Relier la mer Rouge

Mardi 16 Février 2016

La mer Rouge joue un rôle décisif dans le commerce mondial depuis des millénaires. Du temps des pharaons, elle était au cœur du commerce mondial des épices. Aujourd’hui, elle est une artère mondiale essentielle, comblant la demande occidentale d’hydrocarbures et facilitant la circulation des marchandises entre l’Europe et les marchés d’Asie en plein essor. Plus de 10 % du commerce mondial transite par le bassin de la mer Rouge chaque année, un chiffre qui devrait augmenter du fait que l’Égypte est en train de doubler la capacité du canal de Suez.


Et pourtant, sauf quelques exceptions, la grande part de la richesse contemporaine générée par le commerce vogue rapidement au loin, laissant de miettes sur son passage. Rien ne justifie que ce devrait être encore le cas. Une initiative régionale pour faciliter le commerce et créer des infrastructures pourrait repositionner les pays limitrophes à la mer Rouge en tant que destination d’investissements mondiaux et d’échanges internationaux.
La région de la mer Rouge, comprenant 20 pays qui se servent de cet itinéraire comme premier corridor des échanges, est le plus grand marché connaissant la plus grande croissance et la plus sous-exploitée du monde. Au cours des 35 prochaines années, les Nations Unies prévoient  que la population de la région fera plus que doubler, des 620 millions actuels à 1,3 milliard. Cette croissance de la population sera accompagnée d’un des taux d’urbanisation les plus élevés du monde, créant une classe moyenne grandissante, qui selon les estimations de la Brookings Institution  passera de 136 millions aujourd’hui à 343 millions avant 2050.
Dans la même période, selon les prévisions actuelles, le PIB de la région triplera, de 1 800 milliards à 6 100 milliards $, alors que les échanges quintupleront, de 881 milliards $ à 4 700 milliards $.
Or, aussi encourageants que ces chiffres puissent paraître, la région peut mieux faire. Les perspectives à long terme pour la part de la mer Rouge dans le commerce mondial sont relativement ternes. Ainsi, selon HSBC, les échanges entre le Proche-Orient et l’Afrique représenteront 10 % de la totalité du commerce mondial en 2050, un taux un petit peu plus élevé que la part actuelle de 9 %.
Il y a de bonnes raisons pour ces scénarios conservateurs. Bon nombre des pays du Proche-Orient et de l’Afrique ont des infrastructures plutôt limitées ; il n’y a que quelques ports en eau profonde de calibre mondial dans la mer Rouge ou à proximité. Les niveaux de développement économique varient beaucoup, des pays riches du Conseil de coopération du Golfe aux économies émergentes des pays d’Afrique équatoriale. Et, malheureusement, les différences politiques et culturelles n’encouragent pas toujours la coopération transfrontalière.
Une initiative coordonnée pour faciliter le commerce dans la région de la mer Rouge aurait des conséquences importantes sur le développement futur, augmentant le PIB d’environ 10 % à 6 600 milliards $ et augmentant le commerce d’environ de 35 % à 6 300 milliards $, selon l’étude mandatée par la Ville économique du roi Abdallah. En assurant un plus grand accès au commerce international aux PME qui constituent les principaux moteurs de croissance et de création d’emploi, une telle initiative diversifierait les exportations et augmenterait considérablement la part locale de la chaîne de valeur mondiale.
Les capacités logistiques de la région devront être grandement bonifiées pour y arriver. L’Indice de performance logistique  (IPL) de la Banque mondiale évalue la plupart des pays de la région économique de la mer Rouge à 2,6 sur son échelle de cinq points. Dans les pays de la région les plus ferrés en logistique, on retrouve les Émirats Arabes Unis qui ont une note de 3,54, les plaçant tout juste dans les 20 % des pays qui ont les meilleurs résultats.
Le secteur privé devrait être à l’avant-garde des initiatives de création des infrastructures et des liaisons logistiques qui forment l’épine dorsale du commerce mondial, en étant responsable de l’installation de technologies et de systèmes qui optimisent l’efficacité, tout en assurant des formations et des compétences pour accroître le rendement. Ce processus à lui seul créera des emplois, ouvrira des perspectives de carrière et améliorera l’accès à l’éducation dans toute la région.
Les États nationaux devront aussi participer, par la rationalisation des contrôles douaniers, des politiques de gestion des frontières et des règles de commerce régional. Un bon point de départ serait la formation d’un accord de commerce des pays de la mer Rouge similaire à l’accord sur le partenariat transpacifique, définissant des mesures concrètes pour réduire les coûts du commerce transfrontalier et des mécanismes pour régler les différends entre les investisseurs et les autorités publiques.
Une autre initiative possible serait la création d’une banque régionale de financement des infrastructures qui s’inspirerait de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures en Chine. Un établissement bancaire de ce type favoriserait l’affectation efficace des capitaux au développement des infrastructures dans la région, améliorant les capacités nationales de commerce et favorisant une croissance économique pérenne.
La région de la mer Rouge a une chance unique de créer un pôle d’excellence mondial dans la facilitation du commerce, resserrant les liens économiques dans la région et établissant un nouveau moteur de croissance pour l’économie mondiale. Il ne faut que la volonté de la saisir.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
Fahd Al Rasheed est un directeur général et PDG de groupe de la Ville économique du roi Abdallah.
 
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