Syrie : que veut la Russie ?

Mardi 20 Octobre 2015

L'intervention de la Russie en Syrie est observée à la loupe, son pourquoi et son comment font l'objet d'analyses approfondies. Mais elles portent essentiellement sur le court terme, et leurs conclusions sur les conséquences probables à long terme de l'intervention paraissent exagérément pessimistes.


Poutine a décidé d'aider le régime de Bachar Al-Assad qui est dans une impasse. Les bombes et les missiles russes qui s'abattent sur tout un éventail de groupes armés opposés aux forces gouvernementales donnent un peu de répit au régime. 
Aussi critiquable soit le gouvernement d'Assad, et malgré tous les crimes dont il a à répondre, à court terme cette situation est préférable à l'écroulement du régime. Malheureusement, le fait est qu'aujourd'hui l'implosion du gouvernement syrien aboutirait sans doute à un génocide, à des millions de réfugiés supplémentaires et à l'établissement du "califat" de l'Etat islamique (EI) à Damas.
On peut spéculer sur les motivations de Poutine, mais il veut sans doute éviter l'écroulement de son allié de longue date au Moyen-Orient. Par ailleurs, il ne manque pas une occasion de rappeler au monde que la Russie reste une grande puissance qui peut et veut agir au mieux de ses intérêts. Peut-être veut-il aussi détourner l'attention des problèmes intérieurs - une économie affaiblie et le coût croissant de l'intervention en Ukraine. Le taux élevé d'approbation dont il bénéficie montre qu'il pourrait réussir.
On pourrait craindre que l'activisme récent de la Russie ne prolonge cette guerre civile particulièrement cruelle et ne renforce l'Etat islamique. On ne peut exclure cette hypothèse, d'autant que la haine du régime d'Assad est un puissant outil de recrutement pour l'EI. Et au moins jusqu'à présent, ce dernier ne paraît pas être la priorité de l'armée russe qui s'attaque semble-t-il en priorité aux autres forces anti-Assad.
Selon certaines sources, l'Etat islamique s'installerait dans les zones abandonnées par les forces anti-Assad qui fuient les bombardements russes. La Russie paraît jouer le même jeu cynique qu'Assad : utiliser la guerre pour ne laisser le choix qu'entre l'Etat islamique et un régime qui, pour odieux qu'il soit, lui est préférable.
Certains observateurs craignent également que l'engagement russe en Syrie ne présage une nouvelle vague d'interventions de ce type - voire même une nouvelle Guerre froide. Mais c'est improbable, ne serait-ce que parce que la Russie n'a pas les moyens financiers et militaires pour s'engager sur un trop grand nombre de fronts. Et il n'est pas sûr que le peuple russe soit prêt à payer le prix fort pour cette politique.
Tout dépend de Poutine qui dispose d'une liberté de décision jamais vue depuis Staline. Son action en Syrie est cohérente avec plusieurs principes des arts martiaux dont il est grand amateur, notamment l'idée de neutraliser l'adversaire en exploitant ses faiblesses.
Mais le recours à la force a ses limites. L'intervention russe en Syrie ne réussira pas s'il s'agit de permettre au gouvernement d'Assad de regagner son contrôle sur l'essentiel du pays. La politique de Poutine peut au mieux établir une enclave relativement sûre.
Même cet objectif modeste pourrait être difficile à atteindre parce que l'Etat islamique lui aussi se renforce. Il pourrait être coûteux pour la Russie elle-même : ce n'est qu'une question de temps jusqu'à ce que Moscou devienne la cible d'attaques-suicides (comme cela vient de se produire à Ankara).
La véritable question est de savoir si pour Poutine le soutien au gouvernement d’Assad est un objectif en soi ou si ce n’est que le moyen d’atteindre un autre objectif. Si tel est le cas (si Poutine pense en joueur d’échecs et qu’il prévoit plusieurs coups à l’avance), il envisage peut-être un processus diplomatique qui passera à moment donné par le départ d’Assad. La Russie pourrait y être favorable, d’autant que Poutine n’est pas connu pour être un sentimental. Il pourrait adopter une politique qui donne un rôle central à la Russie pour dessiner le Moyen-Orient de demain.
Quant aux USA et aux autres acteurs, ils devraient poursuivre une double stratégie. Ils devraient chercher à améliorer l'équilibre des pouvoirs en Syrie. Cela passe par un soutien plus important aux Kurdes et à certaines tribus sunnites, et par les attaques aériennes contre l'Etat islamique.
Cela devrait permettre l'émergence d'enclaves relativement sûres. Un découpage de la Syrie en enclaves ou en cantons pourrait être le meilleur résultat possible dans l'immédiat et dans le futur prévisible. Les USA et les autres parties prenantes n'ont pas un intérêt vital à restaurer un gouvernement syrien qui contrôle l'ensemble du territoire. Leur objectif premier est de défaire l'Etat islamique et les groupes similaires.
Parallèlement, les USA et les autres Etats devraient envisager la participation de la Russie (et même de l'Iran) à une solution politique. Il s'agirait de préparer la sortie d'Assad et d'établir un Etat efficace disposant au minimum du soutien de sa base alaouite et si possible de quelques tribus sunnites.
Poutine va sans doute gagner du prestige dans un tel processus. Mais c'est le prix à payer pour une dynamique qui permettra à long terme de diminuer les souffrances du peuple syrien et de réduire le danger que représente l'Etat islamique.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Richard Haas préside le Council on Foreign Relations.
 
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