Trump et l'exemple de l'Angleterre

Mercredi 14 Décembre 2016

Il y a quelques jours, le président américain nouvellement élu, Donald Trump, a choisi Twitter – son moyen de communication préféré - pour déclarer qu'il n'a pas besoin de la permission de la Chine pour contacter Taïwan, car la Chine ne demande à personne la permission de dévaluer sa devise. A ce moment-là, mon espoir que la secousse provoquée par son arrivée soit bénéfique aux USA sur le plan économique s'est effrité.


A mon avis les pays développés ont besoin d'un choc pour parvenir à une véritable reprise après la crise de 2008 et leur recours excessif au relâchement monétaire pour y échapper. Etant donné la tendance de Trump à renverser le cours des choses, il paraissait être l'homme de la situation. Mais pour aider les USA, il faudrait qu'il se concentre sur les fondamentaux économiques plutôt que sur les habituelles fariboles populistes, souvent inappropriées.
A en juger par ses accusations contre la Chine, il se contente de faire des vagues et d'irriter ses partisans, sans proposer un quelconque programme constructif. Tout observateur averti de la Chine – dont ses propres conseillers avec lesquels j'ai travaillé dans le passé – savent qu'elle n'avait pas dévalué sa monnaie depuis relativement longtemps.
Il est vrai que le yuan chinois a récemment baissé par rapport au dollar - moins cependant que le yen japonais, l'euro ou la livre britannique. Or ces baisses traduisent la confiance dans l'économie des USA. Quoi qu'il en soit, la politique de taux de change de la Chine ne vise pas à maintenir ce taux à un niveau donné par rapport au dollar, mais elle prend en compte les échanges commerciaux.
Plutôt que d'accuser la Chine de saper la compétitivité des entreprises américaines, Trump devrait concevoir une véritable stratégie de croissance qui pourrait ressembler à celle dont j'ai été l'un des artisans en Grande-Bretagne à titre de membre du gouvernement. Elle consistait à faire du nord de l'Angleterre  la locomotive du développement pour revitaliser l'économie de ce qui était le cœur de la production manufacturière britannique.
Londres est la seule grande ville du Royaume-Uni à figurer parmi les 50 premières du monde. C'est un atout majeur, car depuis 20 ans les grandes villes sont à l'origine  de plus de 60% de la croissance mondiale, de l'accroissement de la richesse et du niveau de vie. Isolément de bien moindre importance, les petites villes du nord de l'Angleterre ne peuvent leur faire concurrence.
Associer les grandes villes du nord (Manchester, Sheffield, Leeds et Liverpool) permettrait d'unifier bien davantage le nord, ses 7 millions d'habitants participant à une économie régionale unifiée. Si l'on y ajoute un système de transport évolué et pas trop coûteux, ils obtiendraient beaucoup des avantages dont bénéficient les grandes agglomérations urbaines - d'autant que la distance entre Manchester, Leeds, Liverpool et Sheffield est moindre que celle couverte par les lignes CentralDistrict et Piccadilly du métro de Londres.
Les villes du nord de l'Angleterre sont fières de leur Histoire et veulent chacune maintenir leur identité propre ; la stratégie proposée la respectera entièrement. Il est compréhensible que certains aient pu voir la politique faisant du nord la locomotive du développement comme un moyen de renforcer leur supériorité ; ce point de vue est néanmoins contre-productif, notamment parce qu'il peut entraîner des décideurs au sein du gouvernement central à douter de cette politique. Pourquoi investir autant dans ces villes, alors que tant d'autres dans le pays sont aussi en difficulté ? C'est précisément parce que c'est le moyen de récolter les bénéfices de l'intégration.
Heureusement, malgré quelques doutes, le gouvernement britannique a annoncé qu'il allait construire des lignes de train à très grande vitesse pour réduire à 30 minutes le temps de déplacement entre Leeds et Manchester. D'autres éléments de cette politique de développement sont aussi importants, par exemple l'attribution de davantage de pouvoir de décision – ainsi qu'en matière de fiscalité et de budget – aux villes en échange de l'élection directe des maires (quelque chose que le Royaume-Uni peut copier sur les USA). L'Angleterre est probablement le pays le plus centralisé de l'OCDE – ce qui contribue probablement à l'accroissement des graves inégalités régionales.
Le nord de l'Angleterre doit aussi faire des efforts considérables pour améliorer l'éducation et la formation professionnelle afin d'attirer les entreprises de pointe. Les plans destinés à appliquer certaines des mesures qui ont remarquablement amélioré le système éducatif à Londres et dans le sud-est de l'Angleterre au cours des 20 dernières années sont ambitieux, mais réalisables.
Avec davantage de pouvoir de décision, avec un meilleur système de transport, une formation professionnelle et un système éducatif plus performants, les villes du nord de l'Angleterre pourraient devenir beaucoup plus dynamiques, renversant ainsi un déclin économique qui dure depuis des décennies. Viser à faire du nord de l'Angleterre une locomotive du développement (qui a déjà attiré l'attention des investisseurs, qu'ils soient locaux ou étrangers) sera l'une des mesures économiques parmi les plus importantes pour les années à venir. C'est pourquoi il faut que les dirigeants britanniques continuent sur cette voie.
Cette stratégie pourrait servir d'exemple à d'autres pays. La Chine a déjà mis en œuvre une stratégie similaire  de développement régional qui vise à revitaliser son ancienne ceinture industrielle du nord, ce qui diminue la pression qui s'exerce sur ses villes hyper-dynamiques de la côte est. Les USA devraient suivre, avec un plan destiné à revitaliser son ancienne ceinture industrielle - une promesse qui a joué un rôle dans la victoire de Trump.
Avantage supplémentaire, cette stratégie pourrait stimuler "le désir de compétitivité" dans d'autres régions qui sont à la traîne. C'est ce qui s'est passé au Royaume-Uni, les progrès du nord de l'Angleterre conduisant à l'idée de faire des Midlands la locomotive industrielle des autres grands centres urbains du Royaume-Uni hors de Londres – une politique facilitée par la proximité de nombreuses grandes villes.
Certes, les USA sont beaucoup plus étendus que l'Angleterre, et les anciennes villes industrielles américaines sont beaucoup plus éloignées les unes des autres. Mais certaines des idées qui ont suscité la création de la locomotive industrielle du nord de l'Angleterre pourraient enrichir considérablement les projets économiques de Trump. C'est d'autant plus réalisable que l'investissement dans les infrastructures est un élément clé de son programme et que les républicains sont favorables à l'attribution de davantage de pouvoir aux différents Etats américains. 
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jim O’Neil dirige la Review on Antimicrobial Resistance créée par le gouvernement britannique, il est également professeur honoraire d'économie à l'université de Manchester. Il a été président de Goldman Sachs Asset Management et secrétaire commercial du Trésor britannique.
 
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