Glenn Hubbard, ancien président du Comité des conseillers économiques du président George W. Bush, est Doyen de la Columbia Business School
Le désir de changement dont fait preuve l’électorat, ainsi que sa crainte de voir perdurer la lenteur de la croissance – aspects à l’origine de la victoire des Républicains lors des élections du Congrès qui ont eu lieu cette semaine à mi-mandat – sont voués à provoquer le débat autour de nouvelles options politiques susceptibles de promouvoir la croissance, l’emploi, et les revenus. Bien entendu, l’expérience de l’Amérique face aux épisodes de division de son gouvernement a tendance à engendrer le pessimisme quant à la capacité des deux camps à aboutir à des compromis ; pour autant, comme l’a récemment démontré le Mexique lorsque ses trois principaux partis se sont entendus sur un « Pacte pour le Mexique » axé sur le marché, il arrive que des partis politiques pourtant fermement opposés parviennent à surmonter leurs désaccords afin de promouvoir des réformes nécessaires.
La liste est longue lorsqu’il s’agit d’évoquer les mesures politiques potentiellement bénéfiques pour les États-Unis – libéralisation du commerce, réforme réglementaire complète, ou encore réformes sur l’immigration et l’éducation, pour n’en citer que quelques-unes. Mais seulement deux politiques se révèlent particulièrement prometteuses s’agissant de ce que l’on pourrait appeler un « Pacte pour l’Amérique » : dépenses fédérales en infrastructures d’une part, et réforme de la taxation des entreprises d’autre part. La mise en œuvre de ces réformes bénéficierait en effet à chacun des deux camps.
Un tel consensus bipartisan exigerait néanmoins que soit retirées les œillères idéologiques de la gauche comme de la droite, au moins provisoirement. L’accent que place la gauche sur la relance keynésienne reflète une mauvaise compréhension à la fois de la disponibilité des mesures (projets prêts à démarrer) et du caractère souhaitable de ces mesures (la question consistant à savoir si elles modifieront significativement les perspectives des ménages et des entreprises). En effet, afin d’inverser l’état d’esprit forgé au cours des dernières années de crise financière, les mesures de dépense devront davantage s’inscrire dans la durée, si elles entendent susciter des attentes de croissance future, et par conséquent stimuler l’investissement et l’embauche à l’heure actuelle.
De son côté, il incombe à la droite de se pencher sur le problème de son obsession pour les réductions temporaires d’impôts pour les ménages ou les entreprises. Dans l’immense majorité des cas, l’impact de ces baisses sur la demande globale se révèle modeste, ces réductions étant par ailleurs peu appropriées à la réorientation des attentes en direction de la reprise et de la croissance en période de lenteur économique liée à la crise financière.
L’aspect politique vient compliquer davantage la situation, dans la mesure où les préoccupations exclusivement à court terme, autour de l’impact budgétaire des dépenses et des revenus, viennent se heurter à la nécessité de politiques dont les bienfaits s’accumulent au fil du temps. Bien que les conséquences positives de ces dernières n’apparaissent pas appuyer la « relance, » leurs effets cumulés favorisent davantage l’objectif consistant à susciter les espoirs d’une demande et d’une croissance futures.
Le fait est que les préoccupations des personnes sensées, qu’elles soient de droite ou de gauche, ne sont en fin de compte pas si différentes. La croissance économique s’accélérera-t-elle suffisamment pour booster l’emploi et la croissance des revenus ? Comment faire disparaître ces obstacles qui privent tant d’Américains d’une reprise et d’une prospérité future ?
S’il est nécessaire d’inscrire les dépenses fédérales en infrastructures et la réforme de la taxation des entreprises au plus haut de la liste des politiques susceptibles de générer un consensus bipartisan, c’est parce que ces mesures constituent la promesse de gains de productivité, de revenus et d’emploi à long terme, tout en appuyant la croissance à court terme. À titre d’exemple, un engagement autour d’un programme de dépenses fédérales en infrastructures sur plusieurs années permettrait d’accroître la demande, l’investissement privé et l’emploi, même si certains projets ne sont pas immédiatement disponibles. Un tel programme, que l’on aurait tendance à considérer d’inspiration démocrate, doit par ailleurs pouvoir être élaboré de manière à garantir un soutien des Républicains eux-mêmes.
Dans cette perspective, il est nécessaire qu’un tel programme d’infrastructure confère aux États et aux localités un rôle clé dans le choix des projets à financer, et que ces entités gouvernementales y engagent « leur propre peau » en finançant une partie des coûts. Il s’agirait également pour les responsables politiques de se pencher sérieusement sur l’éventualité de réformes réglementaires susceptibles de réduire le coût des nouveaux projets, et de faciliter leur achèvement dans les délais convenus.
S’il s’oriente sur cette voie, un tel programme d’infrastructure devrait pouvoir susciter l’appui des conservateurs – contrairement à un fourre-tout de projets immédiats et politiquement opportuns. Et à condition d’être correctement mis en œuvre, ces projets d’infrastructure financés au niveau fédéral devraient bénéficier significativement aux Américains les moins fortunés. Une meilleure infrastructure des transports, par exemple, favoriserait non seulement la création d’emplois, mais réduirait également les coûts associés aux trajets en direction du lieu de travail.
L’idée d’une réforme de la taxation des entreprises aurait également de grandes chances de réunir un consentement bipartisan, et cela d’autant plus qu’Obama et les leaders parlementaires des deux camps ont fait part de leur intérêt à cet égard. Bien que les avantages conférés par une réforme fiscale radicale – par exemple remplacement du système fiscal actuel par une taxe à plus large assiette sur la consommation – soient potentiellement considérables, de l’ordre de 0,5 à 1 point de pourcentage annuel de croissance économique sur dix ans, une réforme de la fiscalité des entreprises permettrait elle aussi de dynamiser cette croissance.
Une réduction substantielle du taux d’imposition des entreprises, accompagnée d’une suppression des privilèges fiscaux liés au type d’entreprise, et d’un élargissement de l’assiette de l’impôt sur les entreprises, permettrait d’accroitre à la fois l’investissement et les salaires des travailleurs. Le fait d’autoriser les sociétés multinationales à rapatrier des profits réalisés à l’étranger, sans avoir à payer de taxe supplémentaire aux États-Unis, favoriserait également l’investissement et la création d’emplois sur le territoire national.
Dans la mesure où plusieurs études récentes démontrent que le plus gros du fardeau de la taxation des entreprises est supporté par les employés, qui se voient verser de plus faibles salaires, il s’agirait pour les Démocrates de considérer la réforme fiscale comme un moyen de favoriser la croissance des revenus. Il serait par ailleurs possible d’accompagner une telle réforme d’un soutien accru en faveur des Américains percevant de faibles revenus, en rehaussant le crédit d’impôt sur les revenus d’activité (EITC) en faveur des travailleurs célibataires.
Compte tenu des politiques auxquelles ils aspirent respectivement, il s’agirait pour les conservateurs de soutenir un programme fédéral d’infrastructure correctement élaboré, et pour les libéraux d’appuyer une réforme de la taxation des entreprises. Un certain nombre de changements dans le processus politique permettraient toutefois de faire davantage avancer les choses. Dans la mesure où les résultats positifs des dépenses en infrastructures et réformes fiscales ne s’inscrivent pas clairement dans la fenêtre budgétaire de cinq ou dix ans utilisée par les observateurs budgétaires de l’Amérique, l’élaboration d’un mécanisme de mesure plus complète des bienfaits de telles démarches s’avère indispensable à l’obtention d’un appui politique.
Par ailleurs, il s’agirait de compenser dans d’autres domaines tout accroissement des dépenses en infrastructures, ou toute perte de recettes liée à une réforme fiscale. À titre d’exemple, l’accroissement futur prévu s’agissant des prestations de sécurité sociale, ou des déductions fiscales relatives aux intérêts des prêts immobiliers, pourrait être revu à la baisse pour les individus les plus aisés, de la même manière qu’a procédé le Royaume-Uni à partir du gouvernement Thatcher, en réajustant les déductions fiscales sur les intérêts des prêts, ainsi qu’en mettant en place un mécanisme progressif d’indexation, qu’ont également proposé les conservateurs aux États-Unis.
De toute évidence, l’économie constitue la première préoccupation des Américains. Il incombe aux dirigeants du pays d’y répondre en élaborant une feuille de route axée pour l’heure sur le renouveau de la croissance, et à l’avenir sur sa pérennité. Un tel accomplissement ne sera toutefois possible qu’à condition que suffisamment de parlementaires des deux camps, et que le président lui-même, se libèrent de leurs œillères intellectuelles et politiques afin de s’entendre sur les compromis à long terme nécessaires à la création d’emplois et à l’accroissement des revenus. L’heure est venue d’élaborer un pacte pour l’Amérique.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Glenn Hubbard, ancien président du Comité des conseillers économiques du président George W. Bush, est Doyen de la Columbia Business School.
La liste est longue lorsqu’il s’agit d’évoquer les mesures politiques potentiellement bénéfiques pour les États-Unis – libéralisation du commerce, réforme réglementaire complète, ou encore réformes sur l’immigration et l’éducation, pour n’en citer que quelques-unes. Mais seulement deux politiques se révèlent particulièrement prometteuses s’agissant de ce que l’on pourrait appeler un « Pacte pour l’Amérique » : dépenses fédérales en infrastructures d’une part, et réforme de la taxation des entreprises d’autre part. La mise en œuvre de ces réformes bénéficierait en effet à chacun des deux camps.
Un tel consensus bipartisan exigerait néanmoins que soit retirées les œillères idéologiques de la gauche comme de la droite, au moins provisoirement. L’accent que place la gauche sur la relance keynésienne reflète une mauvaise compréhension à la fois de la disponibilité des mesures (projets prêts à démarrer) et du caractère souhaitable de ces mesures (la question consistant à savoir si elles modifieront significativement les perspectives des ménages et des entreprises). En effet, afin d’inverser l’état d’esprit forgé au cours des dernières années de crise financière, les mesures de dépense devront davantage s’inscrire dans la durée, si elles entendent susciter des attentes de croissance future, et par conséquent stimuler l’investissement et l’embauche à l’heure actuelle.
De son côté, il incombe à la droite de se pencher sur le problème de son obsession pour les réductions temporaires d’impôts pour les ménages ou les entreprises. Dans l’immense majorité des cas, l’impact de ces baisses sur la demande globale se révèle modeste, ces réductions étant par ailleurs peu appropriées à la réorientation des attentes en direction de la reprise et de la croissance en période de lenteur économique liée à la crise financière.
L’aspect politique vient compliquer davantage la situation, dans la mesure où les préoccupations exclusivement à court terme, autour de l’impact budgétaire des dépenses et des revenus, viennent se heurter à la nécessité de politiques dont les bienfaits s’accumulent au fil du temps. Bien que les conséquences positives de ces dernières n’apparaissent pas appuyer la « relance, » leurs effets cumulés favorisent davantage l’objectif consistant à susciter les espoirs d’une demande et d’une croissance futures.
Le fait est que les préoccupations des personnes sensées, qu’elles soient de droite ou de gauche, ne sont en fin de compte pas si différentes. La croissance économique s’accélérera-t-elle suffisamment pour booster l’emploi et la croissance des revenus ? Comment faire disparaître ces obstacles qui privent tant d’Américains d’une reprise et d’une prospérité future ?
S’il est nécessaire d’inscrire les dépenses fédérales en infrastructures et la réforme de la taxation des entreprises au plus haut de la liste des politiques susceptibles de générer un consensus bipartisan, c’est parce que ces mesures constituent la promesse de gains de productivité, de revenus et d’emploi à long terme, tout en appuyant la croissance à court terme. À titre d’exemple, un engagement autour d’un programme de dépenses fédérales en infrastructures sur plusieurs années permettrait d’accroître la demande, l’investissement privé et l’emploi, même si certains projets ne sont pas immédiatement disponibles. Un tel programme, que l’on aurait tendance à considérer d’inspiration démocrate, doit par ailleurs pouvoir être élaboré de manière à garantir un soutien des Républicains eux-mêmes.
Dans cette perspective, il est nécessaire qu’un tel programme d’infrastructure confère aux États et aux localités un rôle clé dans le choix des projets à financer, et que ces entités gouvernementales y engagent « leur propre peau » en finançant une partie des coûts. Il s’agirait également pour les responsables politiques de se pencher sérieusement sur l’éventualité de réformes réglementaires susceptibles de réduire le coût des nouveaux projets, et de faciliter leur achèvement dans les délais convenus.
S’il s’oriente sur cette voie, un tel programme d’infrastructure devrait pouvoir susciter l’appui des conservateurs – contrairement à un fourre-tout de projets immédiats et politiquement opportuns. Et à condition d’être correctement mis en œuvre, ces projets d’infrastructure financés au niveau fédéral devraient bénéficier significativement aux Américains les moins fortunés. Une meilleure infrastructure des transports, par exemple, favoriserait non seulement la création d’emplois, mais réduirait également les coûts associés aux trajets en direction du lieu de travail.
L’idée d’une réforme de la taxation des entreprises aurait également de grandes chances de réunir un consentement bipartisan, et cela d’autant plus qu’Obama et les leaders parlementaires des deux camps ont fait part de leur intérêt à cet égard. Bien que les avantages conférés par une réforme fiscale radicale – par exemple remplacement du système fiscal actuel par une taxe à plus large assiette sur la consommation – soient potentiellement considérables, de l’ordre de 0,5 à 1 point de pourcentage annuel de croissance économique sur dix ans, une réforme de la fiscalité des entreprises permettrait elle aussi de dynamiser cette croissance.
Une réduction substantielle du taux d’imposition des entreprises, accompagnée d’une suppression des privilèges fiscaux liés au type d’entreprise, et d’un élargissement de l’assiette de l’impôt sur les entreprises, permettrait d’accroitre à la fois l’investissement et les salaires des travailleurs. Le fait d’autoriser les sociétés multinationales à rapatrier des profits réalisés à l’étranger, sans avoir à payer de taxe supplémentaire aux États-Unis, favoriserait également l’investissement et la création d’emplois sur le territoire national.
Dans la mesure où plusieurs études récentes démontrent que le plus gros du fardeau de la taxation des entreprises est supporté par les employés, qui se voient verser de plus faibles salaires, il s’agirait pour les Démocrates de considérer la réforme fiscale comme un moyen de favoriser la croissance des revenus. Il serait par ailleurs possible d’accompagner une telle réforme d’un soutien accru en faveur des Américains percevant de faibles revenus, en rehaussant le crédit d’impôt sur les revenus d’activité (EITC) en faveur des travailleurs célibataires.
Compte tenu des politiques auxquelles ils aspirent respectivement, il s’agirait pour les conservateurs de soutenir un programme fédéral d’infrastructure correctement élaboré, et pour les libéraux d’appuyer une réforme de la taxation des entreprises. Un certain nombre de changements dans le processus politique permettraient toutefois de faire davantage avancer les choses. Dans la mesure où les résultats positifs des dépenses en infrastructures et réformes fiscales ne s’inscrivent pas clairement dans la fenêtre budgétaire de cinq ou dix ans utilisée par les observateurs budgétaires de l’Amérique, l’élaboration d’un mécanisme de mesure plus complète des bienfaits de telles démarches s’avère indispensable à l’obtention d’un appui politique.
Par ailleurs, il s’agirait de compenser dans d’autres domaines tout accroissement des dépenses en infrastructures, ou toute perte de recettes liée à une réforme fiscale. À titre d’exemple, l’accroissement futur prévu s’agissant des prestations de sécurité sociale, ou des déductions fiscales relatives aux intérêts des prêts immobiliers, pourrait être revu à la baisse pour les individus les plus aisés, de la même manière qu’a procédé le Royaume-Uni à partir du gouvernement Thatcher, en réajustant les déductions fiscales sur les intérêts des prêts, ainsi qu’en mettant en place un mécanisme progressif d’indexation, qu’ont également proposé les conservateurs aux États-Unis.
De toute évidence, l’économie constitue la première préoccupation des Américains. Il incombe aux dirigeants du pays d’y répondre en élaborant une feuille de route axée pour l’heure sur le renouveau de la croissance, et à l’avenir sur sa pérennité. Un tel accomplissement ne sera toutefois possible qu’à condition que suffisamment de parlementaires des deux camps, et que le président lui-même, se libèrent de leurs œillères intellectuelles et politiques afin de s’entendre sur les compromis à long terme nécessaires à la création d’emplois et à l’accroissement des revenus. L’heure est venue d’élaborer un pacte pour l’Amérique.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Glenn Hubbard, ancien président du Comité des conseillers économiques du président George W. Bush, est Doyen de la Columbia Business School.