D'après les présidents de la Commission européenne, le Sommet de la zone euro, l'Eurogroupe, la Banque centrale européenne et le Parlement européen, la réponse est oui. En effet, dans un rapport récent, ils en appellent à progresser vers une UEM « profonde, authentique et équitable » : une union économique, financière, budgétaire et une union politique qui fournisse la fondation au reste « par une authentique responsabilité démocratique, par la légitimité et par le renforcement institutionnel. » Le rapport fait écho à des propositions semblables d'universitaires, de journalistes et d'autres fonctionnaires publics et en particulier à celle du Président français François Hollande.
À mon avis toutefois, le rapport, tout comme la proposition de créer un poste de ministre européen des finances, est fondamentalement vicié. Bien que le rapport contienne un certain nombre d'observations importantes, son hypothèse sous-jacente (que les étapes vers l'ensemble de ses objectifs doivent être menées en parallèle, et qu'une véritable union politique doit apparaître à la fin du processus), est problématique. Après tout, l'établissement d'une union politique exigerait des amendements aux constitutions et dans la plupart des pays, des référendums nationaux. Mais les électeurs sont loin d'être enthousiastes à l'idée de céder davantage de pouvoirs à l'Europe.
Initialement l'union monétaire était censée propulser l'Europe vers l'union politique. Mais l'euro n'est plus une devise commune forte qui renforce une identité européenne partagée. Au contraire, l'euro est à présent la source d'un profond ressentiment entre les peuples européens : un ressentiment qui, 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, était censé avoir été écarté.
Évidemment bien des personnes ont suggéré que la crise actuelle représentait une occasion essentielle de surmonter ces tensions et de construire une union encore plus étroite, en citant la conviction de Jean Monnet, un des principaux architectes de l'Union européenne, selon laquelle les crises sont essentielles pour nous faire avancer sur la voie de l'intégration. Mais cette approche peut-elle fonctionner à un moment où la confiance est si ténue parmi les pays membres ? Ou bien poursuivre dans cette voie dans de telles circonstances ne comporte-t-il pas le risque de créer une plus grande résistance ?
Les cinq présidents recommandent le lancement de leur proposition d'ordre du jour pour relancer l'intégration seulement après 2017. Il semble probable que ce calendrier reflète la crainte que les électeurs des plus grands pays, où des élections auront lieu d'ici les deux prochaines années, vont réagir négativement à cette proposition. Ce n'est pas un signe de grande confiance en la démarche proposée.
La réalité est qu'une union politique européenne est peu susceptible d'être mise en place prochainement. Et sans véritable unification politique, les efforts pour poursuivre le reste du plan des présidents, y compris le transfert des compétences budgétaires au niveau européen, pourrait bien comporter de sérieux risques.
L'intégration budgétaire arrive en tête de liste sur l'ordre du jour des cinq présidents. Bien que le Pacte de Stabilité et de Croissance inspire de moins en moins le respect (en effet il ne doit à présent être appliqué, selon la Commission européenne, qu'à la seule discrétion des dirigeants nationaux), il doit néanmoins demeurer le point d'attache de la stabilité budgétaire et de la confiance. Le rapport précise également qu'une véritable union budgétaire exigerait « une prise de décision plus conjointe sur la politique budgétaire. » Les présidents insistent sur le fait que cela « ne signifie pas la centralisation de tous les aspects des politiques de dépenses » puisque les États membres continueront de décider de leur fiscalité et de leur répartition des dépenses budgétaires. Mais « comme la zone euro évolue vers une véritable Union Économique et Monétaire, expliquent-ils, les décisions devront de plus en plus être prises collectivement » peut-être par l'intermédiaire d'un Trésor de la zone euro.
Limité ou non, il s'agit d'un transfert de la responsabilité budgétaire au niveau européen. Et il est difficile d'imaginer comment l'appel du rapport à « la responsabilité démocratique et à la légitimité » dans le processus de prise de décision peut être atteint sans une union politique à part entière.
Il existe un conflit fondamental entre l'appel à donner la priorité aux besoins européens et les diktats des constitutions des États membres, qui ne peut être résolu ni en déplaçant progressivement les compétences de facto du niveau national au niveau européen, ni en élargissant le budget de l'UE. Dans le cadre institutionnel existant, la responsabilité politique des paiements de transfert plus élevés parmi les pays doit rester celle des gouvernements nationaux, contrôlés par les parlements et les électorats nationaux.
Une union politique peut rester possible dans un avenir lointain. On ne peut cependant pas la réaliser en catimini, en érodant la politique budgétaire de la souveraineté de membres. Tenter de forcer les paiements de transfert risque de générer un aléa moral de la part des bénéficiaires et une résistance chez les donateurs, ce qui peut provoquer davantage de tensions susceptibles de mettre en péril l'intégration réalisée jusqu'à présent.
Compte tenu de cela, pendant une période de temps considérable, l'union monétaire de l'Europe devra exister sans union politique. En d'autres termes, l'UEM demeurera un arrangement institutionnel entre les différents pays qui conserveront leur souveraineté budgétaire. La clé pour faire fonctionner un tel système consiste à veiller à ce que les gouvernements nationaux soient tenus responsables de leurs politiques économiques. Tous les traités et engagements (y compris surtout la clause de « non-sauvetage » du Traité de Maastricht), devront être respectés sans exception.
Pacta sunt servanda : les conventions doivent être respectées. Si ce principe est violé en permanence, comment peut-on espérer un avenir prospère fondé sur une nouvelle série de traités qui sont encore plus exigeants que ceux qui existent déjà ?
Otmar Issing, ancien économiste en chef et membre du conseil d'administration de la Banque Centrale Européenne, président du Centre d'études financières de l'Université Goethe de Francfort.
© Project Syndicate 1995–2015
À mon avis toutefois, le rapport, tout comme la proposition de créer un poste de ministre européen des finances, est fondamentalement vicié. Bien que le rapport contienne un certain nombre d'observations importantes, son hypothèse sous-jacente (que les étapes vers l'ensemble de ses objectifs doivent être menées en parallèle, et qu'une véritable union politique doit apparaître à la fin du processus), est problématique. Après tout, l'établissement d'une union politique exigerait des amendements aux constitutions et dans la plupart des pays, des référendums nationaux. Mais les électeurs sont loin d'être enthousiastes à l'idée de céder davantage de pouvoirs à l'Europe.
Initialement l'union monétaire était censée propulser l'Europe vers l'union politique. Mais l'euro n'est plus une devise commune forte qui renforce une identité européenne partagée. Au contraire, l'euro est à présent la source d'un profond ressentiment entre les peuples européens : un ressentiment qui, 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, était censé avoir été écarté.
Évidemment bien des personnes ont suggéré que la crise actuelle représentait une occasion essentielle de surmonter ces tensions et de construire une union encore plus étroite, en citant la conviction de Jean Monnet, un des principaux architectes de l'Union européenne, selon laquelle les crises sont essentielles pour nous faire avancer sur la voie de l'intégration. Mais cette approche peut-elle fonctionner à un moment où la confiance est si ténue parmi les pays membres ? Ou bien poursuivre dans cette voie dans de telles circonstances ne comporte-t-il pas le risque de créer une plus grande résistance ?
Les cinq présidents recommandent le lancement de leur proposition d'ordre du jour pour relancer l'intégration seulement après 2017. Il semble probable que ce calendrier reflète la crainte que les électeurs des plus grands pays, où des élections auront lieu d'ici les deux prochaines années, vont réagir négativement à cette proposition. Ce n'est pas un signe de grande confiance en la démarche proposée.
La réalité est qu'une union politique européenne est peu susceptible d'être mise en place prochainement. Et sans véritable unification politique, les efforts pour poursuivre le reste du plan des présidents, y compris le transfert des compétences budgétaires au niveau européen, pourrait bien comporter de sérieux risques.
L'intégration budgétaire arrive en tête de liste sur l'ordre du jour des cinq présidents. Bien que le Pacte de Stabilité et de Croissance inspire de moins en moins le respect (en effet il ne doit à présent être appliqué, selon la Commission européenne, qu'à la seule discrétion des dirigeants nationaux), il doit néanmoins demeurer le point d'attache de la stabilité budgétaire et de la confiance. Le rapport précise également qu'une véritable union budgétaire exigerait « une prise de décision plus conjointe sur la politique budgétaire. » Les présidents insistent sur le fait que cela « ne signifie pas la centralisation de tous les aspects des politiques de dépenses » puisque les États membres continueront de décider de leur fiscalité et de leur répartition des dépenses budgétaires. Mais « comme la zone euro évolue vers une véritable Union Économique et Monétaire, expliquent-ils, les décisions devront de plus en plus être prises collectivement » peut-être par l'intermédiaire d'un Trésor de la zone euro.
Limité ou non, il s'agit d'un transfert de la responsabilité budgétaire au niveau européen. Et il est difficile d'imaginer comment l'appel du rapport à « la responsabilité démocratique et à la légitimité » dans le processus de prise de décision peut être atteint sans une union politique à part entière.
Il existe un conflit fondamental entre l'appel à donner la priorité aux besoins européens et les diktats des constitutions des États membres, qui ne peut être résolu ni en déplaçant progressivement les compétences de facto du niveau national au niveau européen, ni en élargissant le budget de l'UE. Dans le cadre institutionnel existant, la responsabilité politique des paiements de transfert plus élevés parmi les pays doit rester celle des gouvernements nationaux, contrôlés par les parlements et les électorats nationaux.
Une union politique peut rester possible dans un avenir lointain. On ne peut cependant pas la réaliser en catimini, en érodant la politique budgétaire de la souveraineté de membres. Tenter de forcer les paiements de transfert risque de générer un aléa moral de la part des bénéficiaires et une résistance chez les donateurs, ce qui peut provoquer davantage de tensions susceptibles de mettre en péril l'intégration réalisée jusqu'à présent.
Compte tenu de cela, pendant une période de temps considérable, l'union monétaire de l'Europe devra exister sans union politique. En d'autres termes, l'UEM demeurera un arrangement institutionnel entre les différents pays qui conserveront leur souveraineté budgétaire. La clé pour faire fonctionner un tel système consiste à veiller à ce que les gouvernements nationaux soient tenus responsables de leurs politiques économiques. Tous les traités et engagements (y compris surtout la clause de « non-sauvetage » du Traité de Maastricht), devront être respectés sans exception.
Pacta sunt servanda : les conventions doivent être respectées. Si ce principe est violé en permanence, comment peut-on espérer un avenir prospère fondé sur une nouvelle série de traités qui sont encore plus exigeants que ceux qui existent déjà ?
Otmar Issing, ancien économiste en chef et membre du conseil d'administration de la Banque Centrale Européenne, président du Centre d'études financières de l'Université Goethe de Francfort.
© Project Syndicate 1995–2015