Une nouvelle vision pour la Banque mondiale

Mardi 13 Octobre 2015

Les ministres des finances, les directeurs des banques centrales et les économistes du développement sont réunis à Lima au Pérou, à l'occasion des réunions annuelles de la Banque mondiale, où le débat va se concentrer sur la façon dont l'ordre du jour de l'institution s'adapte à notre monde en évolution. Organiser cet événement dans un pays en développement marque un changement salutaire par rapport à la salle habituelle de Washington, DC. À présent, la Banque doit réaliser d'autres changements importants : elle doit recadrer sa mission et entreprendre de nouvelles tâches, alors que son plus grand actionnaire, les États-Unis, doivent repenser leur rôle dans l'organisation.


La mission actuelle de la Banque mondiale (mettre fin à l'extrême a pauvreté en une génération et stimuler la prospérité partagée), est sans aucun doute importante. Mais en recadrant cette mission, afin de mettre l'accent sur l'aide à la poursuite par les gouvernements des États membres de la croissance inclusive et durable, la Banque peut faire encore plus de bien.
Une telle approche peut refléter et renforcer les Objectifs de Développement Durables  (ODD) récemment adoptés, qui vont guider les efforts de développement mondial jusqu'en 2030. Et loin d'exclure l'objectif actuel de mettre fin à la pauvreté, ils devront inclure la réduction de la pauvreté comme un résultat de la construction de sociétés stables et prospères, dans lesquelles les citoyens, par le biais de leurs impôts, sont en mesure et désireux de financer des États compétents et réactifs qui font honneur aux règles et aux normes mondiales reconnues.
Une telle mission recadrée va permettre de faire correspondre plus étroitement la Banque mondiale avec la vision originale de ses fondateurs d'une « coopérative de crédit mondial » qui produira des bénéfices pour tous les membres par l'action collective. Cette vision a été construite sur une idée simple et géniale : emprunter contre la garantie du capital sûr des membres créanciers (à l'époque, principalement les États-Unis) et prêter aux membres où le capital-investissement se faisait rare et où les retours seraient élevés.
Cette idée a profité de l'externalité positive associée à des coûts d'emprunt aussi bas que ceux mérités par le risque de crédit de n'importe quel créancier unique (sinon plus bas). Un retour à cette dynamique originale serait bénéfique à tout le monde, depuis les pays créanciers (qui bénéficieraient d'un système mondial plus stable) jusqu'aux emprunteurs (dont les économies jouiraient d'une croissance plus rapide et d'une réduction de la pauvreté).
En outre, une refonte de la mission de la Banque mondiale dans cette voie profite du net avantage comparatif de la Banque par rapport à des dizaines d'organismes d'aide bilatérale et à des centaines d'organisations non gouvernementales qui travaillent dans les pays en développement. Cela rend particulièrement précieuse la participation de la Banque.
La Banque mondiale dispose des connaissances et de l'expérience dans des secteurs aussi divers que l'infrastructure, l'agriculture, la santé, l'éducation, les retraites et la réglementation financière. Elle a la capacité de déployer une gamme d'instruments de financement et de partager des risques pour venir en aide aussi bien aux investissements privés que publics. Et son personnel possède une expertise inégalée de chaque pays, y compris la perspicacité dans la politique locale difficile qui empêche parfois les réformes nécessaires pour assurer les retours sur investissement.
En adaptant sa mission aux besoins du XXIème siècle, la Banque mondiale doit également prendre la responsabilité de fournir des biens publics mondiaux appropriés au développement. Aujourd'hui, les plus grands risques pour les sociétés stables et prospères (comme le changement climatique constant, les ravages des pandémies et la montée de la résistance antimicrobienne), sont de nature mondiale et doivent donc être traités collectivement. Étant donné que les retours sur investissement de biens publics mondiaux appropriés au développement sont collectivement élevés, mais restent limités quand on les évalue pays par pays, c'est un aspect particulièrement significatif pour la Banque mondiale en tant que coopérative mondiale.
Plus précisément, la Banque doit devenir un moteur qui favorise les investissements pour promouvoir la durabilité de l'environnement, elle doit soutenir la recherche dans l'agriculture, dans la santé et dans l'énergie propre, ainsi que recueillir et analyser les données économiques et sociales. Naturellement, elle n'a pas besoin d'assumer la responsabilité de fournir tous ces biens publics. Mais elle peut aider en établissant des priorités, en levant et en canalisant les fonds et en évaluant l'impact des investissements appropriés.
Pour réussir, la Banque doit élargir sa boîte à outils au-delà des prêts spécifiques à certains pays : l'instrument principal sur lequel elle a compté sept décennies durant. Pour cela, elle a besoin d'un mandat clair des pays membres, ainsi que de nouveaux instruments pour l'aide financière et technique, qui soient adaptés à la fourniture de biens publics mondiaux appropriés au développement.
Le changement interne final qui doit se produire n'implique qu'un seul membre : les États-Unis. Au cours du dernier demi-siècle, l'Amérique a été un assez bon gestionnaire de la stabilité internationale : une sorte de tyrannie bénigne qui agissait en vue de l'intérêt collectif.
Mais bien que les États-Unis demeurent une superpuissance économique et militaire, d'autres pays les rattrapent rapidement. Et les États-Unis semblent peu disposés à leur faire de la place, comme cela a été prouvé par leur résistance à l'établissement de l'Asian Infrastructure Investment Bank sous direction chinoise. Les États-Unis doivent reconnaître, bien qu'ils soient toujours puissants dans le monde, qu'ils doivent à présent diriger davantage par influence et par persuasion, et moins en se cramponnant aux règles et coutumes établies il y a 70 ans, lorsque ce pays était à toutes fins utiles le créancier unique aidant à la création de nouvelles institutions financières internationales.
Ainsi à Lima cette semaine, le débat sur la santé économique de la Chine et le calendrier de la Fed pour les hausses des taux d'intérêt doivent s'accompagner d'une véritable discussion sur la nécessité de ces trois changements. Avec une mission recadrée, un agenda mis à jour et des États-Unis plus inclusifs, la Banque serait bien placée pour jouer un rôle essentiel dans l'évolution du type de développement dont le monde a actuellement besoin.
Nancy Birdsall est la présidente fondatrice du Center for Global Development.
© Project Syndicate 1995–2015
 
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