Un redressement durable nécessite des réformes synergiques pour libérer le potentiel considérable du pays en supprimant les goulets d'étranglement dans plusieurs domaines : l'investissement productif, la fourniture de crédit, l'innovation, la concurrence, la sécurité sociale, l'administration publique, le système judiciaire, le marché du travail, la production culturelle et, enfin et surtout, la gouvernance démocratique.
Sept années de déflation de la dette, renforcée par l'attente d’une austérité éternelle, ont décimé l'investissement privé et public et forcé les banques anxieuses et fragiles à cesser de prêter. Etant donné le manque de marge de manœuvre budgétaire du gouvernement et le poids des prêts non performants des banques grecques, il est primordial de mobiliser les actifs restants de l'État et de débloquer la circulation du crédit bancaire vers les parties saines du secteur privé.
Afin de restaurer l'investissement et le crédit à des niveaux permettant une vitesse de libération économique, la Grèce en redressement nécessitera deux nouvelles institutions publiques travaillant côte à côte avec le secteur privé et les institutions européennes : une banque de développement qui exploite les actifs publics et une « bad bank » qui permette au système bancaire d’évacuer ses actifs non performants et de rétablir le flux du crédit vers les entreprises rentables et orientées vers l'exportation.
Imaginez une banque de développement mobilisant des garanties qui comprennent les capitaux propres encore détenus par l'État suite aux privatisations et d’autres actifs (par exemple, immobiliers) dont la valeur pourrait être augmentée facilement (et qui pourraient facilement servir de garantie) grâce à une réforme de leurs droits de propriété. Imaginez qu'il relie la Banque européenne d'investissement et le plan d'investissement de 315 milliards d’euros (350 milliards de dollars) du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avec le secteur privé de la Grèce. Au lieu d'être considérée comme une braderie destinée à remplir les trous budgétaires, la privatisation ferait partie d'un grand partenariat public-privé pour le développement.
Imaginez en outre que la « bad bank » aide le secteur financier, qui fut recapitalisé généreusement par les contribuables grecs sous pression au cœur de la crise, à se débarrasser de leur héritage de prêts non performants et à débloquer leur plomberie financière. De concert avec les impacts positifs de la banque de développement, le crédit et les investissements inonderaient les domaines de l'économie grecque jusque-là à sec, permettant au final à la bad bank à faire des profits et à devenir « good ».
Enfin, imaginez l'effet de tout cela sur l’écosystème financier, fiscal et de sécurité sociale de la Grèce : grâce à la flambée des actions des banques, les pertes que notre état a subies en les recapitalisant seraient annulées suite à l’appréciation de ses participations. Pendant ce temps, les dividendes de la banque de développement seraient acheminés vers les fonds de pension qui souffrent depuis longtemps, qui ont été brutalement décapitalisés en 2012 (en raison des pertes enregistrées sur leurs avoirs en obligations d'État grecques).
Dans ce scénario, la tâche du renforcement de la sécurité sociale serait complétée par l'unification des fonds de pension; l'afflux des contributions suite à la reprise de l'emploi; et le retour à l'emploi formel des travailleurs poussés dans l'informalité par la déréglementation brutale du marché du travail durant les années sombres du passé récent.
On peut facilement imaginer une forte reprise en Grèce à la suite de cette stratégie. Dans un monde de rendements ultra-faibles, la Grèce serait considérée comme une magnifique occasion, engendrant un flux régulier d’investissement direct étranger. Mais en quoi ceci serait-il différent des entrées de capitaux d’avant 2008 qui ont alimenté une croissance financée par la dette ? Un nouveau système de Ponzi macroéconomique pourrait-il être vraiment évité ?
Pendant l'ère de la croissance de style Ponzi, les flux de capitaux ont été canalisés par les banques commerciales vers une consommation frénétique et par l'État vers une orgie d’offres de marché suspectes et une extrême prodigalité. Afin de s’assurer que cette fois soit différente, la Grèce devra réformer son économie sociale et son système politique. La création de nouvelles bulles n’est pas l'idée de développement de notre gouvernement.
Cette fois, au contraire, la nouvelle banque de développement prendrait les devants pour canaliser les ressources domestiques rares vers des investissements productifs sélectionnés. Ceux-ci comprennent les startups, les entreprises de TI qui utilisent les talents locaux, les entreprises bio-agro de petite et moyenne taille, les sociétés pharmaceutiques axées sur l'exportation, les efforts pour attirer l'industrie cinématographique internationale vers la Grèce, des programmes éducatifs qui profitent de la production intellectuelle grecque et des sites historiques sans pareil.
Dans l'intervalle, les autorités réglementaires de la Grèce garderaient un œil vigilant sur les pratiques de prêts commerciaux, tandis qu'un frein à l'endettement empêcherait notre gouvernement de se livrer à de vieilles et mauvaises habitudes, de sorte à ce que notre état ne glisse plus jamais dans déficits primaires. Les cartels, les pratiques de facturation anticoncurrentielles, les professions règlementées sans raison et une bureaucratie qui a traditionnellement transformé l'état en un danger public découvriraient bientôt que notre gouvernement est leur pire ennemi.
Les obstacles à la croissance dans le passé étaient constitués de l’alliance impie entre certains intérêts oligarchiques et les partis politiques, les offres de marché scandaleuse, le clientélisme, les médias cassés en permanence, les banques trop accommodantes, les autorités fiscales faibles, et le système judiciaire archaïque et timide. Seule la lumière de la transparence démocratique peut éliminer ces obstacles ; notre gouvernement est déterminé à lui permettre d’illuminer l’économie grecque.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Yanis Varoufakis est le ministre des Finances de la Grèce.
Sept années de déflation de la dette, renforcée par l'attente d’une austérité éternelle, ont décimé l'investissement privé et public et forcé les banques anxieuses et fragiles à cesser de prêter. Etant donné le manque de marge de manœuvre budgétaire du gouvernement et le poids des prêts non performants des banques grecques, il est primordial de mobiliser les actifs restants de l'État et de débloquer la circulation du crédit bancaire vers les parties saines du secteur privé.
Afin de restaurer l'investissement et le crédit à des niveaux permettant une vitesse de libération économique, la Grèce en redressement nécessitera deux nouvelles institutions publiques travaillant côte à côte avec le secteur privé et les institutions européennes : une banque de développement qui exploite les actifs publics et une « bad bank » qui permette au système bancaire d’évacuer ses actifs non performants et de rétablir le flux du crédit vers les entreprises rentables et orientées vers l'exportation.
Imaginez une banque de développement mobilisant des garanties qui comprennent les capitaux propres encore détenus par l'État suite aux privatisations et d’autres actifs (par exemple, immobiliers) dont la valeur pourrait être augmentée facilement (et qui pourraient facilement servir de garantie) grâce à une réforme de leurs droits de propriété. Imaginez qu'il relie la Banque européenne d'investissement et le plan d'investissement de 315 milliards d’euros (350 milliards de dollars) du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avec le secteur privé de la Grèce. Au lieu d'être considérée comme une braderie destinée à remplir les trous budgétaires, la privatisation ferait partie d'un grand partenariat public-privé pour le développement.
Imaginez en outre que la « bad bank » aide le secteur financier, qui fut recapitalisé généreusement par les contribuables grecs sous pression au cœur de la crise, à se débarrasser de leur héritage de prêts non performants et à débloquer leur plomberie financière. De concert avec les impacts positifs de la banque de développement, le crédit et les investissements inonderaient les domaines de l'économie grecque jusque-là à sec, permettant au final à la bad bank à faire des profits et à devenir « good ».
Enfin, imaginez l'effet de tout cela sur l’écosystème financier, fiscal et de sécurité sociale de la Grèce : grâce à la flambée des actions des banques, les pertes que notre état a subies en les recapitalisant seraient annulées suite à l’appréciation de ses participations. Pendant ce temps, les dividendes de la banque de développement seraient acheminés vers les fonds de pension qui souffrent depuis longtemps, qui ont été brutalement décapitalisés en 2012 (en raison des pertes enregistrées sur leurs avoirs en obligations d'État grecques).
Dans ce scénario, la tâche du renforcement de la sécurité sociale serait complétée par l'unification des fonds de pension; l'afflux des contributions suite à la reprise de l'emploi; et le retour à l'emploi formel des travailleurs poussés dans l'informalité par la déréglementation brutale du marché du travail durant les années sombres du passé récent.
On peut facilement imaginer une forte reprise en Grèce à la suite de cette stratégie. Dans un monde de rendements ultra-faibles, la Grèce serait considérée comme une magnifique occasion, engendrant un flux régulier d’investissement direct étranger. Mais en quoi ceci serait-il différent des entrées de capitaux d’avant 2008 qui ont alimenté une croissance financée par la dette ? Un nouveau système de Ponzi macroéconomique pourrait-il être vraiment évité ?
Pendant l'ère de la croissance de style Ponzi, les flux de capitaux ont été canalisés par les banques commerciales vers une consommation frénétique et par l'État vers une orgie d’offres de marché suspectes et une extrême prodigalité. Afin de s’assurer que cette fois soit différente, la Grèce devra réformer son économie sociale et son système politique. La création de nouvelles bulles n’est pas l'idée de développement de notre gouvernement.
Cette fois, au contraire, la nouvelle banque de développement prendrait les devants pour canaliser les ressources domestiques rares vers des investissements productifs sélectionnés. Ceux-ci comprennent les startups, les entreprises de TI qui utilisent les talents locaux, les entreprises bio-agro de petite et moyenne taille, les sociétés pharmaceutiques axées sur l'exportation, les efforts pour attirer l'industrie cinématographique internationale vers la Grèce, des programmes éducatifs qui profitent de la production intellectuelle grecque et des sites historiques sans pareil.
Dans l'intervalle, les autorités réglementaires de la Grèce garderaient un œil vigilant sur les pratiques de prêts commerciaux, tandis qu'un frein à l'endettement empêcherait notre gouvernement de se livrer à de vieilles et mauvaises habitudes, de sorte à ce que notre état ne glisse plus jamais dans déficits primaires. Les cartels, les pratiques de facturation anticoncurrentielles, les professions règlementées sans raison et une bureaucratie qui a traditionnellement transformé l'état en un danger public découvriraient bientôt que notre gouvernement est leur pire ennemi.
Les obstacles à la croissance dans le passé étaient constitués de l’alliance impie entre certains intérêts oligarchiques et les partis politiques, les offres de marché scandaleuse, le clientélisme, les médias cassés en permanence, les banques trop accommodantes, les autorités fiscales faibles, et le système judiciaire archaïque et timide. Seule la lumière de la transparence démocratique peut éliminer ces obstacles ; notre gouvernement est déterminé à lui permettre d’illuminer l’économie grecque.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Yanis Varoufakis est le ministre des Finances de la Grèce.