Le dispositif visant à assurer la couverture vaccinale des pays pauvres, le COVAX (COVID-19 Vaccine Global Access), est loin de répondre aux besoins. Les pays producteurs de vaccins ont utilisé leur production pour vacciner leur propre population - avec plusieurs millions de doses en trop. Quant aux entreprises productrices de vaccins, elles ont conclu des accords secrets avec les Etats pour vendre les vaccins de manière bilatérale plutôt que par l'intermédiaire du COVAX à un moindre coût.
Le monde est en proie à l'égoïsme des pays qui fabriquent les vaccins, à la cupidité des entreprises et à l'effondrement d'une coopération minimale entre les principales régions du monde. Nous doutons que des experts du gouvernement américain aient jamais rencontré (même par Zoom) leurs homologues chinois et russes pour organiser une campagne mondiale de vaccination. Les USA se montrent plus empressés d'envoyer des vaccins à Taïwan, probablement pour embarrasser la République populaire de Chine, que de collaborer avec cette dernière pour protéger le monde entier.
Les scientifiques alertent sur le fait qu'un retard dans la couverture vaccinale mondiale pourrait s'avérer dévastateur, car de nouveaux variants échappant aux vaccins existants pourraient apparaître. Cette prévision inquiétante se matérialise déjà. Selon des scientifiques israéliens, le vaccin Pfizer-BioNTech n'est efficace qu'à 64 % contre le variant Delta, contre 95 % contre le virus d'origine (néanmoins 4 autres études concluent à une efficacité nettement supérieure).
Néanmoins, une couverture vaccinale mondiale complète est réalisable. La production mondiale est maintenant suffisante pour permettre une couverture complète de la population adulte de la planète en quelques mois. Il faut maintenant un plan de partage des doses de vaccin entre pays riches et pauvres, incluant la logistique et le financement nécessaires. C'est réalisable si les membres du G20 s'attellent enfin sérieusement à cette tâche.
Il est choquant de constater qu'il n'existe pas de base données officielle complète et actualisée sur la production mensuelle de vaccins prévue par pays et par laboratoire producteur. Nous basons nos estimations de la production probable de vaccins dans les prochains mois sur les doses effectivement livrées et les annonces de chaque laboratoire (essentiellement dans leurs communiqués destinés aux investisseurs). A partir de ces estimations, nous avons établi un calendrier préliminaire pour atteindre un niveau élevé de couverture vaccinale au niveau mondial. L'incapacité de COVAX, de l'OMS, du G20 et des pays producteurs de vaccins à faire de même équivaut à une rupture dramatique de la coopération mondiale.
Selon notre projection, tous ensemble, les fabricants de vaccins qui ont reçu une autorisation d'utilisation d'urgence (EUL, Emergency Use Listing) de l'OMS et des autorités nationales produiront environ un milliard de doses par mois entre juillet et décembre 2021.
La population mondiale s'élève à 7,8 milliards d'habitants, dont 5,8 milliards sont âgés de 15 ans ou plus. Si nous définissons la vaccination complète comme une couverture de 80 % de la population des plus de 15 ans, il faut vacciner 4,6 milliards de personnes.
Au 30 juin, quelques 850 millions de personnes ont été complètement vaccinées, et 950 millions d'autres ont reçu la première dose du vaccin. Pour atteindre une couverture vaccinale mondiale de 80 % des plus de 15 ans, six milliards de doses sont encore nécessaires.
Nous avons réalisé un modèle préliminaire de feuille de calcul montrant qu'avec environ un milliard de doses de vaccin administrées chaque mois et six milliards de doses nécessaires, nous pouvons atteindre une couverture vaccinale complète en six mois environ, soit au début de 2022. Les chiffres précis dépendent de la combinaison spécifique de vaccins. Mais cela ne sera possible que s'il existe un plan mondial incluant un calendrier de répartition des doses dans le monde, la logistique pour acheminer les vaccins et les administrer, ainsi que le budget voulu.
Il y a urgence plus particulièrement en Afrique, où seulement 16 millions de personnes, soit à peine 2 % de la population adulte, étaient entièrement vaccinées au 30 juin. Ce chiffre est incroyablement bas, surtout si on le compare au taux de vaccination complète de 17% de la population adulte mondiale hors Afrique, et aux taux bien plus élevés dans les pays producteurs de vaccins : 57 % de la population adulte aux USA, 59 % au Royaume-Uni, 40 % dans l'Union européenne, 15 % en Russie et 6 % en Inde au 30 juin, et 19 % en Chine au 10 juin.
Les risques sont énormes à l'échelle mondiale. Le variant Delta déferle actuellement sur l'Afrique, ce qui laisse présager une catastrophe monumentale si la vaccination ne s'accélère pas de façon spectaculaire. Le groupe de travail Afrique de la commission COVID-19 du Lancet a lancé un appel urgent afin de réunir 300 millions de doses de vaccin pour l'Afrique.
Par ailleurs, de nouveaux variants plus résistants aux vaccins existants pourraient apparaître prochainement. Le mouvement mondial anti-vaccination et les campagnes de désinformation accroissent les hésitations chez certains, ce qui fait que même quand les doses sont présentes, le taux de vaccination de la population adulte reste nettement insuffisant.
La situation est donc partout très incertaine. Les 4 millions de décès confirmés dus au COVID-19 à ce jour (le nombre réel est probablement très supérieur au vu de l'excès de mortalité par rapport à ce qu'elle était avant la pandémie) sont la conséquence tragique de notre échec collectif à répondre clairement à la pandémie en unissant nos forces à l'échelle mondiale et en faisant preuve de compassion. L'engagement pris par le G7 le mois dernier de fournir 870 millions de doses aux pays pauvres (soit l'administration des deux injections nécessaires à 435 millions de personnes) ne remplace pas un plan d'action mondial.
Il faut à tout prix que le G20 agisse pour fournir tous les vaccins dont le monde a besoin. La santé publique mondiale dépend de ce qui se passe maintenant à Venise.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs est président du Réseau des solutions pour le développement durable de l'ONU. Il est aussi professeur et directeur du Centre pour le développement durable à l'université de Colombia à New-York.
Le monde est en proie à l'égoïsme des pays qui fabriquent les vaccins, à la cupidité des entreprises et à l'effondrement d'une coopération minimale entre les principales régions du monde. Nous doutons que des experts du gouvernement américain aient jamais rencontré (même par Zoom) leurs homologues chinois et russes pour organiser une campagne mondiale de vaccination. Les USA se montrent plus empressés d'envoyer des vaccins à Taïwan, probablement pour embarrasser la République populaire de Chine, que de collaborer avec cette dernière pour protéger le monde entier.
Les scientifiques alertent sur le fait qu'un retard dans la couverture vaccinale mondiale pourrait s'avérer dévastateur, car de nouveaux variants échappant aux vaccins existants pourraient apparaître. Cette prévision inquiétante se matérialise déjà. Selon des scientifiques israéliens, le vaccin Pfizer-BioNTech n'est efficace qu'à 64 % contre le variant Delta, contre 95 % contre le virus d'origine (néanmoins 4 autres études concluent à une efficacité nettement supérieure).
Néanmoins, une couverture vaccinale mondiale complète est réalisable. La production mondiale est maintenant suffisante pour permettre une couverture complète de la population adulte de la planète en quelques mois. Il faut maintenant un plan de partage des doses de vaccin entre pays riches et pauvres, incluant la logistique et le financement nécessaires. C'est réalisable si les membres du G20 s'attellent enfin sérieusement à cette tâche.
Il est choquant de constater qu'il n'existe pas de base données officielle complète et actualisée sur la production mensuelle de vaccins prévue par pays et par laboratoire producteur. Nous basons nos estimations de la production probable de vaccins dans les prochains mois sur les doses effectivement livrées et les annonces de chaque laboratoire (essentiellement dans leurs communiqués destinés aux investisseurs). A partir de ces estimations, nous avons établi un calendrier préliminaire pour atteindre un niveau élevé de couverture vaccinale au niveau mondial. L'incapacité de COVAX, de l'OMS, du G20 et des pays producteurs de vaccins à faire de même équivaut à une rupture dramatique de la coopération mondiale.
Selon notre projection, tous ensemble, les fabricants de vaccins qui ont reçu une autorisation d'utilisation d'urgence (EUL, Emergency Use Listing) de l'OMS et des autorités nationales produiront environ un milliard de doses par mois entre juillet et décembre 2021.
La population mondiale s'élève à 7,8 milliards d'habitants, dont 5,8 milliards sont âgés de 15 ans ou plus. Si nous définissons la vaccination complète comme une couverture de 80 % de la population des plus de 15 ans, il faut vacciner 4,6 milliards de personnes.
Au 30 juin, quelques 850 millions de personnes ont été complètement vaccinées, et 950 millions d'autres ont reçu la première dose du vaccin. Pour atteindre une couverture vaccinale mondiale de 80 % des plus de 15 ans, six milliards de doses sont encore nécessaires.
Nous avons réalisé un modèle préliminaire de feuille de calcul montrant qu'avec environ un milliard de doses de vaccin administrées chaque mois et six milliards de doses nécessaires, nous pouvons atteindre une couverture vaccinale complète en six mois environ, soit au début de 2022. Les chiffres précis dépendent de la combinaison spécifique de vaccins. Mais cela ne sera possible que s'il existe un plan mondial incluant un calendrier de répartition des doses dans le monde, la logistique pour acheminer les vaccins et les administrer, ainsi que le budget voulu.
Il y a urgence plus particulièrement en Afrique, où seulement 16 millions de personnes, soit à peine 2 % de la population adulte, étaient entièrement vaccinées au 30 juin. Ce chiffre est incroyablement bas, surtout si on le compare au taux de vaccination complète de 17% de la population adulte mondiale hors Afrique, et aux taux bien plus élevés dans les pays producteurs de vaccins : 57 % de la population adulte aux USA, 59 % au Royaume-Uni, 40 % dans l'Union européenne, 15 % en Russie et 6 % en Inde au 30 juin, et 19 % en Chine au 10 juin.
Les risques sont énormes à l'échelle mondiale. Le variant Delta déferle actuellement sur l'Afrique, ce qui laisse présager une catastrophe monumentale si la vaccination ne s'accélère pas de façon spectaculaire. Le groupe de travail Afrique de la commission COVID-19 du Lancet a lancé un appel urgent afin de réunir 300 millions de doses de vaccin pour l'Afrique.
Par ailleurs, de nouveaux variants plus résistants aux vaccins existants pourraient apparaître prochainement. Le mouvement mondial anti-vaccination et les campagnes de désinformation accroissent les hésitations chez certains, ce qui fait que même quand les doses sont présentes, le taux de vaccination de la population adulte reste nettement insuffisant.
La situation est donc partout très incertaine. Les 4 millions de décès confirmés dus au COVID-19 à ce jour (le nombre réel est probablement très supérieur au vu de l'excès de mortalité par rapport à ce qu'elle était avant la pandémie) sont la conséquence tragique de notre échec collectif à répondre clairement à la pandémie en unissant nos forces à l'échelle mondiale et en faisant preuve de compassion. L'engagement pris par le G7 le mois dernier de fournir 870 millions de doses aux pays pauvres (soit l'administration des deux injections nécessaires à 435 millions de personnes) ne remplace pas un plan d'action mondial.
Il faut à tout prix que le G20 agisse pour fournir tous les vaccins dont le monde a besoin. La santé publique mondiale dépend de ce qui se passe maintenant à Venise.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs est président du Réseau des solutions pour le développement durable de l'ONU. Il est aussi professeur et directeur du Centre pour le développement durable à l'université de Colombia à New-York.