Trump et le commerce mondial

Lundi 9 Avril 2018

La bataille commerciale entre les USA et la Chine sur l'acier, l'aluminium et d'autres produits résulte du mépris de Trump à l'égard des accords commerciaux multilatéraux et de l'Organisation mondiale du commerce, institution créée pour résoudre les conflits commerciaux.


Avant d'annoncer  que plus de 1300 produits chinois importés pour une valeur totale de 60 milliards de dollars par an seront soumis à une taxe de 25%, début mars Trump a décidé  d'une hausse spectaculaire des droits de douane sur l'acier sur l'aluminium (fixés respectivement à 25% et à 10%). Il a justifié cette mesure par des considérations relatives à la sécurité nationale et souligné qu'une taxe sur une petite partie de l'acier importé (son prix est fixé à l'échelle mondiale) suffira à faire face à une menace stratégique authentique.
Néanmoins la plupart des experts contestent ce raisonnement. Trump a invalidé sa propre argumentation en exemptant de droits de douane la plupart des grands pays exportateurs qui vendent de l'acier aux USA. Ainsi il en exempte le Canada sous condition d'une issue favorable de la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Procédant ainsi, il menace ce pays s'il ne se soumet pas à son diktat.
Mais il existe beaucoup d'autres contentieux, ils portent notamment sur les importations de bois, de lait et d'automobiles. Trump laisse-t-il entendre qu'il est prêt à sacrifier la sécurité nationale des USA en échange d'un accord plus favorable sur des questions commerciales mineures entre les USA et le Canada ? Ou alors, dans le brouillard sur cette question comme sur la plupart des autres, son argumentation sur la sécurité nationale est entièrement creuse ainsi que l'a suggéré son secrétaire à la Défense, et il a fini par le réaliser.
Comme c'est souvent le cas, il se préoccupe d'un problème déjà dépassé. Ainsi au moment où il s'est mis à parler de son mur à la frontière avec le Mexique, l'immigration en provenance de ce pays avait déjà fortement diminué. Et quand il a commencé à se plaindre de la politique de la Chine en faveur d'un yuan faible, elle avait déjà inversé le mouvement.
De la même manière, il décide d'augmenter les droits de douane sur l'acier, alors que son prix a fait un bond de 130%, notamment en raison de la politique chinoise visant à réduire son excédent de production. Non seulement Trump agite un problème qui n'en est pas un, mais il enflamme les passions et met à l'épreuve la relation des USA avec leurs principaux alliés. Pire encore, ses décisions sont dictées par des considérations purement politiciennes. Il veut donner l'impression  à ses électeurs d'être fort et de ne pas craindre la confrontation.
Même s'il n'avait pas de conseiller économique, il devrait réaliser que c'est le déficit commercial multilatéral qui compte, non pas celui concernant un pays particulier. Réduire les importations en provenance de la Chine conduira à une hausse des prix  pour les ménages américains et ne créera pas d'emplois aux USA, mais au Bangladesh, au Vietnam ou dans tout autre pays dont les exportations vers les USA remplaceront celles de la Chine. Et dans les quelques cas où la production manufacturière se relocalisera aux USA, ce ne sera probablement pas dans la "Ceinture de rouille", mais dans des zones de haute technicité où la fabrication sera assurée par des robots.
Trump veut que la Chine réduise de 100 milliards de dollars son excédent commercial avec les USA, ce qu'elle pourrait faire en achetant pour ce montant du pétrole ou du gaz naturel américain. Mais qu'elle revende le pétrole ou le gaz américain ou qu'elle réduise ses achats de pétrole et de gaz auprès d'autres pays, cela sera sans grande conséquence pour les USA et pour l'économie mondiale. Franchement, la polarisation de Trump sur le déficit bilatéral relève de la bêtise.
Comme on pouvait s'y attendre, la Chine a réagi  à la hausse des taxes sur ses exportations en menaçant de relever elle aussi ses droits de douane. Une large gamme de produits américains serait concernée, tout spécialement dans les secteurs qui ont soutenu Trump.
La réaction chinoise a été ferme et mesurée. Elle vise à éviter tout à la fois une escalade et une soumission qui ne ferait qu'encourager l'agression lorsqu'on a affaire à une brute. Espérons que les tribunaux américains ou les républicains du Congrès parviendront à contenir les excès de Trump. Mais ici aussi, se voulant solidaire de Trump, le parti républicain semble avoir soudain oublié son engagement de longue date en faveur du libre-échange, de même qu'il y a quelques mois, il a mis de coté son engagement en faveur de la prudence budgétaire.
Plus largement, pour toute une série de raisons, le soutien en faveur de la Chine a diminué à la fois aux USA et en Europe. Au-delà du fait que les électeurs américains et européens souffrent de la désindustrialisation, la Chine n'est pas l'Eldorado qu'elle a semblé être pour les entreprises américaines.
Les entreprises chinoises étant devenues plus concurrentielles, les salaires ont augmenté dans le pays et ses normes environnementales sont devenues plus strictes. Au grand déplaisir des investisseurs de Wall Street, la Chine ouvre lentement ses marchés financiers. Paradoxalement, alors que Trump prétend défendre les travailleurs américains, c'est sans doute le secteur financier américain qui sera le véritable gagnant des négociations "réussies" de Trump. Effectivement, s'il parvient à imposer ses conditions, la Chine sera incitée à ouvrir plus largement ses marchés au secteur des assurances et à d'autres secteurs financiers.
Le conflit commercial d'aujourd'hui montre à quel point les USA ont perdu leur position dominante dans le monde. Quand il y a environ 25 ans, la Chine, un pays en développement alors pauvre, a commencé à augmenter ses échanges commerciaux avec l'Occident, qui imaginait qu'elle allait devenir le géant industriel de la planète ? Elle a déjà dépassé les USA en termes de production manufacturière, d'épargne, de commerce et même de PIB mesuré à parité de pouvoir d'achat.
Plus effrayant encore pour toute une partie de l'opinion publique des pays avancés, elle pourrait non seulement rattraper son retard technologique, mais aussi devenir leader dans l'un des secteurs clés de demain : l'intelligence artificielle  qui repose sur les grandes bases de données. Or la protection des données est avant tout une affaire politique qui touche à de nombreuses questions, telles que le respect de la vie privée, la transparence, la sécurité et la réglementation de la concurrence économique.
De son coté, l'UE semble très sensible à la protection des données, contrairement à la Chine, ce qui pourrait malheureusement conférer à cette dernière un atout majeur dans le développement de l'intelligence artificielle. Or un avantage dans ce domaine va bien au-delà du secteur technique, car il touche potentiellement presque tous les secteurs économiques. Un accord international est indispensable pour fixer les normes du développement et du déploiement de l'intelligence artificielle et des techniques qui s'y rapportent. Les Européens ne devraient pas être contraints de faire des compromis relatifs à la protection des données dans l'unique objectif de favoriser le commerce, simple moyen d'améliorer (parfois) le niveau de vie.
Dans les années à venir, il nous faudra parvenir à un cadre "équitable" pour le commerce international entre des pays aux systèmes économiques, aux Histoires, aux cultures et aux préférences sociétales hétérogènes. L'ère de Trump présente notamment un danger : fixant toute son attention sur ses tweets et essayant de ne pas se laisser entraîner dans une catastrophe, le monde risque de délaisser ces défis bien réels.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Joseph Stiglitz est titulaire du prix Nobel d'économie 2001. Son dernier livre s'intitule Globalization and its Discontents Revisited: Anti-Globalization in the Era of Trump  [Retour sur la mondialisation et ses désillusions : l'antimondialisation à l'ère de Trump].
© Project Syndicate 1995–2018
 
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