeur de recherche opérationnelle à l’université Stanford. Apurva Sanghi est l’économiste en chef de la Banque mondiale pour le Kenya.
 
chroniques


Dans la même rubrique :
< >

Lundi 21 Octobre 2024 - 00:26 Débloquer l'apprentissage par l'IA

chroniques | Editos | Analyses




En kiosque.














Inscription à la newsletter