Savoir dire non aux partisans de la guerre

Mercredi 22 Juillet 2015

L’accord conclu à Vienne dans le but de maitriser les activités nucléaires de l’Iran suscite actuellement la colère d’un certain nombre d’acteurs bellicistes. C’est pourquoi il est nécessaire que les citoyens du monde entier soutiennent le président américain Barack Obama dans son effort face aux va-t-en-guerre, en puisant leurs forces dans le fait que les États-Unis sont loin d’être les seuls signataires de l’accord, puisque le sont également les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, accompagnés par l’Allemagne.


Jeffrey D. Sachs est  conseiller spécial auprès du Secrétaire général des Nations Unies sur la question des Objectifs du millénaire pour le développement.
Jeffrey D. Sachs est conseiller spécial auprès du Secrétaire général des Nations Unies sur la question des Objectifs du millénaire pour le développement.
Il se trouve qu’un grand nombre des partisans du conflit évoluent au sein même des agences gouvernementales du président Obama. La plupart des Américains peinent à admettre ou à comprendre combien leur pays évolue en permanence dans un état d’inquiétude sécuritaire, au sein duquel les dirigeants politiques élus semblent mener la danse, alors même que la CIA et le Pentagone prennent bien souvent les commandes – inquiétude qui a naturellement tendance à graviter autour de choix militaires, plutôt qu’autour de solutions diplomatiques aux défis de politique étrangère.
Depuis la création de la CIA en 1947, les États-Unis ont toujours appliqué une politique semi-secrète ou semi-ouverte consistant à renverser tel ou tel gouvernement étranger. La CIA fut en réalité mise en place de sorte d’échapper à une supervision démocratique véritable, et afin de conférer aux présidents la possibilité d’un « déni plausible ». Cette démarche a conduit au renversement de plusieurs dizaines de gouvernements, dans toutes les régions du monde, sans qu’aucune mise en cause ne s’opère, que ce soit au sein du pays concerné ou en Amérique.
J’ai pu récemment m’intéresser à une période particulière des agissements de la CIA, dans mon ouvrage intitulé To Move the World: JFK’s Quest for Peace . Peu après l’accession de Kennedy à la présidence en 1961, celui-ci est « informé » par la CIA de l’existence d’un plan consistant à renverser Fidel Castro. Kennedy est alors sous le choc : doit-il approuver le plan de la CIA consistant à envahir Cuba, ou bien y opposer son veto ? Peu coutumier des sombres démarches de ce genre, Kennedy s’efforce alors de jouer sur les deux tableaux, en laissant s’opérer la mission, mais sans fournir d’appui de la part de l’armée de l’air américaine.
Cette invasion fomentée par la CIA, et exécutée dans la Baie des cochons par un groupe désordonné d’exilés cubains, aboutira à un fiasco militaire ainsi qu’à une véritable catastrophe au niveau de la politique étrangère, donnant lieu l’année suivante à la crise des missiles de Cuba. Au cours de cette crise, la plupart des hauts dirigeants de la sécurité nationale qui conseillent le président entendent déclencher une intervention militaire contre les forces soviétiques. Cette escalade aurait tout à fait pu aboutir à une apocalypse nucléaire. Kennedy parviendra néanmoins à passer outre les démarches guerrières, et à résoudre cette crise de manière diplomatique.
En 1963, Kennedy n’a plus confiance dans les conseils que lui prodiguent l’armée et la CIA. Il considère en effet un grand nombre de ses prétendus conseillers comme une menace pour la paix mondiale. Cette année-là, le président usera intensément et brillamment des voies diplomatiques, ce qui lui permettra de faire émerger un accord nucléaire révolutionnaire avec l’Union soviétique, à savoir le Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires.
Le peuple américain va alors soutenir vivement – et à juste titre – les choix de Kennedy contre le recours à la force militaire. JFK sera malheureusement assassiné trois mois après la signature du traité.
Examiné sous le prisme de l’histoire, la principale tâche des présidents américains consiste à faire preuve de suffisamment de maturité et de sagesse pour s’opposer à une machine de guerre permanente. Kennedy s’est efforcé d’y parvenir ; ce qui ne sera pas le cas de son successeur Lyndon Johnson, avec pour conséquence le désastre de la guerre du Viêtnam. Jimmy Carter fournira à nouveau l’effort ; contrairement à son remplaçant Ronald Reagan (sous le mandat duquel la CIA contribuera à un déchaînement de chaos et de massacres en Amérique centrale au cours des années 1980). Clinton renouvellera globalement la démarche (à l’exception des Balkans), qu’abandonnera ensuite George W. Bush, ce qui entraînera de nouvelles guerres et perturbations.
Pour sa part, Obama s’est dans l’ensemble efforcé de maîtriser la ferveur de ses collaborateurs les plus belliqueux, bien qu’il leur ait souvent cédé – non seulement en faisant intervenir massivement des drones armés, mais également en approuvant des guerres secrètes en Syrie, en Lybie, au Yémen, en Somalie et ailleurs. Il n’a pas non plus été véritablement en mesure de mettre un terme aux guerres d’Irak et d’Afghanistan, ayant davantage remplacé les troupes de terrain par l’emploi de drones américains, de frappes aériennes, et de contractants « privé ».
De toute évidence, l’Iran vit une période majeure, et franchit une étape historique qui exige toute notre attention. La difficulté politique liée à un effort de paix avec l’Iran est aujourd’hui comparable avec la démarche d’apaisement opéré par JFK avec l’Union soviétique en 1963. Les Américains font preuve de suspicion à l’égard de l’Iran depuis la Révolution islamique de 1979 et depuis la crise des otages survenue plus tard, au cours de laquelle des étudiants iraniens retiendront 52 Américains pendant 444 jours au sein de l’ambassade américaine. Pour autant, leur suspicion reflète également une manipulation à la nature patriotique excessive, ainsi qu’un manque de perspective sur les relations entre les États-Unis et l’Iran.
Peu d’Américains savent que le CIA a renversé en 1953 un gouvernement iranien démocratique. À l’époque, les Iraniens avaient eu le courage d’élire un Premier ministre progressiste et laïc, qui considérait que le pétrole du pays appartenait à son propre peuple, et non au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Rares sont également les Américains qui se rappellent qu’à l’issue du coup d’État, la CIA mit en place un violent régime policier sous le règne du Chah.
De même, à l’issue de la révolution iranienne de 1979, les États-Unis ont décidé d’armer l’Irak de Saddam Hussein afin que celui-ci puisse mener sa guerre contre l’Iran, ce qui engendra plusieurs centaines de milliers de morts iraniennes au cours des années 1980. Enfin, les sanctions internationales imposées par les États-Unis à partir des années 1990 ont eu pour objectif d’appauvrir, de déstabiliser, et en fin de compte de renverser le régime islamiste.
Voici désormais que les partisans de la guerre s’efforcent de dynamiter l’accord de Vienne. L’Arabie saoudite dispute aujourd’hui un violent combat contre l’Iran aux fins de la suprématie régionale, via un affrontement géopolitique qui converge en direction de la rivalité entre sunnites et chiites. Seule et unique puissance nucléaire du Moyen-Orient, Israël entend conserver son monopole stratégique. Et pourtant, les plus bellicistes d’Amérique semblent se contenter de considérer chaque pays islamique comme suffisamment mûr pour le renversement.
Obama est dans le vrai lorsqu’il affirme que les intérêts véritables de l’Amérique et du monde se situent du côté de la paix, et non de la poursuite d’un conflit avec l’Iran. Les États-Unis ne prennent nullement parti dans la division chiites-sunnites ; l’Amérique lutte d’ailleurs principalement contre le terrorisme sunnite, financé par l’Arabie saoudite, plutôt que contre le terrorisme chiite qu’appuie l’Iran. Obama a également raison d’expliquer que malgré les arguments d’Israël, l’accord conclu vient réduire les risques de voir l’Iran devenir jamais un État nucléaire.
Le meilleur chemin dans cette direction consiste à normaliser les relations avec le pays, à favoriser sa reprise économique, et à soutenir son intégration au sein de la communauté internationale. L’Iran abrite une formidable culture ancestrale. Son ouverture sur le monde, en tant que lieu d’affaires, de tourisme, d’art et de sports représenterait une aubaine pour la stabilité et la prospérité du monde.
Le nouveau traité permettra de manière vérifiable d’empêcher l’Iran de concevoir une arme atomique pendant au moins une décennie – et par la suite de contraindre le pays aux dispositions sur la non-prolifération des armes nucléaires. L’heure est à un rapprochement plus large entre les États-Unis et l’Iran, ainsi qu’à la construction d’un nouveau système sécuritaire au Moyen-Orient, afin que le monde s’oriente vers un désarmement nucléaire total à l’échelle planétaire. Dans cette perspective, il s’agira avant tout de remplacer les interventions militaires (y compris les guerres secrètes de la CIA) par des démarches commerciales et autres formes d’échanges pacifiques.
Jeffrey D. Sachs est professeur de développement durable, professeur en politique et gestion de la santé, et directeur du Earth Institute de l’Université de Columbia. Il est également conseiller spécial auprès du Secrétaire général des Nations Unies sur la question des Objectifs du millénaire pour le développement.
© Project Syndicate 1995–2015
 
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