Quel est le fil rouge choisi par Thales au salon du Bourget ?
Cette année, nous avons choisi comme fil conducteur la connectivité. Il y aura également une volonté d'illustrer que ce que l'on fait résonne positivement avec la COP 21. C'est effectivement l'événement politique de l'année en France. Ce qui nous permettra de rappeler tout notre savoir-faire en matière de réduction de l'empreinte carbone, de transport durable, de ville intelligente, etc...
Pourquoi avoir choisi la connectivité ?
La connectivité est une tendance de fond du marché aéronautique. Thales s'y est d'ailleurs renforcé en acquérant LiveTV en 2014. Sans que les passagers le sachent, Thales les accompagne du début à la fin de leur voyage en avion, en assurant bien sûr leur sécurité mais aussi leur divertissement avec le multimédia de bord (IFE). Nous allons donc mettre en avant lors du salon du Bourget tous les systèmes et solutions que nous réalisons : connectivité entre l'avion et les infrastructures aéroportuaires, connectivité entre les passagers et le reste du monde, avionique du futur, aides au décollage et à l'atterrissage, contrôle du trafic aérien pendant la durée du vol,.. Deux avions sur trois dans le monde décollent et atterrissent grâce aux équipements de Thales. Le groupe est le numéro un mondial de la gestion de contrôle du trafic aérien (ATM), et quelque 40 % de la surface de la Terre est couverte par nos centres ATM. Aujourd'hui, 750.000 passagers utilisent en moyenne chaque jour nos systèmes d'IFE dans le monde. Soit 274 millions par an !
Justement, un avion connecté peut être piraté, comme le prétend un hacker américain. Avez-vous été sollicité par les autorités américaines, et avez-vous déjà des réponses face à cette menace ?
Nous ne communiquons pas d'information au-delà des organismes de tutelle afin de ne pas gêner l'enquête, et d'autre part de ne pas attiser la curiosité et l'intérêt des attaquants. Nous sommes dans ce type de cas totalement concentré sur la sécurisation de nos systèmes. Ce qui est sûr, c'est que ce sujet est un sujet qui « monte ». Il n'y a aucune raison que les cyber attaques se limitent aux systèmes d'information des entreprises. Un pays a déjà fait atterrir un drone en prenant son contrôle. C'est pour cela qu'aujourd'hui, nous avons de plus en plus de sollicitations et de discussions sur ce thème avec nos grands clients pour protéger leurs avions, leurs trains, leurs navires de guerre ou civils...
Pouvez-vous confirmer que ce hacker a pris le contrôle d'un avion via l'IFE ?
Non, je ne peux pas vous le confirmer. De manière générale, nous travaillons de façon très étroite avec les avionneurs et les autorités de certification sur les systèmes de sûreté et de sécurité. Nous ne communiquons jamais sur ces sujets afin de ne pas donner d'informations à l'attaquant. Face aux attaques informatiques qui se professionnalisent et se conçoivent parfois comme de véritables opérations militaires, il est impératif de rester discret quant aux mesures de protection et de défense pour amoindrir voire annihiler les capacités de l'attaquant.. C'est une guerre de mouvement. Si les entreprises ne communiquent pas, ce n'est ni par incapacité ni par pudibonderie excessive mais par stratégie...
Mais est-ce une menace crédible ou simplement conceptuelle ?
En tout cas, Thales prend cette menace au sérieux. Pour commencer, il faut d'abord imaginer la forme que peut prendre une cyberattaque sur un système comme un train, un bateau ou un avion. Puis comment on peut y remédier. Il faut aussi être conscient du fait que la lutte contre les cybermenaces, à l'image de ce qui se passe pour les systèmes d'informations des entreprises, est une course sans fin. Aucun industriel responsable ne prétendra avoir la solution à la fois totale et définitive. En revanche, se poser la question et mettre en place des mesures pour traiter un certain nombre de menaces, c'est tout à fait possible et réalisable. Nous-mêmes, nous travaillons sur ces questions de manière spontanée parce que nous avons vu arriver cette problématique en raison de notre expérience dans la cyberdéfense. Entre cybersécurité et cyberdéfense, il n'y a qu'un pas finalement.
Avez-vous donc déjà lancé des programmes ?
Nous avons commencé à travailler en interne pour rendre plus robuste, plus résilient et plus résistant un certain nombre de systèmes, de solutions, d'équipements que nous fabriquons et que nous installons en tenant compte de nos informations sur certains types de menaces et d'attaques informatiques.
Est-ce le cas pour les IFE ?
Bien sûr. C'est d'ailleurs ce qui va de plus en plus distinguer Thales des autres acteurs dans ces domaines civils. Nous maîtrisons à la fois les technologies civiles et militaires. Ce qui n'est pas le cas, dans le métier de l'IFE, de notre grand concurrent (n.d.l.r. Panasonic) qui n'est pas un acteur de la cybersécurité et n'a aucune capacité ou expertise reconnue en la matière. Dans les années à venir, cette expertise va conférer à Thales un discriminant unique par rapport à nos concurrents, même si ceux-ci pourront toujours s'appuyer sur des compétences extérieures. Mais la force de Thales, c'est de marier la compétence métier (développer des systèmes d'IFE, des systèmes de signalisation ferroviaire, etc.) avec une autre de ses compétences métier, ici la cybersécurité.
Donc Thales a une longueur d'avance ?
Ce sujet va effectivement devenir un différenciateur en faveur de Thales par rapport aux acteurs qui ne sont que civils. C'est une conviction profonde mais elle s'appuie aussi sur une réalité, à savoir ce qui se passe en matière de transport aérien, ferroviaire voire automobile. Oui, je pense que Thales a un avenir très prometteur par rapport à nos grands compétiteurs purement civils au vue de ces menaces arrivent aussi bien dans les avions que dans les trains, les bateaux, les voitures, etc. Nous discutons aussi bien avec les opérateurs de transport qui ont bien identifié que Thales est le seul acteur du monde de la signalisation ferroviaire ou métro à avoir des capacités à traiter ce type de menaces qu'avec les grands équipementiers automobiles qui s'interrogent également. Si, demain, ces questions deviennent des spécifications contenues dans les appels d'offre internationaux, nos concurrents auront bien du mal à y répondre. Et cela crédibilisera donc encore plus les systèmes Thales auprès de nos grands clients et donneurs d'ordres.
Ce qui est vrai pour un avion civil peut-il l'être pour un avion de combat, un char...?
Ce qui est vrai pour les systèmes d'informations dans le civil, l'est aussi, bien sûr, dans le militaire. En revanche, les clients défense sont par nature très sensibilisés et donc très vigilants sur cette question. De plus, les programmes militaires, qui reposent sur des systèmes un peu plus anciens, ont des systèmes plus fermés, et avec moins de logiciels. Ils sont donc moins sensibles à ce type d'attaques. Les systèmes plus modernes ont comme caractéristique de reposer en partie sur du matériel d'origine civile ("COTS"), dont vous ne connaissez finalement pas tout du design, des composants matériels ou logiciels à l'intérieur. Ils doivent donc faire l'objet de mesures spécifiques de protection.
Dans le cas du drame de Germanwings, la technique permet-elle de prendre le contrôle de l'avion en cas de dysfonctionnements humains et/ou techniques ?
La technique offre une très grande panoplie de solutions. En matière de sécurité aérien, les évolutions sont toutefois extrêmement lentes. Toute évolution peut avoir une incidence sur l'ensemble du système d'un avion, y compris des procédures de décollage et d'atterrissage etc. S'agissant du crash inexpliqué de la Malaysian Airlines, il existe aujourd'hui toutes les solutions techniques pour suivre un avion en vol où qu'il soit dans le monde grâce aux connections satellitaires. De même, demain, avec les satellites d'observation, dont les solutions techniques sont également disponibles. Bref, ce ne sont pas tellement les solutions qui manquent aujourd'hui, c'est d'aligner la volonté des uns et des autres de les mettre en œuvre.
Pour Thales, la problématique environnementale est-elle une contrainte ou une chance ?
Thales, depuis une quinzaine d'années, a pris au sérieux ces questions environnementales et aujourd'hui fait partie des 10 % d'entreprises dans le monde qui ont reçu la note A pour leur performance climatique. Nous vivons tous sur la même planète, essayons de la préserver du mieux possible. Même si nous ne sommes pas une industrie polluante, nous pouvons toujours nous améliorer. Nous avons énormément travaillé pour réduire nos consommations d'eau, d'énergie et notre empreinte carbone. Et puis cette problématique est aussi une opportunité de business. Nous avons des solutions et des produits pour les clients qui cherchent eux aussi à réduire leur empreinte carbone. Cela commence déjà par la course à la réduction du poids dans l'aéronautique - un enjeu considérable pour les avionneurs - en passant par l'optimisation des trajectoires des avions. Consommer moins, c'est mieux pour le modèle économique... et pour l'environnement. Le modèle économique est aligné avec l'intérêt écologique.
Quelle est votre offre ?
Nous travaillons beaucoup sur les systèmes ATM et les systèmes de navigation à bord ou au sol en vue d'optimiser les trajectoires des avions. Y compris en prenant en considération de plus en plus de facteurs exogènes au simple trafic aérien comme les phénomènes météo. Autre exemple, l'espace. Dans ce domaine, Thales a conçu et réalisé tous les satellites Meteosat, dont la dernière génération MTG. Aujourd'hui, 40 % de la population mondiale profite de données météo grâce aux systèmes satellites que nous avons réalisés. Nous avons également fabriqué des satellites très spécialisés pour observer les mers et les océans, les courants, la pollution... Ce qui permet clairement à nos clients de mieux surveiller, de mieux comprendre et, ainsi, de mieux protéger notre environnement. Avec le spatial, nous sommes au cœur des questions environnementales.
Les politiques ne demandent-ils pas trop à l'aéronautique en matière d'environnement ?
L'industrie aéronautique prend sa part, et elle le fait depuis longtemps. Maintenant, il est vrai que les effets positifs de ce que font les industriels de l'aéronautique ne doivent pas être surpondérées par rapport à l'enjeu environnemental pour la planète. Que cette industrie y contribue, c'est nécessaire et c'est mieux que bien. Mais la planète ne sera malheureusement pas sauvée par les seuls efforts de l'industrie aéronautique...
Quel est l'objectif de prises de commandes en 2015 ?
L'entreprise a retrouvé une formidable dynamique depuis maintenant deux à trois ans et est sur une très bonne trajectoire. Ce sera le cas encore cette année. Je suis vraiment confiant pour les années à venir si je regarde les deux volets, croissance et compétitivité. Sur le volet croissance, Thales a augmenté ses prises de commandes de 20 % en deux ans et de 40 % dans les seuls pays émergents, un de nos axes majeurs de notre développement. Entre le premier trimestre 2014 et celui de 2015, les prises de commandes ont progressé de 36 %, en partie grâce au succès du Rafale en Égypte. Pour 2015, nous prévoyons une nouvelle hausse des prises de commandes alors même qu'elles ont déjà été très élevées en 2014 (14,3 milliards d'euros). Et nous ferons encore mieux cette année aussi dans les pays émergents (4,3 milliards en 2014).
Y aura-t-il de nouvelles belles surprises en 2015 ?
Thales devrait faire une belle performance commerciale en 2015. Au-delà des contrats Rafale, le transport est une activité ou nous voyons des opportunités de développement. Et pour la première fois depuis plus de dix ans, il se pourrait que le premier contrat du groupe en valeur soit en 2015 un contrat civil. Ce serait très symbolique de la nouvelle dynamique de Thales sur les marchés civils, axe stratégique de croissance et de développement du groupe.
Qu'est-ce qui vous rend optimiste dans les transports ?
Dans le monde, nous connaissons une urbanisation galopante. Ce qui s'accompagne d'un besoin de nouvelles infrastructures de transport ferroviaire, grandes lignes ou métro, dans les pays émergents. Par exemple, plus de 50 % des métros dans le monde seront construits en Chine dans les dix prochaines années. Par ailleurs, il y a aussi un fort besoin d'optimiser les infrastructures existantes dans les pays occidentaux. Dans les deux cas, la signalisation ferroviaire est au cœur de ces projets. Sur ces deux types de marché, nous sommes présents. De l'Europe avec plusieurs milliers de personnes... à la Chine, où nous avons déjà plus de 600 personnes réalisant des systèmes de signalisation métro.
Du coup, Thales garde l'activité transport...
... Pourquoi est-elle au cœur de notre stratégie ? Pour trois bonnes raisons : nous voulons aller dans les émergents et ces pays ont des besoins considérables en infrastructures ; nous voulons poursuivre le développement de notre chiffre d'affaires vers le civil et le transport, qui représente déjà 15 % de notre chiffre d'affaires, est une activité 100 % civile ; nous cherchons des activités en croissance, et ces marchés sont en progression rapide. C'est tout cela à la fois : la croissance, le civil et les pays émergents. Donc oui, l'activité transport colle parfaitement à notre stratégie.
Mais entre le transport et les autres activités, quelles sont les synergies ?
D'un point de vue technologique, la signalisation ferroviaire est un ensemble de systèmes à contenu logiciel prépondérant, « safety critical » (qui touche la sureté de fonctionnement, ndlr) et qui sont embarqués dans un environnement exigeant (température, vibration, choc...). Ce que je viens de décrire pour la signalisation ferroviaire, j'aurai pu le dire pour l'avionique ou pour toutes les autres activités du groupe. Thales dispose d'un socle de technologies et de compétences qui irrigue les différents métiers en leur permettant de décliner ces technologies et ces compétences en produits et solutions pour des avions civils ou militaires, pour des bateaux militaires, pour des trains, pour des systèmes au sol comme l'ATM ou encore les satellites. La signalisation ferroviaire repose bien sur des technologies au cœur de ce que Thales sait faire.
Donc pas de rapprochement avec Alstom ?
Ma priorité est la croissance organique de cette activité. Nous avons chez Thales tous les atouts nécessaires pour la développer et être le leader mondial de ce domaine : nos technologies clés, notre implantation internationale, notre agilité face aux acteurs du matériel roulant, et, demain, bien d'autres différenciateurs comme celui de la cybersécurité.
D'où peut-être votre ambition d'équilibrer le chiffre d'affaires entre civil et militaire ?
Aujourd'hui, nous souhaitons conforter un équilibre de notre chiffre d'affaires entre civil et militaire. Nous voulons avoir un profil équilibré car de façon générale, les dynamiques de marchés sont plutôt en faveur du civil même si nous avons eu de bonnes surprises dans le domaine de la défense ces derniers mois.
Faute de méga-contrat en Arabie Saoudite, votre activité missilière est-elle en revanche à vendre ?
En France, on a tendance à regarder l'avenir de cette activité par le seul prisme du prospect Mark 3. Globalement, notre activité se porte bien, à l'exemple de la vente par Thales des missiles Starstreak en Indonésie. Un très beau succès. Notre activité missilière s'inscrit en fait dans un ensemble plus vaste, celui de la défense aérienne : une activité système et conduite de tir essentiellement en France ; une activité autodirecteur (France) ; une activité missilière et systémière à Belfast, et une activité radar franco-néerlandaise. Ces différents segments de marché continuent de se développer très bien.
Allez-vous investir dans la filière missilière ?
Nous maintenons nos capacités, nous avons d'ailleurs lancé un nouveau missile, le LMM (Lightweight Multi-rôle Missile), un missile air-sol, antinavire, air-air à courte-portée guidé par laser qui est conçu et fabriqué à Belfast, au Royaume-Uni. Il sera prochainement qualifié. D'une manière générale, cette activité missilière, qui est en bonne forme, reste soutenue par le gouvernement britannique.
Vous n'allez pas nous dire que vous croyez toujours au succès de Mark 3 ?
Mais si, bien sûr. Les contrats de défense sont à maturation lente. Il a fallu patienter près de quinze ans pour le premier contrat export du Rafale. Et je crois que tout le monde s'en félicite aujourd'hui ! Pour Mark 3, le besoin opérationnel est avéré, ce n'est pas parce qu'on ne nous a pas encore dit oui que c'est non pour la vie. Comme pour le Rafale, la patience et la persévérance finissent toujours par payer.
Seriez-vous intéressé par les 25 % de Finmeccanica dans MBDA ?
La question ne se pose pas pour Thales, compte tenu des droits du pacte concernant MBDA, les deux autres actionnaires disposant de droits de préemption. De plus, Airbus Group a annoncé officiellement qu'il était intéressé. Mais la question pourrait se poser à plus long terme, à cinq ou dix ans. Pourquoi ? Parce que de plus en plus, nos clients souhaitent une solution globale comprenant des capacités de surveillance aérienne, de défense aérienne et le tout coiffé par un système de commandement et de contrôle, un "C4I". Les frontières vont donc s'estomper de plus en plus entre « ce qui vole », les missiles, et les systèmes de surveillance, de défense et de C4I dont Thales est un acteur de taille mondiale. Mais pour le moment, la meilleure de choses à faire est de renforcer notre proximité business avec MBDA.
Les relations entre DCNS et Thales se sont-elles apaisées ?
Nos relations se passent bien. Et nous avons retrouvé le chemin du dialogue. Nous essayons de poursuivre notre verticalisation industrielle avec DCNS pour avoir des produits plus compétitifs, dépenser moins en R&D, optimiser nos architectures réciproques entre un système de combat d'un côté et les autres sous-systèmes de l'autre, etc. Typiquement, pour les frégates de taille intermédiaire (FTI), nous souhaitons mettre en place une démarche d'ingénierie en plateau intégré, avoir des moyens d'ingénierie interopérables, voire intégrés. Nous avons clairement réaffirmé cette volonté commune avec Hervé Guillou de continuer à améliorer la compétitivité de DCNS. Nous avons donc lancé cette réflexion avec des initiatives très concrètes, comme sur les FTI. Cette relation industrielle est indépendante de nos relations actionnariales. Je déconnecte les deux.
Êtes-vous satisfait des mesures prises par DCNS pour un retour à la rentabilité ?
Sur DCNS, la priorité numéro une, c'est de rétablir la situation opérationnelle : plus de 300 millions d'euros de perte nette en 2014, c'est considérable à l'échelle de DCNS. C'est d'abord et avant tout la responsabilité du management de DCNS. Je les laisse donc travailler tout en étant un actionnaire présent, exigeant, et vigilant.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Y a-t-il eu un défaut des actionnaires ?
Je ne le pense pas. Il y a eu clairement un défaut de contrôle et de transparence dans la chaîne managériale par le passé. Maintenant, le passé est le passé, et ce qui m'intéresse c'est l'avenir. Aujourd'hui, DCNS est en train de sortir de cette situation très périlleuse et nous savons où DCNS doit aller. La société devrait revenir à l'équilibre cette année. Les audits indépendants de l'année dernière ont montré que le groupe doit remettre certains fondamentaux en place, notamment dans le domaine de la gestion des programmes, dans la construction de devis réaliste, dans une exigence accrue de la tenue des coûts et des délais. Ces audits nous ont par ailleurs rassurés sur le fait que DCNS a toutes les compétences nécessaires pour réaliser les programmes dans son cœur de métier que les clients leur ont confiés.
Pourquoi une telle catastrophe ?
DCNS a accepté des contrats qu'il n'aurait pas dû prendre ou ne pas accepter en l'état. Dans le nucléaire civil, un certain nombre de contrats n'aurait tout simplement pas dû être pris. Sur ceux qui sont au cœur de leur métier, comme Barracuda, c'est plus la structure du contrat à prix forfaitaire sur un objet aussi complexe et aussi innovant qu'un Barracuda qui pose problème. A posteriori, les coûts ont été manifestement mal estimés.
Peut-être la pression de l'Etat ?
A un moment donné, chacun prend ses responsabilités. Il y a des groupes qui font des objets de souveraineté et qui sont extrêmement rentables comme Dassault Aviation. DCNS fait des objets de souveraineté. Ce n'est pas une fatalité que de devoir accepter ce qu'on vous demande. Et j'ai confiance dans Hervé Guillou et le nouveau management de DCNS pour l'avenir. DCNS est une formidable entreprise dont tout le potentiel de développement ne demande qu'à être libéré !
Vous êtes un jeune patron à la tête d'une entreprise stratégique pour la France, quel est votre ressenti ?
J'ai un sentiment de fierté, puis de responsabilité surtout. Thales n'est pas un groupe comme les autres. C'est un groupe qui apprend la modestie, parce qu'il est extrêmement compliqué et il est extrêmement long à comprendre : ce qu'on y fait, sa cohérence, etc... Nous réalisons tout un tas d'objets d'hyper-souveraineté. C'est une fierté et un sentiment de très grande responsabilité parce que Thales occupe dans le paysage industriel français une place à part. C'est l'un des derniers très grands groupes technologiques français. Nous développons un portefeuille de technologie assez incroyable.
Êtes-vous soulagé du désistement d'Henri Proglio ?
Je n'ai pas raisonné comme cela. On m'a proposé de piloter ce groupe. La question à laquelle je devais répondre : soit j'acceptais de le piloter, soit je n'acceptais pas. J'ai accepté en connaissant les conditions. Henri Proglio est un très grand industriel et je suis persuadé que nous aurions fait une excellente équipe. Les conditions ont évolué par la suite.
Mais vous auriez eu un tuteur...
... La question ne s'est jamais posée en ces termes. Cela a toujours été très clair pour l'Etat et le groupe Dassault : celui qui dirige l'entreprise c'est bien le directeur général qu'il soit ou non, de surcroît, président du conseil d'administration. Et ce qui est important c'est que les deux principaux actionnaires, l'État et Dassault, me fassent confiance pour développer ce groupe fantastique qu'est Thales.
Latribune.fr
Cette année, nous avons choisi comme fil conducteur la connectivité. Il y aura également une volonté d'illustrer que ce que l'on fait résonne positivement avec la COP 21. C'est effectivement l'événement politique de l'année en France. Ce qui nous permettra de rappeler tout notre savoir-faire en matière de réduction de l'empreinte carbone, de transport durable, de ville intelligente, etc...
Pourquoi avoir choisi la connectivité ?
La connectivité est une tendance de fond du marché aéronautique. Thales s'y est d'ailleurs renforcé en acquérant LiveTV en 2014. Sans que les passagers le sachent, Thales les accompagne du début à la fin de leur voyage en avion, en assurant bien sûr leur sécurité mais aussi leur divertissement avec le multimédia de bord (IFE). Nous allons donc mettre en avant lors du salon du Bourget tous les systèmes et solutions que nous réalisons : connectivité entre l'avion et les infrastructures aéroportuaires, connectivité entre les passagers et le reste du monde, avionique du futur, aides au décollage et à l'atterrissage, contrôle du trafic aérien pendant la durée du vol,.. Deux avions sur trois dans le monde décollent et atterrissent grâce aux équipements de Thales. Le groupe est le numéro un mondial de la gestion de contrôle du trafic aérien (ATM), et quelque 40 % de la surface de la Terre est couverte par nos centres ATM. Aujourd'hui, 750.000 passagers utilisent en moyenne chaque jour nos systèmes d'IFE dans le monde. Soit 274 millions par an !
Justement, un avion connecté peut être piraté, comme le prétend un hacker américain. Avez-vous été sollicité par les autorités américaines, et avez-vous déjà des réponses face à cette menace ?
Nous ne communiquons pas d'information au-delà des organismes de tutelle afin de ne pas gêner l'enquête, et d'autre part de ne pas attiser la curiosité et l'intérêt des attaquants. Nous sommes dans ce type de cas totalement concentré sur la sécurisation de nos systèmes. Ce qui est sûr, c'est que ce sujet est un sujet qui « monte ». Il n'y a aucune raison que les cyber attaques se limitent aux systèmes d'information des entreprises. Un pays a déjà fait atterrir un drone en prenant son contrôle. C'est pour cela qu'aujourd'hui, nous avons de plus en plus de sollicitations et de discussions sur ce thème avec nos grands clients pour protéger leurs avions, leurs trains, leurs navires de guerre ou civils...
Pouvez-vous confirmer que ce hacker a pris le contrôle d'un avion via l'IFE ?
Non, je ne peux pas vous le confirmer. De manière générale, nous travaillons de façon très étroite avec les avionneurs et les autorités de certification sur les systèmes de sûreté et de sécurité. Nous ne communiquons jamais sur ces sujets afin de ne pas donner d'informations à l'attaquant. Face aux attaques informatiques qui se professionnalisent et se conçoivent parfois comme de véritables opérations militaires, il est impératif de rester discret quant aux mesures de protection et de défense pour amoindrir voire annihiler les capacités de l'attaquant.. C'est une guerre de mouvement. Si les entreprises ne communiquent pas, ce n'est ni par incapacité ni par pudibonderie excessive mais par stratégie...
Mais est-ce une menace crédible ou simplement conceptuelle ?
En tout cas, Thales prend cette menace au sérieux. Pour commencer, il faut d'abord imaginer la forme que peut prendre une cyberattaque sur un système comme un train, un bateau ou un avion. Puis comment on peut y remédier. Il faut aussi être conscient du fait que la lutte contre les cybermenaces, à l'image de ce qui se passe pour les systèmes d'informations des entreprises, est une course sans fin. Aucun industriel responsable ne prétendra avoir la solution à la fois totale et définitive. En revanche, se poser la question et mettre en place des mesures pour traiter un certain nombre de menaces, c'est tout à fait possible et réalisable. Nous-mêmes, nous travaillons sur ces questions de manière spontanée parce que nous avons vu arriver cette problématique en raison de notre expérience dans la cyberdéfense. Entre cybersécurité et cyberdéfense, il n'y a qu'un pas finalement.
Avez-vous donc déjà lancé des programmes ?
Nous avons commencé à travailler en interne pour rendre plus robuste, plus résilient et plus résistant un certain nombre de systèmes, de solutions, d'équipements que nous fabriquons et que nous installons en tenant compte de nos informations sur certains types de menaces et d'attaques informatiques.
Est-ce le cas pour les IFE ?
Bien sûr. C'est d'ailleurs ce qui va de plus en plus distinguer Thales des autres acteurs dans ces domaines civils. Nous maîtrisons à la fois les technologies civiles et militaires. Ce qui n'est pas le cas, dans le métier de l'IFE, de notre grand concurrent (n.d.l.r. Panasonic) qui n'est pas un acteur de la cybersécurité et n'a aucune capacité ou expertise reconnue en la matière. Dans les années à venir, cette expertise va conférer à Thales un discriminant unique par rapport à nos concurrents, même si ceux-ci pourront toujours s'appuyer sur des compétences extérieures. Mais la force de Thales, c'est de marier la compétence métier (développer des systèmes d'IFE, des systèmes de signalisation ferroviaire, etc.) avec une autre de ses compétences métier, ici la cybersécurité.
Donc Thales a une longueur d'avance ?
Ce sujet va effectivement devenir un différenciateur en faveur de Thales par rapport aux acteurs qui ne sont que civils. C'est une conviction profonde mais elle s'appuie aussi sur une réalité, à savoir ce qui se passe en matière de transport aérien, ferroviaire voire automobile. Oui, je pense que Thales a un avenir très prometteur par rapport à nos grands compétiteurs purement civils au vue de ces menaces arrivent aussi bien dans les avions que dans les trains, les bateaux, les voitures, etc. Nous discutons aussi bien avec les opérateurs de transport qui ont bien identifié que Thales est le seul acteur du monde de la signalisation ferroviaire ou métro à avoir des capacités à traiter ce type de menaces qu'avec les grands équipementiers automobiles qui s'interrogent également. Si, demain, ces questions deviennent des spécifications contenues dans les appels d'offre internationaux, nos concurrents auront bien du mal à y répondre. Et cela crédibilisera donc encore plus les systèmes Thales auprès de nos grands clients et donneurs d'ordres.
Ce qui est vrai pour un avion civil peut-il l'être pour un avion de combat, un char...?
Ce qui est vrai pour les systèmes d'informations dans le civil, l'est aussi, bien sûr, dans le militaire. En revanche, les clients défense sont par nature très sensibilisés et donc très vigilants sur cette question. De plus, les programmes militaires, qui reposent sur des systèmes un peu plus anciens, ont des systèmes plus fermés, et avec moins de logiciels. Ils sont donc moins sensibles à ce type d'attaques. Les systèmes plus modernes ont comme caractéristique de reposer en partie sur du matériel d'origine civile ("COTS"), dont vous ne connaissez finalement pas tout du design, des composants matériels ou logiciels à l'intérieur. Ils doivent donc faire l'objet de mesures spécifiques de protection.
Dans le cas du drame de Germanwings, la technique permet-elle de prendre le contrôle de l'avion en cas de dysfonctionnements humains et/ou techniques ?
La technique offre une très grande panoplie de solutions. En matière de sécurité aérien, les évolutions sont toutefois extrêmement lentes. Toute évolution peut avoir une incidence sur l'ensemble du système d'un avion, y compris des procédures de décollage et d'atterrissage etc. S'agissant du crash inexpliqué de la Malaysian Airlines, il existe aujourd'hui toutes les solutions techniques pour suivre un avion en vol où qu'il soit dans le monde grâce aux connections satellitaires. De même, demain, avec les satellites d'observation, dont les solutions techniques sont également disponibles. Bref, ce ne sont pas tellement les solutions qui manquent aujourd'hui, c'est d'aligner la volonté des uns et des autres de les mettre en œuvre.
Pour Thales, la problématique environnementale est-elle une contrainte ou une chance ?
Thales, depuis une quinzaine d'années, a pris au sérieux ces questions environnementales et aujourd'hui fait partie des 10 % d'entreprises dans le monde qui ont reçu la note A pour leur performance climatique. Nous vivons tous sur la même planète, essayons de la préserver du mieux possible. Même si nous ne sommes pas une industrie polluante, nous pouvons toujours nous améliorer. Nous avons énormément travaillé pour réduire nos consommations d'eau, d'énergie et notre empreinte carbone. Et puis cette problématique est aussi une opportunité de business. Nous avons des solutions et des produits pour les clients qui cherchent eux aussi à réduire leur empreinte carbone. Cela commence déjà par la course à la réduction du poids dans l'aéronautique - un enjeu considérable pour les avionneurs - en passant par l'optimisation des trajectoires des avions. Consommer moins, c'est mieux pour le modèle économique... et pour l'environnement. Le modèle économique est aligné avec l'intérêt écologique.
Quelle est votre offre ?
Nous travaillons beaucoup sur les systèmes ATM et les systèmes de navigation à bord ou au sol en vue d'optimiser les trajectoires des avions. Y compris en prenant en considération de plus en plus de facteurs exogènes au simple trafic aérien comme les phénomènes météo. Autre exemple, l'espace. Dans ce domaine, Thales a conçu et réalisé tous les satellites Meteosat, dont la dernière génération MTG. Aujourd'hui, 40 % de la population mondiale profite de données météo grâce aux systèmes satellites que nous avons réalisés. Nous avons également fabriqué des satellites très spécialisés pour observer les mers et les océans, les courants, la pollution... Ce qui permet clairement à nos clients de mieux surveiller, de mieux comprendre et, ainsi, de mieux protéger notre environnement. Avec le spatial, nous sommes au cœur des questions environnementales.
Les politiques ne demandent-ils pas trop à l'aéronautique en matière d'environnement ?
L'industrie aéronautique prend sa part, et elle le fait depuis longtemps. Maintenant, il est vrai que les effets positifs de ce que font les industriels de l'aéronautique ne doivent pas être surpondérées par rapport à l'enjeu environnemental pour la planète. Que cette industrie y contribue, c'est nécessaire et c'est mieux que bien. Mais la planète ne sera malheureusement pas sauvée par les seuls efforts de l'industrie aéronautique...
Quel est l'objectif de prises de commandes en 2015 ?
L'entreprise a retrouvé une formidable dynamique depuis maintenant deux à trois ans et est sur une très bonne trajectoire. Ce sera le cas encore cette année. Je suis vraiment confiant pour les années à venir si je regarde les deux volets, croissance et compétitivité. Sur le volet croissance, Thales a augmenté ses prises de commandes de 20 % en deux ans et de 40 % dans les seuls pays émergents, un de nos axes majeurs de notre développement. Entre le premier trimestre 2014 et celui de 2015, les prises de commandes ont progressé de 36 %, en partie grâce au succès du Rafale en Égypte. Pour 2015, nous prévoyons une nouvelle hausse des prises de commandes alors même qu'elles ont déjà été très élevées en 2014 (14,3 milliards d'euros). Et nous ferons encore mieux cette année aussi dans les pays émergents (4,3 milliards en 2014).
Y aura-t-il de nouvelles belles surprises en 2015 ?
Thales devrait faire une belle performance commerciale en 2015. Au-delà des contrats Rafale, le transport est une activité ou nous voyons des opportunités de développement. Et pour la première fois depuis plus de dix ans, il se pourrait que le premier contrat du groupe en valeur soit en 2015 un contrat civil. Ce serait très symbolique de la nouvelle dynamique de Thales sur les marchés civils, axe stratégique de croissance et de développement du groupe.
Qu'est-ce qui vous rend optimiste dans les transports ?
Dans le monde, nous connaissons une urbanisation galopante. Ce qui s'accompagne d'un besoin de nouvelles infrastructures de transport ferroviaire, grandes lignes ou métro, dans les pays émergents. Par exemple, plus de 50 % des métros dans le monde seront construits en Chine dans les dix prochaines années. Par ailleurs, il y a aussi un fort besoin d'optimiser les infrastructures existantes dans les pays occidentaux. Dans les deux cas, la signalisation ferroviaire est au cœur de ces projets. Sur ces deux types de marché, nous sommes présents. De l'Europe avec plusieurs milliers de personnes... à la Chine, où nous avons déjà plus de 600 personnes réalisant des systèmes de signalisation métro.
Du coup, Thales garde l'activité transport...
... Pourquoi est-elle au cœur de notre stratégie ? Pour trois bonnes raisons : nous voulons aller dans les émergents et ces pays ont des besoins considérables en infrastructures ; nous voulons poursuivre le développement de notre chiffre d'affaires vers le civil et le transport, qui représente déjà 15 % de notre chiffre d'affaires, est une activité 100 % civile ; nous cherchons des activités en croissance, et ces marchés sont en progression rapide. C'est tout cela à la fois : la croissance, le civil et les pays émergents. Donc oui, l'activité transport colle parfaitement à notre stratégie.
Mais entre le transport et les autres activités, quelles sont les synergies ?
D'un point de vue technologique, la signalisation ferroviaire est un ensemble de systèmes à contenu logiciel prépondérant, « safety critical » (qui touche la sureté de fonctionnement, ndlr) et qui sont embarqués dans un environnement exigeant (température, vibration, choc...). Ce que je viens de décrire pour la signalisation ferroviaire, j'aurai pu le dire pour l'avionique ou pour toutes les autres activités du groupe. Thales dispose d'un socle de technologies et de compétences qui irrigue les différents métiers en leur permettant de décliner ces technologies et ces compétences en produits et solutions pour des avions civils ou militaires, pour des bateaux militaires, pour des trains, pour des systèmes au sol comme l'ATM ou encore les satellites. La signalisation ferroviaire repose bien sur des technologies au cœur de ce que Thales sait faire.
Donc pas de rapprochement avec Alstom ?
Ma priorité est la croissance organique de cette activité. Nous avons chez Thales tous les atouts nécessaires pour la développer et être le leader mondial de ce domaine : nos technologies clés, notre implantation internationale, notre agilité face aux acteurs du matériel roulant, et, demain, bien d'autres différenciateurs comme celui de la cybersécurité.
D'où peut-être votre ambition d'équilibrer le chiffre d'affaires entre civil et militaire ?
Aujourd'hui, nous souhaitons conforter un équilibre de notre chiffre d'affaires entre civil et militaire. Nous voulons avoir un profil équilibré car de façon générale, les dynamiques de marchés sont plutôt en faveur du civil même si nous avons eu de bonnes surprises dans le domaine de la défense ces derniers mois.
Faute de méga-contrat en Arabie Saoudite, votre activité missilière est-elle en revanche à vendre ?
En France, on a tendance à regarder l'avenir de cette activité par le seul prisme du prospect Mark 3. Globalement, notre activité se porte bien, à l'exemple de la vente par Thales des missiles Starstreak en Indonésie. Un très beau succès. Notre activité missilière s'inscrit en fait dans un ensemble plus vaste, celui de la défense aérienne : une activité système et conduite de tir essentiellement en France ; une activité autodirecteur (France) ; une activité missilière et systémière à Belfast, et une activité radar franco-néerlandaise. Ces différents segments de marché continuent de se développer très bien.
Allez-vous investir dans la filière missilière ?
Nous maintenons nos capacités, nous avons d'ailleurs lancé un nouveau missile, le LMM (Lightweight Multi-rôle Missile), un missile air-sol, antinavire, air-air à courte-portée guidé par laser qui est conçu et fabriqué à Belfast, au Royaume-Uni. Il sera prochainement qualifié. D'une manière générale, cette activité missilière, qui est en bonne forme, reste soutenue par le gouvernement britannique.
Vous n'allez pas nous dire que vous croyez toujours au succès de Mark 3 ?
Mais si, bien sûr. Les contrats de défense sont à maturation lente. Il a fallu patienter près de quinze ans pour le premier contrat export du Rafale. Et je crois que tout le monde s'en félicite aujourd'hui ! Pour Mark 3, le besoin opérationnel est avéré, ce n'est pas parce qu'on ne nous a pas encore dit oui que c'est non pour la vie. Comme pour le Rafale, la patience et la persévérance finissent toujours par payer.
Seriez-vous intéressé par les 25 % de Finmeccanica dans MBDA ?
La question ne se pose pas pour Thales, compte tenu des droits du pacte concernant MBDA, les deux autres actionnaires disposant de droits de préemption. De plus, Airbus Group a annoncé officiellement qu'il était intéressé. Mais la question pourrait se poser à plus long terme, à cinq ou dix ans. Pourquoi ? Parce que de plus en plus, nos clients souhaitent une solution globale comprenant des capacités de surveillance aérienne, de défense aérienne et le tout coiffé par un système de commandement et de contrôle, un "C4I". Les frontières vont donc s'estomper de plus en plus entre « ce qui vole », les missiles, et les systèmes de surveillance, de défense et de C4I dont Thales est un acteur de taille mondiale. Mais pour le moment, la meilleure de choses à faire est de renforcer notre proximité business avec MBDA.
Les relations entre DCNS et Thales se sont-elles apaisées ?
Nos relations se passent bien. Et nous avons retrouvé le chemin du dialogue. Nous essayons de poursuivre notre verticalisation industrielle avec DCNS pour avoir des produits plus compétitifs, dépenser moins en R&D, optimiser nos architectures réciproques entre un système de combat d'un côté et les autres sous-systèmes de l'autre, etc. Typiquement, pour les frégates de taille intermédiaire (FTI), nous souhaitons mettre en place une démarche d'ingénierie en plateau intégré, avoir des moyens d'ingénierie interopérables, voire intégrés. Nous avons clairement réaffirmé cette volonté commune avec Hervé Guillou de continuer à améliorer la compétitivité de DCNS. Nous avons donc lancé cette réflexion avec des initiatives très concrètes, comme sur les FTI. Cette relation industrielle est indépendante de nos relations actionnariales. Je déconnecte les deux.
Êtes-vous satisfait des mesures prises par DCNS pour un retour à la rentabilité ?
Sur DCNS, la priorité numéro une, c'est de rétablir la situation opérationnelle : plus de 300 millions d'euros de perte nette en 2014, c'est considérable à l'échelle de DCNS. C'est d'abord et avant tout la responsabilité du management de DCNS. Je les laisse donc travailler tout en étant un actionnaire présent, exigeant, et vigilant.
Comment cela a-t-il pu arriver ? Y a-t-il eu un défaut des actionnaires ?
Je ne le pense pas. Il y a eu clairement un défaut de contrôle et de transparence dans la chaîne managériale par le passé. Maintenant, le passé est le passé, et ce qui m'intéresse c'est l'avenir. Aujourd'hui, DCNS est en train de sortir de cette situation très périlleuse et nous savons où DCNS doit aller. La société devrait revenir à l'équilibre cette année. Les audits indépendants de l'année dernière ont montré que le groupe doit remettre certains fondamentaux en place, notamment dans le domaine de la gestion des programmes, dans la construction de devis réaliste, dans une exigence accrue de la tenue des coûts et des délais. Ces audits nous ont par ailleurs rassurés sur le fait que DCNS a toutes les compétences nécessaires pour réaliser les programmes dans son cœur de métier que les clients leur ont confiés.
Pourquoi une telle catastrophe ?
DCNS a accepté des contrats qu'il n'aurait pas dû prendre ou ne pas accepter en l'état. Dans le nucléaire civil, un certain nombre de contrats n'aurait tout simplement pas dû être pris. Sur ceux qui sont au cœur de leur métier, comme Barracuda, c'est plus la structure du contrat à prix forfaitaire sur un objet aussi complexe et aussi innovant qu'un Barracuda qui pose problème. A posteriori, les coûts ont été manifestement mal estimés.
Peut-être la pression de l'Etat ?
A un moment donné, chacun prend ses responsabilités. Il y a des groupes qui font des objets de souveraineté et qui sont extrêmement rentables comme Dassault Aviation. DCNS fait des objets de souveraineté. Ce n'est pas une fatalité que de devoir accepter ce qu'on vous demande. Et j'ai confiance dans Hervé Guillou et le nouveau management de DCNS pour l'avenir. DCNS est une formidable entreprise dont tout le potentiel de développement ne demande qu'à être libéré !
Vous êtes un jeune patron à la tête d'une entreprise stratégique pour la France, quel est votre ressenti ?
J'ai un sentiment de fierté, puis de responsabilité surtout. Thales n'est pas un groupe comme les autres. C'est un groupe qui apprend la modestie, parce qu'il est extrêmement compliqué et il est extrêmement long à comprendre : ce qu'on y fait, sa cohérence, etc... Nous réalisons tout un tas d'objets d'hyper-souveraineté. C'est une fierté et un sentiment de très grande responsabilité parce que Thales occupe dans le paysage industriel français une place à part. C'est l'un des derniers très grands groupes technologiques français. Nous développons un portefeuille de technologie assez incroyable.
Êtes-vous soulagé du désistement d'Henri Proglio ?
Je n'ai pas raisonné comme cela. On m'a proposé de piloter ce groupe. La question à laquelle je devais répondre : soit j'acceptais de le piloter, soit je n'acceptais pas. J'ai accepté en connaissant les conditions. Henri Proglio est un très grand industriel et je suis persuadé que nous aurions fait une excellente équipe. Les conditions ont évolué par la suite.
Mais vous auriez eu un tuteur...
... La question ne s'est jamais posée en ces termes. Cela a toujours été très clair pour l'Etat et le groupe Dassault : celui qui dirige l'entreprise c'est bien le directeur général qu'il soit ou non, de surcroît, président du conseil d'administration. Et ce qui est important c'est que les deux principaux actionnaires, l'État et Dassault, me fassent confiance pour développer ce groupe fantastique qu'est Thales.
Latribune.fr