Amadou Kane, ancien Ministre de l'Economie et des Finances du Sénégal
C’est une des premières conséquences qu’on peut tirer de la réforme qui a instauré la Commission Bancaire de l’Uemoa. On peut considérer que le fait d’avoir soustrait la surveillance des banques de la tutelle directe des ministères des finances des différents pays a permis de rendre possible l’application des décisions découlant d’un constat d’infraction. En effet, le contrôle était devenu neutre et indépendant vis-à-vis de toute pression politique.
Cela a non seulement amélioré le système de surveillance pour détecter les défaillances, mais aussi a créé une certaine « peur » au niveau des dirigeants de banques, et des groupes bancaires implantés dans la zone. Cela a été salutaire d’ailleurs, parce qu’ils ont été amenés à faire moins de dérives et de fautes de gestion. C’est ce qui explique que nous n’ayons pratiquement pas eu de faillites bancaires depuis la dévaluation, malgré l’accroissement significatif des banques et établissements financiers et malgré les périodes de crises qu’ont connu certains de nos pays comme : la Côte d’Ivoire avec ses dix ans de crise, le Mali avec la situation sécuritaire, ou le Sénégal notamment avant l’alternance où on a connu des situations de tensions. La raison tient au fait que le dispositif prudentiel, les normes et les reportings auxquels les banques sont astreintes ont été opérationnels et ont bien fonctionné dans l’ensemble.
Malgré tout, avons-nous atteint les objectifs pertinents pour accélérer le financement de la croissance ? Cela reste à attester.
Le taux de financement de l’économie par le secteur bancaire s’améliore mais reste très loin des standards qu’on connait dans
C’est là
C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut expliquer en grande partie la dévaluation de 1994. Parce qu’en même temps que les déficits budgétaires des Etats dans les années 80 et 90, il faut se rappeler que le système bancaire dans sa très grande majorité était en faillite dans tous les pays de la zone franc et cela n’a pas été neutre dans la décision de dévaluation prise en janvier 1994.
Aujourd’hui un bon dispositif prudentiel, une concurrence bancaire plus vive, un suivi plus rigoureux du système par la Commission Bancaire pourraient constituer un cadre encore plus favorable pour accroitre le taux de financement de l’économie par le système financier. Surtout si on prend en compte l’arrivée de nouveaux acteurs comme les opérateurs de télécom avec le mobile money, qui participent à l’inclusion financière et le développement du micro crédit.
Mais il faut accélérer cette intervention, cette participation des établissements de microcrédit et plus tard du mobile money dans le financement de l’économie et plus particulièrement des agents économiques. Pour cela aussi, il conviendrait d’améliorer la surveillance déjà existante de ces deux secteurs pour pouvoir permettre l’accélération de l’inclusion financière.
Je crois, qu’il faut que les établissements de micro crédit et plus tard les établissements de banque électronique issue des télécoms soient encouragés à faire ce que les banques faisaient avant au niveau des personnes individuelles et des petites et moyennes entreprises.
Mais nous avons besoin, compte tenu des besoins importants découlant des divers programmes dits d’Emergence, de financements massifs par nos banques. Ceci, au regard de nos immenses besoins qui requièrent des tickets de plus en plus importants que ce soit pour l’exploitation minière, ou pétrolière, ou pour le déploiement des infrastructures , comme les autoroutes, les centrales électriques, les aménagements agricoles .
Par conséquent, il est nécessaire que nos banques, avec ces nouveaux défis, soient plus fortes. De ce point de vue, on devrait les inviter à se regrouper davantage pour qu’on ait des banques avec des bilans importants et solides et aptes à prendre des tickets importants dans les projets d’envergures de nos pays. Or, pour ce faire dans le respect des normes de Bâle 2, Bâle 3, il leur faudrait des fonds propres nettement plus conséquents.
En effet, l’importance et l’urgence de nos besoins de financement ne doivent pas nous conduire à vouloir nous soustraire de ce nouveau dispositif qui a pour légitime ambition l’alignement de notre système financier aux normes internationales.
Si nous voulons avoir la solidité qui doit découler des normes prudentielles internationales admises et qu’on veuille en même temps financer nos économies, il est nécessaire que les fonds propres des banques soient conséquents. Cela nécessitera très certainement de regrouper celles-ci, de les rapprocher, et de favoriser ainsi l’avènement de grandes banques nationales/régionales à côté des banques étrangères importantes qu’il conviendra de toujours accueillir chez nous.
C’est ce type d’expérience qu’ont connu des pays comme le Nigeria, ou l’Afrique du Sud et c’est ce qui est en cours dans les pays du Maghreb comme le Maroc.
Il nous faut de grandes banques solides avec des fonds propres significatifs et d’origines multiples. C’est l’appel que je lance aux entrepreneurs de l’UMOA et de la CEMAC, aux gens qui ont de l’épargne pour aller résolument dans cette direction là. De mon point de vue, c’est la seule façon que nous avons de pouvoir répondre à la fois aux normes nouvelles, aux besoins de financement et à la capacité de prises audacieuses de risques.
Et seules des banques régionales professionnellement gérées par des nationaux compétents, sont capables de relever ces défis. Les autres types de banques ont des contraintes qui ne relèvent pas seulement du risque pays, mais d’empilement de réglementations provenant de multiples régulateurs qui leur coûte en fonds propres et qui font que leur appétence pour le risque dans nos pays ne peut être que limitée. En revanche, nos futures grandes banques se consolideront et se renforceront dans le professionnalisme, la rigueur et l’imagination avec lesquels elles répondront aux besoins massifs de financement de nos économies.
Par Amadou Kane
Ancien Ministre de l’Economie et des Finances du Sénégal
Ancien Administrateur Directeur général de la Bicis , Groupe BNPPARIBAS