La question nord-coréenne devrait occuper la majeure partie du dialogue avec la Chine, dans la mesure où le président américain compte sur les dirigeants chinois pour régler le problème à la place des États-Unis. Cette approche est compréhensible, puisque l’essentiel du commerce nord-coréen transite par le territoire chinois, la Chine étant si elle le décide en capacité d’exercer une pression considérable sur le Nord.
Mais il est probable que Trump en ressorte déçu. Il ne faut pas s’attendre à ce que la Chine use pleinement de ce levier, le pays craignant en effet de mettre à mal la stabilité de la Corée du Nord, et d’engendrer une issue encore plus défavorable. Ironie et possible tragédie liée à la position de la Chine, le fait de laisser la Corée du Nord accroître et améliorer sa capacité nucléaire et son arsenal de missiles pourrait entretenir une dynamique de guerre, ou conduire la Corée du Sud, le Japon, voire les deux, à reconsidérer leur posture non nucléaire. L’une ou l’autre de ces issues viendrait contrarier les intérêts stratégiques de la Chine ; pour autant, à l’instar de nombreux gouvernements, les dirigeants chinois chercheront à éviter les décisions difficiles à court terme, même si les conséquences doivent se révéler dommageables à plus long terme.
La question nord-coréenne n’est que l’une des nombreuses problématiques qui occupent l’agenda sino-américain, parmi lesquelles d’autres questions géopolitiques (notamment la situation en mer de Chine méridionale et le statut de Taïwan). Doivent également être appréhendées les questions économiques, telles que les manquements de la Chine dans le respect de la propriété intellectuelle, ses généreuses subventions aux entreprises axées sur l’exportation, la restriction de l’accès à son marché, ou encore sa démarche consistant à exiger des sociétés étrangères opérant en Chine qu’elles transfèrent leurs technologies avancées aux entreprises chinoises.
La liste des questions litigieuses entre ces deux puissants pays est longue et problématique, ce qui aliment le pessimisme de ceux qui prédisent une détérioration croissante de la relation bilatérale. L’un des arguments mis en avant par les pessimistes consiste à souligner une tendance historique selon laquelle lorsqu’une puissance montante rencontre une puissance bien établie, les deux finissent par se concurrencer, voire par s’affronter.
Dans un récent ouvrage, le spécialiste de Harvard en sciences politiques Graham Allison se concentre sur ce qu’il appelle le « piège de Thucydide », en référence aux écrits de l’historien de la Grèce antique concernant la relation de rivalité qui conduisit finalement à la guerre du Péloponnèse entre d’un côté Athènes, puissance montante, et de l’autre Sparte, superpuissance de l’époque. C’est à des ceux géants d’autrefois qu’Allison compare la Chine et les États-Unis d’aujourd’hui, dans son ouvrage intitulé Destined for War .
Ce parallèle est néanmoins inapproprié. Il néglige l’effet dissuasif des armes nucléaires, qui pendant plus de quarante ans ont empêché la guerre froide de dégénérer entre les États-Unis et l’Union soviétique, ainsi que la capacité de l’Amérique et de la Chine d’aujourd’hui à désamorcer leur opposition sur la question de Taïwan. La diplomatie peut jouer son rôle, et elle le fera ; peu de choses sont irrémédiables dans les relations internationales.
Les États-Unis et la Chine sont en effet parvenus à maintenir leur relation dans un état de relatif équilibre, malgré la disparition de la logique qui sous-tendait cette relation – une antipathie partagée à l’égard de l’Union soviétique – quand la guerre froide a pris fin il y a un quart de siècle. L’importante relation économique construite depuis crée un intérêt pour chacun des deux camps à maintenir une entende cordiale. La Chine ayant par ailleurs besoin de stabilité extérieure pour poursuivre son développement économique, ses dirigeants opèrent avec une grande tempérance.
Les inquiétudes des pessimistes ne peuvent cependant être balayées d’un revers de la main. Il arrive en effet que les États échouent à servir leurs propres intérêts, ou que les événements échappent simplement à tout contrôle. Les dirigeants chinois pourraient par exemple être tentés d’agir avec plus de fermeté pour apaiser l’opinion publique en période de ralentissement économique, et d’exploiter l’opportunité d’une Amérique qui se retire des accords commerciaux régionaux.
Les enjeux sont élevés, et l’histoire du XXIe siècle dépendra considérablement de la nature de cette relation sino-américaine. Trump, qui oscille entre critique de la Chine sur le plan commercial et louanges à l’égard du président Xi Jinping, va devoir établir un juste équilibre entre ses inquiétudes légitimes en matière commerciale et la nécessité d’éviter précisément de déclencher une guerre commerciale. De son côté, Xi va devoir déterminer comment satisfaire son invité américain sans pour autant altérer son intégrité ou celle du Parti aux yeux du peuple chinois.
La question nord-coréenne constituera la plus grande mise à l’épreuve. Trump et Xi doivent trouver les moyens de désamorcer une crise imminente dans la péninsule coréenne – ou d’en gérer les conséquences dans le cas où l’échec de la diplomatie aboutirait à la guerre. Dans cette seconde hypothèse, il serait absolument essentiel qu’une deuxième guerre coréenne n’engendre pas un affrontement direct entre les États-Unis et la Chine, comme ce fut le cas lors de la première, et qu’une coopération permette de maintenir sous contrôle les armes nucléaires nord-coréennes. Tout ceci exigera une diplomatie intelligente. Espérons que Trump et Xi parviendront à en poser les bases.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Richard N Haass est président du Conseil des relations étrangères, et auteur de l’ouvrage intitulé A World in Disarray: American Foreign Policy and the Crisis of the Old Order .
Mais il est probable que Trump en ressorte déçu. Il ne faut pas s’attendre à ce que la Chine use pleinement de ce levier, le pays craignant en effet de mettre à mal la stabilité de la Corée du Nord, et d’engendrer une issue encore plus défavorable. Ironie et possible tragédie liée à la position de la Chine, le fait de laisser la Corée du Nord accroître et améliorer sa capacité nucléaire et son arsenal de missiles pourrait entretenir une dynamique de guerre, ou conduire la Corée du Sud, le Japon, voire les deux, à reconsidérer leur posture non nucléaire. L’une ou l’autre de ces issues viendrait contrarier les intérêts stratégiques de la Chine ; pour autant, à l’instar de nombreux gouvernements, les dirigeants chinois chercheront à éviter les décisions difficiles à court terme, même si les conséquences doivent se révéler dommageables à plus long terme.
La question nord-coréenne n’est que l’une des nombreuses problématiques qui occupent l’agenda sino-américain, parmi lesquelles d’autres questions géopolitiques (notamment la situation en mer de Chine méridionale et le statut de Taïwan). Doivent également être appréhendées les questions économiques, telles que les manquements de la Chine dans le respect de la propriété intellectuelle, ses généreuses subventions aux entreprises axées sur l’exportation, la restriction de l’accès à son marché, ou encore sa démarche consistant à exiger des sociétés étrangères opérant en Chine qu’elles transfèrent leurs technologies avancées aux entreprises chinoises.
La liste des questions litigieuses entre ces deux puissants pays est longue et problématique, ce qui aliment le pessimisme de ceux qui prédisent une détérioration croissante de la relation bilatérale. L’un des arguments mis en avant par les pessimistes consiste à souligner une tendance historique selon laquelle lorsqu’une puissance montante rencontre une puissance bien établie, les deux finissent par se concurrencer, voire par s’affronter.
Dans un récent ouvrage, le spécialiste de Harvard en sciences politiques Graham Allison se concentre sur ce qu’il appelle le « piège de Thucydide », en référence aux écrits de l’historien de la Grèce antique concernant la relation de rivalité qui conduisit finalement à la guerre du Péloponnèse entre d’un côté Athènes, puissance montante, et de l’autre Sparte, superpuissance de l’époque. C’est à des ceux géants d’autrefois qu’Allison compare la Chine et les États-Unis d’aujourd’hui, dans son ouvrage intitulé Destined for War .
Ce parallèle est néanmoins inapproprié. Il néglige l’effet dissuasif des armes nucléaires, qui pendant plus de quarante ans ont empêché la guerre froide de dégénérer entre les États-Unis et l’Union soviétique, ainsi que la capacité de l’Amérique et de la Chine d’aujourd’hui à désamorcer leur opposition sur la question de Taïwan. La diplomatie peut jouer son rôle, et elle le fera ; peu de choses sont irrémédiables dans les relations internationales.
Les États-Unis et la Chine sont en effet parvenus à maintenir leur relation dans un état de relatif équilibre, malgré la disparition de la logique qui sous-tendait cette relation – une antipathie partagée à l’égard de l’Union soviétique – quand la guerre froide a pris fin il y a un quart de siècle. L’importante relation économique construite depuis crée un intérêt pour chacun des deux camps à maintenir une entende cordiale. La Chine ayant par ailleurs besoin de stabilité extérieure pour poursuivre son développement économique, ses dirigeants opèrent avec une grande tempérance.
Les inquiétudes des pessimistes ne peuvent cependant être balayées d’un revers de la main. Il arrive en effet que les États échouent à servir leurs propres intérêts, ou que les événements échappent simplement à tout contrôle. Les dirigeants chinois pourraient par exemple être tentés d’agir avec plus de fermeté pour apaiser l’opinion publique en période de ralentissement économique, et d’exploiter l’opportunité d’une Amérique qui se retire des accords commerciaux régionaux.
Les enjeux sont élevés, et l’histoire du XXIe siècle dépendra considérablement de la nature de cette relation sino-américaine. Trump, qui oscille entre critique de la Chine sur le plan commercial et louanges à l’égard du président Xi Jinping, va devoir établir un juste équilibre entre ses inquiétudes légitimes en matière commerciale et la nécessité d’éviter précisément de déclencher une guerre commerciale. De son côté, Xi va devoir déterminer comment satisfaire son invité américain sans pour autant altérer son intégrité ou celle du Parti aux yeux du peuple chinois.
La question nord-coréenne constituera la plus grande mise à l’épreuve. Trump et Xi doivent trouver les moyens de désamorcer une crise imminente dans la péninsule coréenne – ou d’en gérer les conséquences dans le cas où l’échec de la diplomatie aboutirait à la guerre. Dans cette seconde hypothèse, il serait absolument essentiel qu’une deuxième guerre coréenne n’engendre pas un affrontement direct entre les États-Unis et la Chine, comme ce fut le cas lors de la première, et qu’une coopération permette de maintenir sous contrôle les armes nucléaires nord-coréennes. Tout ceci exigera une diplomatie intelligente. Espérons que Trump et Xi parviendront à en poser les bases.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Richard N Haass est président du Conseil des relations étrangères, et auteur de l’ouvrage intitulé A World in Disarray: American Foreign Policy and the Crisis of the Old Order .