Nos partenaires et nous-mêmes sommes d’ores et déjà en accord sur de nombreux points. Il est nécessaire que le système fiscal grec soit rénové, et que l’administration fiscale puisse être libérée de toute influence de la part des acteurs politiques et des entreprises. Le système des retraites est extrêmement mal en point. Les circuits de crédit de l’économie sont rompus. Le marché du travail est sorti dévasté de la crise, et se révèle profondément segmenté, tandis que la croissance de la productivité est au point mort. L’administration publique nécessite une modernisation urgente, les ressources publiques devant par ailleurs être utilisées plus efficacement. Un certain nombre d’obstacles considérables entravent la création de nouvelles entreprises. La concurrence sur les marchés des produits s’avère beaucoup trop restreinte. Enfin, les inégalités ont atteint des niveaux inacceptables, empêchant la société de s’unir derrière des réformes pourtant essentielles.
À l’écart de ce consensus, l’entente sur un nouveau modèle de développement pour la Grèce exige que soient surmontés deux obstacles majeurs. Tout d’abord, il nous faut nous entendre sur la manière d’approcher la consolidation budgétaire de la Grèce. Deuxièmement, nous avons besoin d’un programme de réformes complet et mutuellement convenu, permettant de sous-tendre cette consolidation, et d’inspirer confiance à la société grecque.
S’agissant tout d’abord de la consolidation budgétaire, la problématique concerne précisément la méthode. Les institutions de la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) ont au fil des années recouru à une démarche de rétroinduction : elles fixent une date (par exemple l’année 2020) ainsi qu’un objectif de ratio dette nominal-revenu national (disons 120 %), qui doit être atteint avant que les marchés monétaires ne soient jugés prêts à prêter à la Grèce selon des taux raisonnables. Puis, selon des hypothèses arbitraires relatives aux taux de croissance, à l’inflation, aux recettes de privatisation etc., elles calculent ce que doivent être les excédents primaires chaque année, fonctionnant ainsi en marche arrière par rapport au présent.
Le résultat de cette méthode, c’est ce que pense notre gouvernement, n’est autre que le « piège de l’austérité ». Lorsque la consolidation budgétaire évolue autour d’un ratio de dette prédéterminé, qu’il s’agit d’atteindre à une date future elle aussi prédéterminée, les excédents primaires nécessaires pour atteindre ces cibles sont tels que l’effet engendré sur le secteur privé met à mal les taux de croissance estimés, et fait ainsi dérailler le projet budgétaire prévu. C’est en effet précisément la raison pour laquelle les plans de consolidation budgétaire antérieurs de la Grèce ont échoué de manière aussi spectaculaire à atteindre leur cible.
Notre gouvernement considère nécessaire que cette démarche de rétroinduction soit abandonnée, et remplacée par la planification d’un projet axé sur l’avenir, basé sur des hypothèses d’excédents primaires raisonnables et en cohérence avec les taux de croissance de la production, l’investissement net, ainsi que l’expansion des exportations susceptible de stabiliser l’économie et le ratio de dette de la Grèce. Si cela doit signifier un ratio dette-PIB supérieur à 120 % en 2020, nous trouverons les moyens judicieux de rationnaliser, de redessiner, ou de restructurer la dette – en gardant à l’esprit l’objectif de maximisation de la valeur actualisée effective qui sera restituée aux créanciers de la Grèce.
Outre la nécessité de convaincre la troïka de l’analyse de durabilité qui est la nôtre face à la dette, et qui consiste à esquiver le piège de l’austérité, il nous faut éviter un second obstacle : le « piège de la réforme ». Le précédent programme de réformes, que nos partenaires nous invitent avec tant de certitude à ne pas « replier », était fondé sur une dévaluation interne, une réduction des salaires et des retraites, une perte de la protection du travail, ainsi qu’une privatisation consistant à maximiser les prix des actifs publics.
Selon nos partenaires, il s’agirait de laisser du temps au temps, afin qu’un tel programme puisse fonctionner. En cas de baisse supplémentaire des salaires, il faudrait s’attendre à ce que l’emploi augmente. En remède à l’agonie du système des retraites, il s’agirait précisément de réduire les prestations. Enfin, il serait nécessaire que les privatisations visent des prix de vente plus élevés, afin de rembourser une dette dont beaucoup conviennent (en privé) qu’elle est absolument intenable.
Par opposition, notre gouvernement estime que ce programme a échoué, et alimenté une méfiance de la population vis-à-vis des réformes. Illustration parfaite de cet échec, malgré la baisse considérable des salaires et des prix, la croissance des exportations continue de stagner (l’élimination du déficit de la balance courante s’expliquant exclusivement par l’effondrement des importations).
De nouvelles baisses des salaires ne sauraient venir en aide aux entreprises axées sur l’exportation, qui se trouvent dans une situation de crédit critique. De même, de nouvelles réductions des retraites ne sauraient s’attaquer aux véritables sources de difficulté du système en la matière (emploi en berne et important volume de travail non déclaré). De telles mesures ne pourraient qu’endommager encore davantage un tissu social grec d’ores et déjà éprouvé, le rendant incapable de conférer le soutien dont notre programme de réformes a si désespérément besoin.
Les désaccords qui nous opposent actuellement à nos partenaires ne sont pas irréconciliables. Notre gouvernement est déterminé à rationaliser le système des retraites (par exemple en rehaussant l’âge de la retraite anticipée), à procéder à la privatisation partielle d’un certain nombre d’actifs publics, à résoudre le problème de ces prêts en défaut qui obstruent les circuits de crédit de notre économie, à créer une commission budgétaire pleinement indépendante, ainsi qu’à dynamiser l’entreprenariat. Les véritables divergences qui demeurent concernent la manière dont nous abordons la relation entre les différentes réformes et l’environnement macroéconomique.
Rien de tout cela ne signifie que le bien commun ne saurait être atteint immédiatement. Le gouvernement grec aspire à un projet de consolidation budgétaire qui tienne la route, ainsi qu’à des réformes que toutes les parties prenantes considèrent importantes. Notre tâche consiste à convaincre nos partenaires du caractère non pas tactique mais stratégique de nos démarches, et à leur expliquer combien notre logique est saine. De leur côté, la tâche consiste à renoncer enfin à une approche dont il faut reconnaître qu’elle a échoué.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Yanis Varoufakis est ministre des Finances de la Grèce.
À l’écart de ce consensus, l’entente sur un nouveau modèle de développement pour la Grèce exige que soient surmontés deux obstacles majeurs. Tout d’abord, il nous faut nous entendre sur la manière d’approcher la consolidation budgétaire de la Grèce. Deuxièmement, nous avons besoin d’un programme de réformes complet et mutuellement convenu, permettant de sous-tendre cette consolidation, et d’inspirer confiance à la société grecque.
S’agissant tout d’abord de la consolidation budgétaire, la problématique concerne précisément la méthode. Les institutions de la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) ont au fil des années recouru à une démarche de rétroinduction : elles fixent une date (par exemple l’année 2020) ainsi qu’un objectif de ratio dette nominal-revenu national (disons 120 %), qui doit être atteint avant que les marchés monétaires ne soient jugés prêts à prêter à la Grèce selon des taux raisonnables. Puis, selon des hypothèses arbitraires relatives aux taux de croissance, à l’inflation, aux recettes de privatisation etc., elles calculent ce que doivent être les excédents primaires chaque année, fonctionnant ainsi en marche arrière par rapport au présent.
Le résultat de cette méthode, c’est ce que pense notre gouvernement, n’est autre que le « piège de l’austérité ». Lorsque la consolidation budgétaire évolue autour d’un ratio de dette prédéterminé, qu’il s’agit d’atteindre à une date future elle aussi prédéterminée, les excédents primaires nécessaires pour atteindre ces cibles sont tels que l’effet engendré sur le secteur privé met à mal les taux de croissance estimés, et fait ainsi dérailler le projet budgétaire prévu. C’est en effet précisément la raison pour laquelle les plans de consolidation budgétaire antérieurs de la Grèce ont échoué de manière aussi spectaculaire à atteindre leur cible.
Notre gouvernement considère nécessaire que cette démarche de rétroinduction soit abandonnée, et remplacée par la planification d’un projet axé sur l’avenir, basé sur des hypothèses d’excédents primaires raisonnables et en cohérence avec les taux de croissance de la production, l’investissement net, ainsi que l’expansion des exportations susceptible de stabiliser l’économie et le ratio de dette de la Grèce. Si cela doit signifier un ratio dette-PIB supérieur à 120 % en 2020, nous trouverons les moyens judicieux de rationnaliser, de redessiner, ou de restructurer la dette – en gardant à l’esprit l’objectif de maximisation de la valeur actualisée effective qui sera restituée aux créanciers de la Grèce.
Outre la nécessité de convaincre la troïka de l’analyse de durabilité qui est la nôtre face à la dette, et qui consiste à esquiver le piège de l’austérité, il nous faut éviter un second obstacle : le « piège de la réforme ». Le précédent programme de réformes, que nos partenaires nous invitent avec tant de certitude à ne pas « replier », était fondé sur une dévaluation interne, une réduction des salaires et des retraites, une perte de la protection du travail, ainsi qu’une privatisation consistant à maximiser les prix des actifs publics.
Selon nos partenaires, il s’agirait de laisser du temps au temps, afin qu’un tel programme puisse fonctionner. En cas de baisse supplémentaire des salaires, il faudrait s’attendre à ce que l’emploi augmente. En remède à l’agonie du système des retraites, il s’agirait précisément de réduire les prestations. Enfin, il serait nécessaire que les privatisations visent des prix de vente plus élevés, afin de rembourser une dette dont beaucoup conviennent (en privé) qu’elle est absolument intenable.
Par opposition, notre gouvernement estime que ce programme a échoué, et alimenté une méfiance de la population vis-à-vis des réformes. Illustration parfaite de cet échec, malgré la baisse considérable des salaires et des prix, la croissance des exportations continue de stagner (l’élimination du déficit de la balance courante s’expliquant exclusivement par l’effondrement des importations).
De nouvelles baisses des salaires ne sauraient venir en aide aux entreprises axées sur l’exportation, qui se trouvent dans une situation de crédit critique. De même, de nouvelles réductions des retraites ne sauraient s’attaquer aux véritables sources de difficulté du système en la matière (emploi en berne et important volume de travail non déclaré). De telles mesures ne pourraient qu’endommager encore davantage un tissu social grec d’ores et déjà éprouvé, le rendant incapable de conférer le soutien dont notre programme de réformes a si désespérément besoin.
Les désaccords qui nous opposent actuellement à nos partenaires ne sont pas irréconciliables. Notre gouvernement est déterminé à rationaliser le système des retraites (par exemple en rehaussant l’âge de la retraite anticipée), à procéder à la privatisation partielle d’un certain nombre d’actifs publics, à résoudre le problème de ces prêts en défaut qui obstruent les circuits de crédit de notre économie, à créer une commission budgétaire pleinement indépendante, ainsi qu’à dynamiser l’entreprenariat. Les véritables divergences qui demeurent concernent la manière dont nous abordons la relation entre les différentes réformes et l’environnement macroéconomique.
Rien de tout cela ne signifie que le bien commun ne saurait être atteint immédiatement. Le gouvernement grec aspire à un projet de consolidation budgétaire qui tienne la route, ainsi qu’à des réformes que toutes les parties prenantes considèrent importantes. Notre tâche consiste à convaincre nos partenaires du caractère non pas tactique mais stratégique de nos démarches, et à leur expliquer combien notre logique est saine. De leur côté, la tâche consiste à renoncer enfin à une approche dont il faut reconnaître qu’elle a échoué.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Yanis Varoufakis est ministre des Finances de la Grèce.