Pour de nombreux jeunes et femmes au foyer peu ou pas formés, ce secteur représente un pis-aller qui leur permet de créer des biens et services marchands à très faibles valeurs ajoutées. C’est le cas des marchands ambulants, cireurs de chaussures etc. Cette catégorie de travailleurs cohabite avec des artisans souvent héritiers d’une longue tradition familiale (bijoutiers, tailleurs etc.) et de nombreux autres acteurs (transporteurs, commerçants etc.) dont le revenu mensuel bien qu’irrégulier dépasse le salaire moyen du secteur structuré dans un pays comme le Sénégal.
Cette hétérogénéité et la vulnérabilité du secteur informel influent négativement sur la santé de ses acteurs et celle de leurs proches. Nombreux sont ceux qui ne peuvent ou ne veulent sacrifier une part de leurs revenus pour financer des prestations d’assurance maladie.
Au Sénégal comme partout en Afrique, ce difficile accès aux soins et à la prévention a souvent été atténué par l’entraide avec la forte solidarité qui caractérise traditionnellement les structures familiales. Toutefois, cette entraide trouve ses limites et se révèle de moins en moins efficace. L’accumulation des crises économiques, l’individualisme qui découle de la forte urbanisation sont autant de facteurs qui affectent le lien entre les différentes composantes de la cellule familiale.
En plus de la cherté de la consultation et des médicaments, le déficit des structures sanitaires rend l’accès aux soins et à la prévention très difficile pour la grande majorité des pays en développement. C’est le cas du Sénégal qui a une ferme volonté à tendre vers l’émergence alors que la couverture médicale concerne une toute petite minorité de sa population. En dépit de la baisse de l’extrême pauvreté qui est passé de 12,2 à 6,8%, le pays est encore confronté à une pauvreté très élevée avec un taux de 37,8%. Plus de six millions de sénégalais sont considérées comme pauvres. La dépense moyenne est de 1390 francs/personne/jour en 2021 et environ 38% de la population sénégalaise vit avec 913 francs CFA/personne/jour (soit le seuil de pauvreté calculé en 2019) (ANDS, 2021).
Mais peut-on imaginer un développement économique du Sénégal et du continent africain sans une politique ambitieuse pour le secteur informel ? Peut-on profiter des ressources humaines qui composent l’économie informelle sans permettre à une partie significative de ses acteurs d’accéder aux structures de soins et à la prévention ?
Dans un pays comme le Sénégal où 9 travailleurs sur 10 évoluent dans le secteur informel, il serait difficile d’imaginer doper les rendements du secteur informel s’ils sont obligés de recourir à l’automédication ou/et à d’autres pratiques pour contourner les frais médicaux souvent inaccessibles.
Avec ses plus de 17 millions d’habitants, le taux de chômage du Sénégal a été estimé à 24,1% en 2021. Ce chômage touche davantage les femmes (35,8% contre 13% chez les hommes) et plus le monde rural (29,8% soit plus de 10 points de plus que qu’en zones urbaines) (ANSD, 2022). Ce taux de chômage serait largement plus élevé si on prenait en compte les travailleurs du secteur informel de subsistance confrontés au sous-emploi.
A court ou moyen terme, imaginer une couverture médicale pour tous les travailleurs de l’économie informelle de tous les pays du continent serait un vœu pieux. Cependant, certains pays comme le Sénégal peuvent et doivent aider à formaliser une bonne partie de cette économie informelle s’ils souhaitent définitivement quitter le cercle vicieux de la pauvreté et tendre vers l’émergence. Le pays peut entamer ce processus de formalisation à travers la couverture médicale par la catégorie de travailleurs encline à participer financièrement à ce dispositif. Les travailleurs de l’économie informelle de subsistance pourraient être concernés par une deuxième phase consacrée à une couverture médicale généralisée.
Cette couverture maladie pourrait être financée principalement par les contributions publiques, les cotisations des adhérents et grâce à quelques sacrifices de la part de la classe la plus aisée notamment, sous forme d’impôts et de taxes affectées. Ces principales ressources peuvent être :
Une très faible contribution des ressources issues de l’exploitation des hydrocarbures
La découverte du pétrole et du gaz est une opportunité considérable pour le Sénégal. Pour éviter la malédiction de ces hydrocarbures avec des guerres tribales ou une instabilité politique, il est important que la population profite des retombées de ces nouvelles ressources.
Selon les sources, les hydrocarbures augmenteraient le PIB de 1 à 3 points. Si le Sénégal décide d’affecter ne serait-ce que 1% des recettes des hydrocarbures au financement de cette couverture médicale, il pourra compter sur des ressources significatives pour contribuer à l’accès aux soins et à la prévention d’une grande partie de sa population et en même temps contribuer à la hausse de la productivité du facteur travail.
Une contribution forfaitaire faible pour bénéficier de la couverture médicale
La pérennité d’une couverture médicale requiert une participation de ses bénéficiaires. Cela permet de limiter les abus et de contribuer aux ressources matérielles et financières indispensables à la mise en place et au maintien d’un tel dispositif.
Une somme forfaitaire accessible pourrait être demandée chaque année à tous les acteurs couverts par le dispositif de couverture médicale et les bénéficiaires afférents.
Un impôt spécifique dédié à la couverture médicale
La solidarité des détenteurs de hauts revenus notamment peut jouer un rôle déterminant dans le financement de cette couverture médicale sociale. Le fait d’opter pour la participation des classes les plus aisées ne serait certainement pas sans conséquence. Toute taxe additionnelle est susceptible de générer un risque de fuite des capitaux ou peut freiner l’investissement privé. Néanmoins, le statu quo est aussi source de risques encore plus importants. Le fait qu’il n’y ait pas une politique étatique de redistribution des revenus créée une situation où l’opulence est en contact permanent avec la misère. Une participation de la population la plus nantie pourrait consolider la cohésion sociale, rendre accessible les services de santé pour des très nombreux travailleurs du secteur informel et éviter les crises sociales dévastatrices.
Les taxes affectées
Ne sachant pas par avance l’ampleur des dépenses vu le déficit d’informations précises portant sur l’économie informelle, deux principales taxes affectées au financement de la couverture maladie de ce secteur pourraient être réalistes : une taxe nutritionnelle et une TVA sociale portant sur les produits du tertiaire.
Nombreuses sont les études qui ont démontré la forte corrélation entre l’état de santé des individus, leur productivité et la croissance économique. De très nombreuses analyses théoriques et empiriques ont démontré la corrélation entre la bonne santé de la population et le développement économique d’un pays. Philippe AIGHION (2010) a mis en lumière le bien-fondé de cette théorie. Pour lui, une bonne santé entrainerait ainsi moins d’absentéisme au travail et également de meilleures capacités cognitives et d’absorption des nouveaux savoirs. Il a montré que les individus qui vivent plus longtemps ont tendance à investir davantage dans leur éducation. L’allongement de la vie se traduirait par une plus grande accumulation des connaissances et des compétences et par ricochet une meilleure croissance des ressources et des revenus.
Une couverture médicale pour le secteur informel n’est pas juste une question de justice sociale ni de source de stabilité politique. C’est surtout un préalable pour l’amélioration significative des performances économiques du pays. Le Sénégal pourra difficilement accéder au développement économique sans endiguer le problème d’accessibilité des soins et de la prévention. Avec son histoire et ses atouts, le pays peut y arriver. Le Sénégal est l’un des très rares pays si ce n’est le seul à ne jamais avoir connu de coup d’Etat militaire en Afrique. Cette stabilité politique cohabite avec un climat de sécurité très satisfaisant au moment où le terrorisme fait des ravages dans cette partie occidentale du continent. Il est temps de se donner les moyens de promouvoir la santé et de vaincre définitivement la privation et la précarité qui découlent de la pauvreté.
Farba NDOUR
Docteur en sciences économiques
Directeur général de la SA SCOP Crealead/Montpellier/France
Cette hétérogénéité et la vulnérabilité du secteur informel influent négativement sur la santé de ses acteurs et celle de leurs proches. Nombreux sont ceux qui ne peuvent ou ne veulent sacrifier une part de leurs revenus pour financer des prestations d’assurance maladie.
Au Sénégal comme partout en Afrique, ce difficile accès aux soins et à la prévention a souvent été atténué par l’entraide avec la forte solidarité qui caractérise traditionnellement les structures familiales. Toutefois, cette entraide trouve ses limites et se révèle de moins en moins efficace. L’accumulation des crises économiques, l’individualisme qui découle de la forte urbanisation sont autant de facteurs qui affectent le lien entre les différentes composantes de la cellule familiale.
En plus de la cherté de la consultation et des médicaments, le déficit des structures sanitaires rend l’accès aux soins et à la prévention très difficile pour la grande majorité des pays en développement. C’est le cas du Sénégal qui a une ferme volonté à tendre vers l’émergence alors que la couverture médicale concerne une toute petite minorité de sa population. En dépit de la baisse de l’extrême pauvreté qui est passé de 12,2 à 6,8%, le pays est encore confronté à une pauvreté très élevée avec un taux de 37,8%. Plus de six millions de sénégalais sont considérées comme pauvres. La dépense moyenne est de 1390 francs/personne/jour en 2021 et environ 38% de la population sénégalaise vit avec 913 francs CFA/personne/jour (soit le seuil de pauvreté calculé en 2019) (ANDS, 2021).
Mais peut-on imaginer un développement économique du Sénégal et du continent africain sans une politique ambitieuse pour le secteur informel ? Peut-on profiter des ressources humaines qui composent l’économie informelle sans permettre à une partie significative de ses acteurs d’accéder aux structures de soins et à la prévention ?
Dans un pays comme le Sénégal où 9 travailleurs sur 10 évoluent dans le secteur informel, il serait difficile d’imaginer doper les rendements du secteur informel s’ils sont obligés de recourir à l’automédication ou/et à d’autres pratiques pour contourner les frais médicaux souvent inaccessibles.
Une couverture maladie est graduellement possible pour le secteur informel
Avec ses plus de 17 millions d’habitants, le taux de chômage du Sénégal a été estimé à 24,1% en 2021. Ce chômage touche davantage les femmes (35,8% contre 13% chez les hommes) et plus le monde rural (29,8% soit plus de 10 points de plus que qu’en zones urbaines) (ANSD, 2022). Ce taux de chômage serait largement plus élevé si on prenait en compte les travailleurs du secteur informel de subsistance confrontés au sous-emploi.
A court ou moyen terme, imaginer une couverture médicale pour tous les travailleurs de l’économie informelle de tous les pays du continent serait un vœu pieux. Cependant, certains pays comme le Sénégal peuvent et doivent aider à formaliser une bonne partie de cette économie informelle s’ils souhaitent définitivement quitter le cercle vicieux de la pauvreté et tendre vers l’émergence. Le pays peut entamer ce processus de formalisation à travers la couverture médicale par la catégorie de travailleurs encline à participer financièrement à ce dispositif. Les travailleurs de l’économie informelle de subsistance pourraient être concernés par une deuxième phase consacrée à une couverture médicale généralisée.
Financement de l’assurance maladie et du dispositif d’accompagnement : des pistes de réflexion
Cette couverture maladie pourrait être financée principalement par les contributions publiques, les cotisations des adhérents et grâce à quelques sacrifices de la part de la classe la plus aisée notamment, sous forme d’impôts et de taxes affectées. Ces principales ressources peuvent être :
Une très faible contribution des ressources issues de l’exploitation des hydrocarbures
La découverte du pétrole et du gaz est une opportunité considérable pour le Sénégal. Pour éviter la malédiction de ces hydrocarbures avec des guerres tribales ou une instabilité politique, il est important que la population profite des retombées de ces nouvelles ressources.
Selon les sources, les hydrocarbures augmenteraient le PIB de 1 à 3 points. Si le Sénégal décide d’affecter ne serait-ce que 1% des recettes des hydrocarbures au financement de cette couverture médicale, il pourra compter sur des ressources significatives pour contribuer à l’accès aux soins et à la prévention d’une grande partie de sa population et en même temps contribuer à la hausse de la productivité du facteur travail.
Une contribution forfaitaire faible pour bénéficier de la couverture médicale
La pérennité d’une couverture médicale requiert une participation de ses bénéficiaires. Cela permet de limiter les abus et de contribuer aux ressources matérielles et financières indispensables à la mise en place et au maintien d’un tel dispositif.
Une somme forfaitaire accessible pourrait être demandée chaque année à tous les acteurs couverts par le dispositif de couverture médicale et les bénéficiaires afférents.
Un impôt spécifique dédié à la couverture médicale
La solidarité des détenteurs de hauts revenus notamment peut jouer un rôle déterminant dans le financement de cette couverture médicale sociale. Le fait d’opter pour la participation des classes les plus aisées ne serait certainement pas sans conséquence. Toute taxe additionnelle est susceptible de générer un risque de fuite des capitaux ou peut freiner l’investissement privé. Néanmoins, le statu quo est aussi source de risques encore plus importants. Le fait qu’il n’y ait pas une politique étatique de redistribution des revenus créée une situation où l’opulence est en contact permanent avec la misère. Une participation de la population la plus nantie pourrait consolider la cohésion sociale, rendre accessible les services de santé pour des très nombreux travailleurs du secteur informel et éviter les crises sociales dévastatrices.
Les taxes affectées
Ne sachant pas par avance l’ampleur des dépenses vu le déficit d’informations précises portant sur l’économie informelle, deux principales taxes affectées au financement de la couverture maladie de ce secteur pourraient être réalistes : une taxe nutritionnelle et une TVA sociale portant sur les produits du tertiaire.
- Une taxe sur certains produits protège la population et génère des recettes
- Une taxe supplémentaire de certains produits de luxe ne nuirait pas à leur consommation
Nombreuses sont les études qui ont démontré la forte corrélation entre l’état de santé des individus, leur productivité et la croissance économique. De très nombreuses analyses théoriques et empiriques ont démontré la corrélation entre la bonne santé de la population et le développement économique d’un pays. Philippe AIGHION (2010) a mis en lumière le bien-fondé de cette théorie. Pour lui, une bonne santé entrainerait ainsi moins d’absentéisme au travail et également de meilleures capacités cognitives et d’absorption des nouveaux savoirs. Il a montré que les individus qui vivent plus longtemps ont tendance à investir davantage dans leur éducation. L’allongement de la vie se traduirait par une plus grande accumulation des connaissances et des compétences et par ricochet une meilleure croissance des ressources et des revenus.
Une couverture médicale pour le secteur informel n’est pas juste une question de justice sociale ni de source de stabilité politique. C’est surtout un préalable pour l’amélioration significative des performances économiques du pays. Le Sénégal pourra difficilement accéder au développement économique sans endiguer le problème d’accessibilité des soins et de la prévention. Avec son histoire et ses atouts, le pays peut y arriver. Le Sénégal est l’un des très rares pays si ce n’est le seul à ne jamais avoir connu de coup d’Etat militaire en Afrique. Cette stabilité politique cohabite avec un climat de sécurité très satisfaisant au moment où le terrorisme fait des ravages dans cette partie occidentale du continent. Il est temps de se donner les moyens de promouvoir la santé et de vaincre définitivement la privation et la précarité qui découlent de la pauvreté.
Farba NDOUR
Docteur en sciences économiques
Directeur général de la SA SCOP Crealead/Montpellier/France