Le ralentissement de l’activité économique imputable à la pandémie est d’autant plus marqué que l’Afrique supporte dans le même temps le poids immense d’une « prime de perception », c’est-à-dire d’une perception excessive du risque depuis longtemps associé à l’Afrique et des coûts induits par ce biais, qui ne tient pas compte de l’amélioration de ses fondamentaux macroéconomiques ou de la conjoncture économique mondiale.
Fort heureusement, les dirigeants internationaux abordent enfin le problème. Lors des dernières assemblées annuelles du Fonds monétaire international, en octobre, Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds, a fait remarquer que le monde devait « s’attacher à réduire le risque perçu et réel lié à l’investissement en Afrique, afin que nous puissions voir [l’] énorme disponibilité de financement […] se répercuter en Afrique ».
Le 18 mai, le président français, Emmanuel Macron, qui appelle de ses vœux des « règles de financement plus équitables pour les économies africaines », accueillera un sommet international sur le soutien apporté à la région pour dynamiser la reprise. La coordination internationale sera indispensable si l’on veut permettre un accès plus égal au financement du développement et limiter les risques d’une reprise mondiale divergente, à deux vitesses, qui menace d’aggraver les écarts de revenu entre l’Afrique et les autres parties du monde.
Tirée par les bonnes performances économiques de pays comme l’Éthiopie, le Rwanda et la Côte d’Ivoire, l’Afrique subsaharienne compte régulièrement, depuis vingt ans, parmi les régions du monde qui connaissent les plus fortes croissances. Plusieurs pays africains ont augmenté leur production durant la pandémie, ce qui souligne leur résilience, et l’année dernière, deux d’entre eux, l’Éthiopie et la Guinée, figuraient parmi les cinq économies mondiales dont la croissance est la plus rapide.
En outre, les avancées de l’Afrique vont au-delà de l’économie. Comme l’a noté Mme Georgieva, « les pays d’Afrique subsaharienne ont accompli des progrès essentiels en améliorant leurs politiques et en renforçant leurs institutions. » Au cours des vingt dernières années, a-t-elle dit, l’extrême pauvreté a été réduite d’un tiers dans la région et l’expérience de vie a augmenté de 20 %, tandis que la croissance du revenu réel par habitant a été en moyenne d’environ 50 %.
Mais ces réussites semblent avoir eu peu d’impact, et même n’en avoir eu aucun, sur les grandes agences de notation. Au plus fort de la pandémie, l’année dernière, elles ont rétrogradé l’Afrique du Sud – qui représente plus de 20 % des échanges interafricains et constitue le principal moteur des investissements transfrontaliers sur le continent – ainsi que plusieurs autres pays africains au niveau « risque élevé ». Ces rétrogradations s’ajoutent à la liste déjà longue des pays africains réputés à très haut risque et soumis à des taux d’emprunt qu’augmente la crainte d’un défaut de paiement.
Certaines de ces évaluations semblent erronées à la lumière des performances économiques encourageantes de bon nombre d’économies africaines. Ainsi l’Éthiopie a-t-elle vu son PIB multiplié par plus de dix depuis le tournant du siècle, et à la différence de nombreuses autres économies, le ralentissement dû à la pandémie ne l’a pas entièrement fait dévier de sa trajectoire de croissance à long terme. Elle demeure pourtant un emprunteur classé à risque.
Avec des taux d’emprunt aussi élevés, le service des intérêts est devenu l’une des dépenses budgétaires des gouvernements africains dont la croissance est la plus rapide, excédant bien souvent les dépenses de santé. En Zambie, le service des intérêts a presque été multiplié par treize en dix ans, passant de 63 millions de dollars en 2010 à plus de 804 millions de dollars en 2019. Sur l’ensemble de l’Afrique, il a plus que triplé au cours de la même période, passant de 8,1 milliards de dollars à environ 24,9 milliards.
Quoique le service des intérêts ait chuté (de 36,6 % pour la Zambie et de 26,6 % pour l’ensemble de la région), il est censé augmenter après la crise, en raison non seulement de la croissance des dettes extérieures liées à la pandémie, mais aussi de l’expiration des mesures d’allègement temporaire dont ont bénéficié les pays vulnérables au titre de l’initiative de suspension du service de la dette du G20 et grâce au Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI.
Dans une étude réalisée en 2015, des chercheurs de l’université du Michigan estimaient que les pays africains payaient une prime de risque sur les intérêts de leurs emprunts extérieurs d’environ 2,9 %, soit un débours supplémentaire de 2,2 milliards de dollars entre 2006 et 2014. Ce chiffre a probablement augmenté depuis, notamment si l’on considère le creusement des écarts de rendement des taux et l’avalanche de rétrogradations par les agences de notation.
Cette prime de risque constitue une entrave majeure à la viabilité des budgets et de la dette des économies africaines mais aussi à leur transformation structurelle. La dette extérieure totale de l’Afrique est significativement inférieure, tant en valeur absolue que par habitant, à celle que les économies avancées ont contractée. En revanche, le rapport du paiement du service de la dette extérieure sur les recettes budgétaires est nettement plus élevé, ce qui traduit le coût prohibitif des taux déterminés par la crainte d’un défaut de paiement.
L’exposition de la région aux chocs récurrents des termes de l’échange, qui tend à augmenter les déficits commerciaux et budgétaires et à durcir les contraintes de liquidité, accroît encore le montant des primes de perception. Ce risque concomitant se réduira à mesure de la transformation structurelle des économies africaines, qui permettra de diversifier les sources de croissance et d’échanges commerciaux au-delà des matières premières.
Il faudra pour cela, comme l’ont souligné M. Macron et Mme Georgieva, orienter régulièrement des capitaux importants e dehors du secteur des ressources naturelles. Mais les coûts d’emprunt induits par la crainte d’un défaut et la hauteur des primes de perception constituent, selon toute vraisemblance, les obstacles les plus abrupts sur la voie de cette transformation structurelle.
La communauté internationale a répondu rapidement à la pandémie, et adopté plusieurs initiatives pour porter main forte aux pays à faible revenu afin qu’ils puissent faire face aux contraintes de liquidité et aux pressions croissantes exercées sur leur balance des paiements. Dans le court terme, ces mesures réduiront probablement le paiement du service de la dette extérieure pour les pays éligibles et renforceront leur capacité à lutter contre le Covid-19. Mais elles ne relèveront pas les grands défis de développement qui sont lancés à l’Afrique.
Tant que les investisseurs mondiaux et les principales agences de notation n’auront pas convenablement intégré à leurs modèles les améliorations réelles qui ont eu lieu en Afrique et la diversité des situations qui s’y présentent, de nombreux pays du continent demeureront au bord du surendettement, et les transformations structurelles, qui sont la clé d’un budget et d’une dette viables, resteront hors de portée. Nous devons donc espérer que le sommet du 18 mai réuni par le président français contribuera à réduire cette prime de perception qui fait tant de tort à l’Afrique et qu’il incitera les investisseurs et les décideurs politiques internationaux à doter la région d’un accès équitable aux réseaux financiers mondiaux.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Hippolyte Fofack est économiste en chef de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2021
Fort heureusement, les dirigeants internationaux abordent enfin le problème. Lors des dernières assemblées annuelles du Fonds monétaire international, en octobre, Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds, a fait remarquer que le monde devait « s’attacher à réduire le risque perçu et réel lié à l’investissement en Afrique, afin que nous puissions voir [l’] énorme disponibilité de financement […] se répercuter en Afrique ».
Le 18 mai, le président français, Emmanuel Macron, qui appelle de ses vœux des « règles de financement plus équitables pour les économies africaines », accueillera un sommet international sur le soutien apporté à la région pour dynamiser la reprise. La coordination internationale sera indispensable si l’on veut permettre un accès plus égal au financement du développement et limiter les risques d’une reprise mondiale divergente, à deux vitesses, qui menace d’aggraver les écarts de revenu entre l’Afrique et les autres parties du monde.
Tirée par les bonnes performances économiques de pays comme l’Éthiopie, le Rwanda et la Côte d’Ivoire, l’Afrique subsaharienne compte régulièrement, depuis vingt ans, parmi les régions du monde qui connaissent les plus fortes croissances. Plusieurs pays africains ont augmenté leur production durant la pandémie, ce qui souligne leur résilience, et l’année dernière, deux d’entre eux, l’Éthiopie et la Guinée, figuraient parmi les cinq économies mondiales dont la croissance est la plus rapide.
En outre, les avancées de l’Afrique vont au-delà de l’économie. Comme l’a noté Mme Georgieva, « les pays d’Afrique subsaharienne ont accompli des progrès essentiels en améliorant leurs politiques et en renforçant leurs institutions. » Au cours des vingt dernières années, a-t-elle dit, l’extrême pauvreté a été réduite d’un tiers dans la région et l’expérience de vie a augmenté de 20 %, tandis que la croissance du revenu réel par habitant a été en moyenne d’environ 50 %.
Mais ces réussites semblent avoir eu peu d’impact, et même n’en avoir eu aucun, sur les grandes agences de notation. Au plus fort de la pandémie, l’année dernière, elles ont rétrogradé l’Afrique du Sud – qui représente plus de 20 % des échanges interafricains et constitue le principal moteur des investissements transfrontaliers sur le continent – ainsi que plusieurs autres pays africains au niveau « risque élevé ». Ces rétrogradations s’ajoutent à la liste déjà longue des pays africains réputés à très haut risque et soumis à des taux d’emprunt qu’augmente la crainte d’un défaut de paiement.
Certaines de ces évaluations semblent erronées à la lumière des performances économiques encourageantes de bon nombre d’économies africaines. Ainsi l’Éthiopie a-t-elle vu son PIB multiplié par plus de dix depuis le tournant du siècle, et à la différence de nombreuses autres économies, le ralentissement dû à la pandémie ne l’a pas entièrement fait dévier de sa trajectoire de croissance à long terme. Elle demeure pourtant un emprunteur classé à risque.
Avec des taux d’emprunt aussi élevés, le service des intérêts est devenu l’une des dépenses budgétaires des gouvernements africains dont la croissance est la plus rapide, excédant bien souvent les dépenses de santé. En Zambie, le service des intérêts a presque été multiplié par treize en dix ans, passant de 63 millions de dollars en 2010 à plus de 804 millions de dollars en 2019. Sur l’ensemble de l’Afrique, il a plus que triplé au cours de la même période, passant de 8,1 milliards de dollars à environ 24,9 milliards.
Quoique le service des intérêts ait chuté (de 36,6 % pour la Zambie et de 26,6 % pour l’ensemble de la région), il est censé augmenter après la crise, en raison non seulement de la croissance des dettes extérieures liées à la pandémie, mais aussi de l’expiration des mesures d’allègement temporaire dont ont bénéficié les pays vulnérables au titre de l’initiative de suspension du service de la dette du G20 et grâce au Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI.
Dans une étude réalisée en 2015, des chercheurs de l’université du Michigan estimaient que les pays africains payaient une prime de risque sur les intérêts de leurs emprunts extérieurs d’environ 2,9 %, soit un débours supplémentaire de 2,2 milliards de dollars entre 2006 et 2014. Ce chiffre a probablement augmenté depuis, notamment si l’on considère le creusement des écarts de rendement des taux et l’avalanche de rétrogradations par les agences de notation.
Cette prime de risque constitue une entrave majeure à la viabilité des budgets et de la dette des économies africaines mais aussi à leur transformation structurelle. La dette extérieure totale de l’Afrique est significativement inférieure, tant en valeur absolue que par habitant, à celle que les économies avancées ont contractée. En revanche, le rapport du paiement du service de la dette extérieure sur les recettes budgétaires est nettement plus élevé, ce qui traduit le coût prohibitif des taux déterminés par la crainte d’un défaut de paiement.
L’exposition de la région aux chocs récurrents des termes de l’échange, qui tend à augmenter les déficits commerciaux et budgétaires et à durcir les contraintes de liquidité, accroît encore le montant des primes de perception. Ce risque concomitant se réduira à mesure de la transformation structurelle des économies africaines, qui permettra de diversifier les sources de croissance et d’échanges commerciaux au-delà des matières premières.
Il faudra pour cela, comme l’ont souligné M. Macron et Mme Georgieva, orienter régulièrement des capitaux importants e dehors du secteur des ressources naturelles. Mais les coûts d’emprunt induits par la crainte d’un défaut et la hauteur des primes de perception constituent, selon toute vraisemblance, les obstacles les plus abrupts sur la voie de cette transformation structurelle.
La communauté internationale a répondu rapidement à la pandémie, et adopté plusieurs initiatives pour porter main forte aux pays à faible revenu afin qu’ils puissent faire face aux contraintes de liquidité et aux pressions croissantes exercées sur leur balance des paiements. Dans le court terme, ces mesures réduiront probablement le paiement du service de la dette extérieure pour les pays éligibles et renforceront leur capacité à lutter contre le Covid-19. Mais elles ne relèveront pas les grands défis de développement qui sont lancés à l’Afrique.
Tant que les investisseurs mondiaux et les principales agences de notation n’auront pas convenablement intégré à leurs modèles les améliorations réelles qui ont eu lieu en Afrique et la diversité des situations qui s’y présentent, de nombreux pays du continent demeureront au bord du surendettement, et les transformations structurelles, qui sont la clé d’un budget et d’une dette viables, resteront hors de portée. Nous devons donc espérer que le sommet du 18 mai réuni par le président français contribuera à réduire cette prime de perception qui fait tant de tort à l’Afrique et qu’il incitera les investisseurs et les décideurs politiques internationaux à doter la région d’un accès équitable aux réseaux financiers mondiaux.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Hippolyte Fofack est économiste en chef de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2021