Tout cela est plutôt réjouissant, mais tout aussi étonnant. Les économies en développement qui parviennent à croître rapidement sur une base durable, sans compter sur les booms des ressources naturelles (comme la plupart de ces pays durant une décennie ou plus), y parviennent en général grâce à une industrialisation orientée vers les exportations. Mais parmi ces pays, rares sont ceux qui connaissent une forte industrialisation. La part du secteur industriel dans les pays de l'Afrique subsaharienne à faibles revenus est globalement stable, voire en baisse dans certains cas. Et en dépit d'un important battage autour de « Make in India », l'une des rengaines du Premier ministre Narendra Modi, le pays fournit peu d'indices d'une industrialisation rapide.
L'industrie est devenue un puissant facteur de progression du développement économique pour les pays à faibles revenus pour trois raisons. Premièrement, il a été relativement facile d'absorber la technologie étrangère et de générer des emplois à forte productivité. Deuxièmement, les emplois du secteur industriel n'exigent pas de nombreuses compétences : les agriculteurs pourraient être transformés en ouvriers dans les usines de production avec de faibles investissements dans une formation supplémentaire. Et troisièmement, la demande de l'industrialisation n'a pas été limitée par les faibles revenus nationaux : la production pourrait augmenter pratiquement sans limite, grâce aux exportations.
Mais les choses sont en train de changer. C'est est à présent un fait bien établi que l'industrialisation est devenue au cours des dernières décennies de plus en plus exigeante en main-d'œuvre qualifiée. Parallèlement à la mondialisation, cela a extrêmement compliqué la tâche des nouveaux arrivants qui ont voulu introduire l'industrialisation à grande échelle sur les marchés mondiaux et reproduire l'expérience des superstars asiatiques de l'industrialisation. Sauf pour une poignée d'exportateurs, les économies en développement ont connu une désindustrialisation prématurée. C'est un peu comme si l'on avait retiré l'escalier mécanique aux pays à la traîne.
Que devons-nous donc faire du récent boom dans certains des pays les plus pauvres du monde ? Ces pays ont-ils découvert un nouveau modèle de croissance ?
Dans une étude récente, Xinshen Diao de l'International Food Policy Research Institute, Margaret McMillan de l'Université Tufts et moi-même avons examiné les modèles de croissance parmi cette nouvelle mouture des pays à haut rendement. Nous nous concentrons sur les modèles de changement structurel que ces pays ont connus. Nous avons relevé quelques résultats paradoxaux.
Premièrement, le changement structurel favorable à la croissance a été important dans l'expérience récente des pays à faibles revenus, tels que l'Éthiopie, le Malawi, le Sénégal et la Tanzanie, en dépit de l'absence d'industrialisation. La main-d'œuvre a effectué une transition depuis des activités agricoles à faible productivité vers des activités à plus forte productivité, mais ces dernières sont principalement des services plutôt que des emplois industriels.
Deuxièmement, le changement structurel rapide dans ces pays s'est produit aux dépens de la croissance de la productivité de la main-d'œuvre la plupart du temps négative dans les secteurs non agricoles. En d'autres termes, même si les services qui ont absorbé des nouveaux emplois ont très vite présenté une forte productivité, leur avance a diminué à mesure qu'ils se sont étendus. Cette tendance contraste fortement avec l'expérience classique de la croissance de l'Asie orientale (comme en Corée du Sud et en Chine), dans laquelle le changement structurel et les gains de productivité du travail non agricole ont contribué fortement à la croissance globale.
La différence semble s'expliquer par le fait que l'expansion des secteurs modernes dans les zones urbaines au cours des épisodes de forte croissance est motivée par la demande nationale plutôt que par une industrialisation orientée vers les exportations. En particulier, le modèle africain semble être soutenu par les chocs de demande globale positive générés soit par des transferts de l'étranger, soit par la croissance de la productivité dans l'agriculture.
En Éthiopie par exemple, les investissements publics dans l'irrigation, les transports et l'énergie ont produit une augmentation significative de la productivité agricole et des revenus. Il en résulte des changements structurels favorables à la croissance, puisque l'augmentation de la demande se répercute sur les secteurs non agricoles. Mais la productivité du travail non agricole en découle comme un sous-produit, avec un rendement du capital en baisse diminue et des entreprises moins productives.
Il ne faut pas minimiser pour autant l'importance de la croissance rapide de la productivité dans l'agriculture, l'archétype du secteur traditionnel. Notre étude suggère que l'agriculture a joué un rôle clé en Afrique non seulement pour son propre compte, mais également comme moteur de changements structurels vecteurs de croissance. La diversification vers des produits non traditionnels et l'adoption de nouvelles techniques de production peuvent transformer l'agriculture en une activité quasi-moderne.
Mais il y a des limites aux bénéfices que l'économie peut tirer de ce processus. En partie à cause de la faible élasticité des revenus pour la demande en produits agricoles, les sorties de main-d'œuvre de l'agriculture sont un résultat inévitable durant le processus de développement. Cette main-d'œuvre sans emploi doit être absorbée dans des activités modernes. Et si la productivité n'augmente pas dans ces secteurs modernes, la croissance à l'échelle de l'économie va finir par se retrouver au point mort. La contribution que peut apporter la composante du changement structurel s'auto-limite nécessairement, si le secteur moderne ne connaît pas lui-même une croissance rapide de la productivité.
Les pays africains à faibles revenus peuvent maintenir des taux modérés de croissance de la productivité à l'avenir, suite à l'amélioration constante du capital humain et de la gouvernance. La poursuite de la convergence avec les niveaux de revenus des pays riches semble réalisable. Mais les données laissent penser que les taux de croissance qu'ont entraîné de récents changements structurels rapides sont exceptionnels et qu'ils risquent de ne pas durer.
Dani Rodrik, professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'Université de Harvard, a publié : Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science .
L'industrie est devenue un puissant facteur de progression du développement économique pour les pays à faibles revenus pour trois raisons. Premièrement, il a été relativement facile d'absorber la technologie étrangère et de générer des emplois à forte productivité. Deuxièmement, les emplois du secteur industriel n'exigent pas de nombreuses compétences : les agriculteurs pourraient être transformés en ouvriers dans les usines de production avec de faibles investissements dans une formation supplémentaire. Et troisièmement, la demande de l'industrialisation n'a pas été limitée par les faibles revenus nationaux : la production pourrait augmenter pratiquement sans limite, grâce aux exportations.
Mais les choses sont en train de changer. C'est est à présent un fait bien établi que l'industrialisation est devenue au cours des dernières décennies de plus en plus exigeante en main-d'œuvre qualifiée. Parallèlement à la mondialisation, cela a extrêmement compliqué la tâche des nouveaux arrivants qui ont voulu introduire l'industrialisation à grande échelle sur les marchés mondiaux et reproduire l'expérience des superstars asiatiques de l'industrialisation. Sauf pour une poignée d'exportateurs, les économies en développement ont connu une désindustrialisation prématurée. C'est un peu comme si l'on avait retiré l'escalier mécanique aux pays à la traîne.
Que devons-nous donc faire du récent boom dans certains des pays les plus pauvres du monde ? Ces pays ont-ils découvert un nouveau modèle de croissance ?
Dans une étude récente, Xinshen Diao de l'International Food Policy Research Institute, Margaret McMillan de l'Université Tufts et moi-même avons examiné les modèles de croissance parmi cette nouvelle mouture des pays à haut rendement. Nous nous concentrons sur les modèles de changement structurel que ces pays ont connus. Nous avons relevé quelques résultats paradoxaux.
Premièrement, le changement structurel favorable à la croissance a été important dans l'expérience récente des pays à faibles revenus, tels que l'Éthiopie, le Malawi, le Sénégal et la Tanzanie, en dépit de l'absence d'industrialisation. La main-d'œuvre a effectué une transition depuis des activités agricoles à faible productivité vers des activités à plus forte productivité, mais ces dernières sont principalement des services plutôt que des emplois industriels.
Deuxièmement, le changement structurel rapide dans ces pays s'est produit aux dépens de la croissance de la productivité de la main-d'œuvre la plupart du temps négative dans les secteurs non agricoles. En d'autres termes, même si les services qui ont absorbé des nouveaux emplois ont très vite présenté une forte productivité, leur avance a diminué à mesure qu'ils se sont étendus. Cette tendance contraste fortement avec l'expérience classique de la croissance de l'Asie orientale (comme en Corée du Sud et en Chine), dans laquelle le changement structurel et les gains de productivité du travail non agricole ont contribué fortement à la croissance globale.
La différence semble s'expliquer par le fait que l'expansion des secteurs modernes dans les zones urbaines au cours des épisodes de forte croissance est motivée par la demande nationale plutôt que par une industrialisation orientée vers les exportations. En particulier, le modèle africain semble être soutenu par les chocs de demande globale positive générés soit par des transferts de l'étranger, soit par la croissance de la productivité dans l'agriculture.
En Éthiopie par exemple, les investissements publics dans l'irrigation, les transports et l'énergie ont produit une augmentation significative de la productivité agricole et des revenus. Il en résulte des changements structurels favorables à la croissance, puisque l'augmentation de la demande se répercute sur les secteurs non agricoles. Mais la productivité du travail non agricole en découle comme un sous-produit, avec un rendement du capital en baisse diminue et des entreprises moins productives.
Il ne faut pas minimiser pour autant l'importance de la croissance rapide de la productivité dans l'agriculture, l'archétype du secteur traditionnel. Notre étude suggère que l'agriculture a joué un rôle clé en Afrique non seulement pour son propre compte, mais également comme moteur de changements structurels vecteurs de croissance. La diversification vers des produits non traditionnels et l'adoption de nouvelles techniques de production peuvent transformer l'agriculture en une activité quasi-moderne.
Mais il y a des limites aux bénéfices que l'économie peut tirer de ce processus. En partie à cause de la faible élasticité des revenus pour la demande en produits agricoles, les sorties de main-d'œuvre de l'agriculture sont un résultat inévitable durant le processus de développement. Cette main-d'œuvre sans emploi doit être absorbée dans des activités modernes. Et si la productivité n'augmente pas dans ces secteurs modernes, la croissance à l'échelle de l'économie va finir par se retrouver au point mort. La contribution que peut apporter la composante du changement structurel s'auto-limite nécessairement, si le secteur moderne ne connaît pas lui-même une croissance rapide de la productivité.
Les pays africains à faibles revenus peuvent maintenir des taux modérés de croissance de la productivité à l'avenir, suite à l'amélioration constante du capital humain et de la gouvernance. La poursuite de la convergence avec les niveaux de revenus des pays riches semble réalisable. Mais les données laissent penser que les taux de croissance qu'ont entraîné de récents changements structurels rapides sont exceptionnels et qu'ils risquent de ne pas durer.
Dani Rodrik, professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government de l'Université de Harvard, a publié : Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science .