- Monsieur le Directeur, la 46èmeAssemblée générale de la Fanaf s’est tenue au Sénégal au mois de mai dernier sur le thème central d’actualité « Risques systémiques : Assurances et Résilience ». En tant qu’acteur de premier plan dans le secteur des assurances, pouvez-vous revenir sur les objectifs et conclusions de ces travaux ?
Effectivement, les travaux de la 46ème Assemblée générale de la Fanaf, dans leur volet scientifique, se sont bien tenus à Dakar au mois de mai dernier, après deux années de pause, due aux restrictions liées à la situation sanitaire mondiale.
Permettez-moi de rappeler que la Fanaf est une association professionnelle qui fédère plus de 200 sociétés d’assurances africaines, venant d’une trentaine de pays à majorité francophone.
Elle se réunit annuellement dans un de ces pays, pour faire le point sur la vie de la fédération, mais également échanger, avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème de la finance et de l’assurance, et notamment les régulateurs financiers, sur les problématiques d’intérêt pour la profession.
Globalement, les objectifs des travaux de la Fanaf consistent à amorcer la réflexion, avec l’ensemble des parties prenantes, sur des orientations pouvant avoir un impact direct ou indirect sur l’écosystème financier.
C’est d’ailleurs la raison principale de l’implication des régulateurs lors de ces assises, et la table ronde qui réunit le législateur Cima avec les opérateurs constitue un temps fort de cette rencontre.
Pour ce qui est de la conférence scientifique de Dakar, dont le thème central portait sur « Risques systémiques : Assurance et Résilience », son objectif était principalement d’échanger sur les défis identifiés par le secteur face à des risques émergents, notamment des risques d’ordre financier, sanitaire, catastrophique, cybernétique, dont l’occurrence va grandissante.
Il s’agissait également d’une réflexion entre les acteurs, relativement à ce que pourrait être la contribution du secteur des assurances sur la résilience immédiate et future, face à des risques de cette nature.
- Lors de cette assemblée générale, la problématique du paiement des prestations par mobile money, la digitalisation et la dématérialisation des certificats d’assurance ont été posées par les acteurs de la Fanaf. Quelle est la position du régulateur que vous êtes sur ce sujet ?
La question du Digital était en effet une des questions d’intérêt discutée lors de cette conférence de la Fanaf.
S’il y a un aspect sur lequel tout le monde s’accorde aujourd’hui c’est l’opportunité que représente le digital pour le développement de tout secteur économique ; l’assurance ne peut donc faire l’économie de ce passage inéluctable au digital.
La pandémie de Covid-19, avec ses contraintes telles que la distanciation sociale, la restriction de mobilité, a d’ailleurs donné un exemple de l’importance du digital comme alternative à l’approche classique de proximité de la relation avec la clientèle.
Il s’agit donc d’une évolution nécessaire, qui devrait s’accélérer en raison de la forte croissance du numérique en Afrique.
La position du régulateur va dans le sens d’accompagner cette mutation, elle ne saurait constituer un frein au développement de la digitalisation.
Ce processus d’’accompagnement est lancé dans notre espace communautaire bien avant l’apparition de la pandémie, qui a rendu plus actuelle la question. En effet, un projet de texte est dans le circuit législatif de la Cima, en vue de mettre en place un cadre règlementaire permettant d’encadrer et de promouvoir le développement de l’assurance électronique.
Beaucoup de discussions sont menées avec les acteurs, la stratégie du régulateur étant de trouver un équilibre entre le besoin d’innovation et la protection des consommateurs face à l’entrée de nouveaux types d’acteurs dans le secteur.
Vous aurez noté donc que la position du régulateur sur la digitalisation va au-delà de la seule question du paiement des prestations en mobile money ou de la digitalisation des documents contractuels ; c’est plutôt sur un cadre règlementaire globalement favorable au développement de la digitalisation dans le secteur, tout en garantissant un minimum de sécurité aux consommateurs.
- Avec le développement des Fintechs, on note l’arrivée de nouveaux prestataires de services financiers mais on constate également la frilosité du régulateur à suivre cette dynamique. Pourquoi ?
L’arrivée des Fintechs dans le secteur des assurances (on parle aujourd’hui des Assurtech) est un effet de cette mutation dont je parlais tantôt.
Les Assurtech ont bien saisi l’opportunité de la digitalisation progressive des activités dans le secteur pour mettre à disposition leur savoir-faire dans le domaine des nouvelles technologies ; ils apportent mobilité et attractivité et devraient aider à améliorer l’accès aux services d’assurance, plus généralement aux services financiers.
Mais comme je vous le disais tantôt, cette mutation marque l’évolution du rôle du régulateur vers d’autres acteurs, d’autres segments, eux-mêmes soumis à une régulation spécifique.
Il ne s’agit donc pas d’une frilosité du régulateur, mais plutôt d’une démarche de prudence, empreinte d’une bonne compréhension des risques liés à cette innovation, pour leur meilleure prise en compte en vue de garantir l’équilibre du marché. Dans ce nouvel environnement disruptif, il appartient aussi au régulateur de redéfinir les rôles respectifs de chacun pour une bonne protection des consommateurs de produits d’assurance.
- Troisième marché de la zone Cima derrière la Côte d’Ivoire et le Cameroun, le secteur sénégalais des assurances a enregistré durant l’exercice 2021 une progression aussi bien dans la branche Vie que celle Iard. Quels sont les facteurs explicatifs de cette performance dans un contexte d’émergence de risques sanitaires et de catastrophes naturelles liés notamment aux changements climatiques ?
Le marché sénégalais des assurances reste dans une dynamique de croissance depuis une bonne dizaine d’années. Une dynamique de croissance qui a légèrement fléchi avec la pandémie du fait de l’impact des restrictions sanitaires sur certaines branches d’assurance telles que l’assurance automobile, l’assurance au voyage ou encore l’assurance des marchandises à l’importation.
Il faut cependant relever que malgré la situation de pandémie, le secteur des assurances s’est montré assez résilient aux effets perturbateurs de cette crise sanitaire.
Ainsi, sur la première année de pandémie, l’assurance sénégalaise a pu maintenir, dans un contexte défavorable, une croissance globale de 8.85% par rapport à l’année 2019. Cette capacité de résilience s’est poursuivie sur l’année 2021 avec un taux de croissance de 9.76%.
L’explication de cette résilience est à chercher principalement dans les mesures de soutien à l’économie, adoptées par les autorités sénégalaises, et notamment le Plan de résilience économique et sociale mis en place par le Président de la République.
Ces mesures ont permis d’atténuer les effets négatifs de la pandémie sur les secteurs économiques et donc de maintenir dans une certaine mesure la masse assurable.
Par ailleurs il faut aussi prendre en compte dans cette performance l’impact des premières souscriptions d’assurance dans les projets pétroliers et gaziers.
- L’inclusion assurancielle qui est encore faible reste toutefois un défi majeur pour le secteur ? Y a-t-il des leviers d’actions sur lesquels vous travaillez pour booster le taux de couverture en assurance notamment pour les couches vulnérables ?
Vous me donnez l’occasion de rappeler que l’inclusion assurantielle est le premier des objectifs déclinés par le Traité instituant la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima) en son article 1er.
Il y est expressément mentionné en effet, une orientation prioritaire qui consiste à « Prendre toutes mesures nécessaires…afin que les marchés soient à même de couvrir par des garanties mieux adaptées aux réalités africaines et tenant compte de leurs possibilités contributives, les risques du secteur agricole et rural… ».
Une assurance inclusive constitue donc le défi fondamental auquel doit faire face le secteur des assurances sénégalais, africain en général, pour approfondir davantage la masse assurable. La structure de nos économies, dominées par les activités informelles, justifie d’ailleurs cette nécessité d’une assurance inclusive.
Un des leviers pour y arriver se trouve dans la promotion de la micro assurance, qui permet d’explorer le potentiel du secteur informel et agricole.
L’exemple de la Compagnie nationale d’assurance agricole du Sénégal (Cnaas), montre que de réelles opportunités existent dans ce secteur, avec une assurance agricole qui commence à s’imposer comme une réalité au niveau des acteurs du monde rural et de l’agro business.
L’évolution du niveau d’activité de la Cnaas depuis une dizaine d’années que cette expérience a démarré, en est une parfaite illustration.
Le législateur Cima a montré la voie en instaurant un cadre règlementaire dédié à la microassurance, caractérisé par une simplicité et une souplesse du dispositif.
Un dispositif qui est d’ailleurs en train d’être revisité pour le rendre plus attractif, en raison de la réaction très timide notée au niveau des opérateurs.
- Récemment, il a été fait état de procédures de redressement portant sur la violation des règles de change et les opérations financières en lien avec l’étranger pour certaines compagnies d’assurance de la place. En tant que régulateur du secteur, de quoi s’agit-il en réalité ?
Comme vous l’avez relevé, il s’agit de procédures liées à l’application de la législation des changes, notamment le Règlement n°09/2010/CM/Uemoa du 1er avril 2010, relatif aux relations financières extérieures des Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine, et de l’article 10 de l’annexe 2 dudit règlement relatif à l’obligation de passage par des banques locales pour le règlement de toute importation de services.
Ce qu’il faut retenir d’emblée, c’est que la mise en œuvre de ces dispositions communautaires fait l’objet d’une vérification, par suite des enquêtes douanières portant sur les opérations financières en lien avec l’étranger.
Il est possible de penser qu’en raison du caractère international des activités d’assurance et de réassurance, ce dispositif peut constituer une réelle contrainte pour le secteur des assurances.
Mais c’est une règlementation qu’il faudrait prendre en compte.
- Les intermédiaires d’assurance (sociétés de courtage, agents généraux, bureaux de souscription) connaissent une dynamique de croissance tant par leur nombre que par la diversité des activités exercées. Existe-t-il un contrôle spécifique réservé par la réglementation des assurances ?
Il existe effectivement un contrôle spécifique exercé sur les intermédiaires d’assurance, quel que soit leur statut. Le dispositif de contrôle va depuis l’agrément de l’intermédiaire jusqu’à la sanction ultime qu’est le retrait d’agrément.
Il faut noter que le contrôle des intermédiaires, dont les activités sont encadrées par le livre V du code des assurances de la Cima, constitue une des attributions spécifiques des directions nationales des assurances, conformément à l’annexe II du traité Cima qui précise leurs missions et statuts.
L’agrément des intermédiaires, leur contrôle (sur pièces et sur place) en vue de vérifier la conformité de leurs activités avec les exigences règlementaires, les sanctions qui leur sont appliquées, tout ce dispositif est donc mis en œuvre par les directions nationales des assurances.
Et il est important de relever que le code Cima insiste sur l’interdiction faite aux compagnies d’assurances de collaborer avec des intermédiaires non agréés.
Cette règlementation qui interdit également toute distribution d’assurance par un intermédiaire qui ne serait pas habilité à cet effet par l’autorité compétente.
Toute violation de ces interdictions exposerait les contrevenants aux sanctions prévues par la loi ou les règlements en vigueur.
- Que pèse le secteur des assurances dans le financement de l’économie ? Et comment il intervient ?
Si l’on considère la contribution de l’assurance au Produit intérieur brut (Pib) du Sénégal, je suis tenté de répondre que beaucoup de progrès sont encore à faire.
Cette contribution au PIB, qui mesure également le taux de pénétration de l’assurance, est à peine de 1,45% contre une moyenne mondiale de près de 7,4%.
Il faut cependant noter que depuis quelques années déjà, cette contribution du secteur au Pib du Sénégal est en constante progression ; elle était de 1,15% en 2015.
Dans la zone Cima, ce taux de pénétration reste globalement faible, voire stagnant à 1%.
Sur l’exercice 2020, la production des sociétés d’assurance du marché sénégalais s’est élevée à 206,265 milliards FCFA contre 195,704 milliards en 2019, soit une progression de 5,40%, ce qui démontre que le secteur a été globalement résilient aux effets de la pandémie qui a affecté les activités en 2020.
Au-delà de cette appréciation sur le taux de pénétration des assurances, il faut également rechercher la contribution du secteur au niveau de la sécurisation des agents et activités économiques (ce qui est sa fonction première), notamment à travers les prestations servies aux assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance.
En effet sur l’exercice 2020, les sinistres payés et les prestations échues servies aux assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance s’élèvent à 90,351 milliards de FCFA, contre 74,339 milliards FCFA en 2019, soit un taux de croissance de 21,54% des prestations fournies.
Il faut aussi analyser cette contribution au niveau des placements effectués par le secteur des assurances dans l’économie, des placements qui sont dominés par les dépôts bancaires et les valeurs mobilières, en particulier les obligations émises par nos Etats.
En 2020, les placements des sociétés d’assurance sont estimés à 406 milliards FCFA, contre 356 milliards en 2019, soit une augmentation en valeur absolue de 50 milliards.
Sans perdre de vue le fait qu’à travers leurs Dat, le secteur des assurances contribue fortement au financement de l’économie par les banques.
- En raison de la crise sanitaire, la Cima avait reporté jusqu’en 2024 le passage du capital social minimum des sociétés anonymes à 5 milliards de FCFA pour les sociétés Iard. Quelles sont les raisons qui ont milité pour la suspension pour les compagnies Vie ?
D’abord, il faut rappeler que le règlement Cima sur le capital minimum des sociétés d’assurance est conçu comme un des éléments du dispositif prudentiel dont l’objectif est de garantir aux assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance le respect des engagements souscrits par les assureurs.
Et il y a lieu de se féliciter des résultats obtenus, notamment dans la première phase de cette réforme qui a enregistré une bonne application du relèvement du capital minimum requis des sociétés anonymes d’assurance et du fonds d’établissement des sociétés à forme mutuelle. En raison de l’impact de la pandémie à Covid-19, survenue au moment où la seconde phase de la réforme devait démarrer pour la majorité des marchés de la Cima, le Conseil des Ministres de la Cima a décidé d’un report pour une durée de 3 ans en ce qui concerne les sociétés d’assurance Dommages et d’une suspension de la mise en œuvre pour ce qui est des sociétés d’Assurance Vie.
Quelles sont les raisons qui ont milité pour cette suspension ? Je voudrais déjà rappeler qu’avant cette décision du Conseil des Ministres, (accélérée par l’impact de la Covid sur les opportunités d’investissement), la question était déjà posée relativement à l’application uniforme de la réforme aussi bien pour les sociétés Dommages que pour les sociétés Vie. Des échanges étaient menés sur ce point avec les acteurs pour voir dans quelle mesure il pouvait être pertinent de différencier le niveau de capital requis selon la nature de l’activité (Dommages ou Vie).
Le Conseil des Ministres a pris donc en compte les résultats observés sur les différents marchés, mais également le point de vue des acteurs, pour décider d’une suspension de la mesure en ce qui concerne les sociétés Vie, une suspension qui est assortie d’une réévaluation régulière de la situation.
C’est dans le même esprit de concertation que des dérogations spéciales, sur les délais de mise en œuvre, ont été accordées à des marchés de certains Etats Membres de la Cima en vue de tenir compte du niveau de développement du secteur dans ces Etats.
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